Interwiew 11Le Congrès péruvien a adopté en septembre 2020 une loi visant à mieux encadrer les activités professionnelles de dizaines de milliers de travailleur·ses domestiques. C’est une formidable victoire pour les organisations partenaires péruviennes de WSM 1 qui sont mobilisées pour que leur gouvernement ratifie et transpose la Convention 189 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) 2, le 30 septembre 2020 (loi n° 31047). Retour, avec Andrea Salazar et Felipe Vega, militants de la JOC Pérou, sur ce long combat mené par des milliers de femmes pour plus de justice sociale.

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Quelles sont les principales avancées obtenues ?

Andrea et Felipe : Désormais, chaque travailleur·se domestique au Pérou aura droit à 30 jours de vacances par an, un salaire minimum mensuel de 930 Soles (220 euros) et des journées limitées à huit heures de travail. Un contrat devra être passé entre l’employeur·se et le·la travailleur·se et celui·celle-ci devra être enregistré·e au ministère du Travail. En outre, une preuve de paiement devra être fournie par l’employeur·se, pour éviter toute tentative de fraude.

Cette évolution permettra à de nombreux·ses travailleur·ses de sortir du secteur informel et donc de la précarité ! Afin de lutter contre les violences au travail auxquelles sont particulièrement exposé·es ces travailleur·ses, la norme établit également une série de protections, bannissant tout acte discriminatoire. Par ailleurs, les femmes auront également droit à un repos de maternité et ne pourront pas être licenciées sous motif de grossesse.

Pourquoi la JOC Pérou s’engage-t-elle depuis les années 60 en faveur des travailleur·ses domestiques ?

Andrea et Felipe : Au Pérou, les travailleur·ses domestiques, qui sont pour la grande majorité des femmes, sont invisibilisé·es. Derrière les quatre murs d’une maison, elles sont trop souvent la proie de comportements discriminants et violents. En 2011, lorsqu’il nous a été donné la possibilité de participer aux débats au sein de l’OIT à l’invitation de WSM et de la CSC lors de la Conférence Internationale du Travail, nous avons sauté sur l’occasion pour rendre visibles ces milliers de femmes.

L’affaiblissement des partis de droite a laissé un boulevard aux partis progressistes pour mettre cette loi à l’agenda parlementaire.

À Genève, nous avons contribué, avec d’autres partenaires d’Asie et d’Afrique de WSM et de l’ACV-CSC, à transmettre les témoignages de leur quotidien dans le but d’adopter une réglementation internationale ambitieuse 3. Notre pays compte environ 60.000 personnes exerçant ce métier, mais ce chiffre reste forcément sous-estimé. Ce sont donc des milliers d’histoires et de souffrances à partager. Porter leur voix, c’est œuvrer pour une amélioration de leurs conditions de travail. Le succès engrangé à l’OIT nous a gonflé à bloc. Si le monde entier reconnaissait que les travailleur·ses domestiques avaient le droit de vivre dignement, alors il était tout à fait légitime que le Pérou le reconnaisse à son tour. La loi nationale de 2003 encadrant ces activités était bien trop faible pour espérer enregistrer des changements substantiels. Il fallait donc la réformer.

Le Pérou a mis près de dix ans à adopter cette régulation. C’est long, non ?

Andrea et Felipe : Nous ne sommes pas restés les bras croisés ! Nous ancrons notre travail dans le terrain, dans la rue. C’est là que nous rencontrons ces femmes, qui pour la plupart ont migré des zones rurales du pays, à la recherche de rentrées financières que les familles, très précarisées, ne peuvent leur apporter. Cela fait plus de 50 ans que la JOC a créé des « écoles du soir », qui permettent à ces femmes de terminer leurs études secondaires, voire d’envisager parfois des études supérieures ou des projets professionnels alternatifs. Ce sont des lieux de rencontres et de convivialité où leur militantisme va naître.

Ainsi, les premiers syndicats du pays visant à défendre les droits des travailleur·ses domestiques ont émergé de ces lieux d’engagement. Ces femmes se sont prises en main, en organisant des festivals et autres rencontres publiques pour sensibiliser sur leur condition. Peu à peu, des représentant·es politiques ont été touché·es par leur message et ont commencé à le relayer au sein des instances décisionnelles, comme le Parlement et le gouvernement national. Une table de concertation réunissant syndicats et politiques a même été mise en place afin d’assurer le monitoring du processus législatif.

Les diverses crises politiques qui ont traversé notre pays récemment (ndlr : le Parlement a plusieurs fois été dissous ces deux dernières années) ont entraîné l’affaiblissement des partis de droite, laissant ainsi un boulevard aux partis progressistes pour mettre cette loi à l’agenda parlementaire. Mais cette victoire, c’est avant tout la victoire de ces milliers de femmes qui ont compris que la force du collectif pouvait changer les choses. On est extrêmement fier·es du travail accompli, même si on sait que la pandémie du Covid-19 a également permis de comprendre l’importance de ce secteur pour faire tourner le pays et contribuer au PIB.

Témoignage d’Ana Maria, travailleuse domestique à Lima
Je suis arrivée dans la capitale à l’âge de huit ans, depuis la province d’Apurimac, dans l’est du pays. Je n’avais plus de parents, alors c’est ma tante qui a pris soin de moi à Lima. À mes quatorze ans, elle m’a annoncé qu’elle n’arrivait plus à joindre les deux bouts. J’ai donc commencé à travailler chez les gens, à nettoyer, cuisiner, aider les personnes âgées... Parallèlement, j’ai rencontré des militant·es de la JOC Pérou et je me suis inscrite dans une « école du soir ». Je me suis affilié au syndicat IPROFOTH et j’ai tout doucement pris conscience de la maltraitance que je subissais.
Ma patronne me demandait de travailler beaucoup trop, y compris les jours fériés et souvent sans être payée contrairement à ce qui avait été pourtant convenu. Je l’ai dénoncée, avec l’aide du syndicat et le soutien de mes camarades. Au final, j’ai pu récupérer les impayés grâce à la pression que l’on a mise sur elle. J’ai désormais changé d’employeur. Les choses se passent mieux, mais tout n’est pas parfait. Avec le Covid-19, j’ai signé un contrat qui m’oblige à rester confinée à la maison, sans possibilité de sortir pendant quatre mois. Heureusement, il y a les outils digitaux pour continuer à communiquer avec les amies du syndicat. Mais la lutte est plus difficile lorsqu’on est enfermée !
Aujourd’hui, à 26 ans, j’ai envie de voir plus haut. L’« école du soir » de la JOC m’a permis de finir mes études secondaires. J’aurais voulu continuer à étudier, mais je sais que je vais avoir besoin de revenus pour vivre. Alors je me mets à rêver d’ouvrir un salon de beauté ou un restaurant. J’ai déjà suivi une formation en cosmétique grâce à l’appui de la JOC, donc j’ai les compétences. Il me reste désormais à mettre de l’argent de côté pour réaliser ce rêve !

Il reste des défis à relever, notamment celui de l’application d’une telle loi...

Andrea et Felipe : Cette loi va déjà permettre aux travailleur·ses domestiques d’avoir conscience de leur condition et de réclamer davantage de droits. Le défi sera surtout de les atteindre afin de les sensibiliser à cet outil qui va leur permettre d’améliorer leur quotidien. Au-delà des personnes syndiquées, qui restent malheureusement minoritaires, il faut continuer le travail de rue pour retrouver ces personnes, bien souvent en détresse. Avec la JOC, on veut aussi sensibiliser les employeur·ses. C’est un vrai défi aussi. Il·elles sont en effet difficiles à identifier car il·elles ne s’organisent pas au sein d’une fédération patronale, comme dans d’autres secteurs de l’économie. Pour cela, notre objectif est que l’État péruvien lance une grande campagne afin de faire la promotion de ce nouvel instrument auprès de ce public, qui n’est pas toujours aussi malveillant qu’on peut le penser. Il s’agit aussi souvent d’un manque d’information sur leurs devoirs. On doit installer chez elles·eux une culture du respect et de la bienveillance. 

Propos recueillis par Santiago FISCHER


1. Parmi ces organisations, la JOC Pérou n’a eu de cesse de s’engager avec ses militant·es pour voir aboutir l’adoption de cette loi. WSM avait participé activement en 2011 (au côté de l’ACV-CSC), avec les militant·es jocistes et d’autres travailleur·ses domestiques issu·es d’Asie et d’Afrique, au travail législatif au sein de cette enceinte onusienne.
2. Première réglementation internationale à avoir vu le jour visant à encadrer le travail domestique afin de le rendre plus humain.
3. WSM a édité un rapport complet sur l’ensemble du processus qui a mené à l’adoption de la Convention 189 de l’OIT : « Respect, droits et reconnaissance. Le travail domestique et le processus normatif de l’OIT en 2010-2011 », WSM, rapport thématique mondial n° 3. Après l’adoption, WSM et la CSC ont mené un travail de plaidoyer pour obtenir la ratification en Belgique. Grâce à cette pression, notre pays a ratifié et transposé cette réglementation en 2015 !

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