La crise sanitaire du Covid-19 a provoqué depuis mars 2020 des confinements ainsi que de nombreuses restrictions à nos libertés de mouvement. Si certains pays ont eu la capacité de protéger leurs populations en enclenchant des mécanismes de protection sociale afin de leur fournir des revenus de remplacement indispensables pour leur survie, d’autres n’ont pas pu protéger leurs citoyen·nes de la même manière. Mais des mouvements sociaux se sont mobilisés pour pallier les failles.
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Se confiner est un « luxe » réservé à une population plutôt aisée, qui peut se permettre de travailler à domicile, sans s’exposer au virus. Mais dans de nombreux pays, c’est le travail informel quotidien qui prédomine. Ne pas travailler, c’est se résigner à perdre son gagne-pain et donc ne plus être en mesure d’assurer la subsistance de la famille.
Et si les populations acceptent de prendre le risque de contracter le virus, elles ne pourront pas toujours compter sur un système de soin de santé efficace. En Amérique latine, par exemple, l’investissement moyen dans ce secteur est de 4 % du PIB, soit seulement la moitié de ce qu’investissent les pays membres de l’OCDE 1.
Accès inégal à la santé
Selon Shahra Razavi, directrice du département de la protection sociale de l’OIT, près de 40 % de la population mondiale n’a ni assurance maladie ni accès aux services de santé nationaux. Environ 800 millions de personnes consacrent moins de 10 % du budget annuel du ménage aux soins de santé et 100 millions de personnes sombrent chaque année dans la pauvreté à cause de dépenses médicales. En d’autres termes, nombreux·ses sont celles et ceux qui n’ont tout simplement pas les moyens de se faire soigner quand il·elles sont malades. Même lorsque cette maladie s’appelle le Covid-19.
Aujourd’hui, environ deux milliards de personnes travaillent dans l’économie informelle dans le monde. Et plus de 1,6 milliard d’entre elles ont ressenti ou ressentent encore l’impact de la crise sanitaire, notamment sur leurs revenus, qui ont parfois diminué de 60 à 80 %, selon les chiffres de l’Organisation internationale du Travail (OIT) 2. En Amérique latine, continent fortement impacté par la pandémie, 140 millions de personnes, soit 55 % de la population, sont actives dans le secteur de l’économie informelle. C’est dans ce secteur que l’on retrouve les plus vulnérables, auxquels une attention particulière devrait pourtant être accordée : les femmes, les jeunes, les paysan·nes, les aîné·es, les migrant·es, les LGBTQI, etc. Déjà fragilisés par les multiples crises sociales, environnementales, économiques et financières qui traversent nos sociétés depuis quelques décennies, ces individus devraient pourtant être les premiers à bénéficier de prestations de sécurité sociale afin de les aider à surpasser la crise qui s’annonce encore longue.
Un réseau international pour demander une protection sociale universelle pour tou·tes
WSM (ex Solidarité mondiale), avec la Mutualité chrétienne et la CSC mobilisent leurs partenaires internationaux depuis plus de dix ans autour d’un réseau international thématique sur le droit à la protection sociale. La crise du Covid-19 a démontré que ce réseau est indispensable pour que ses 86 membres puissent échanger de bonnes pratiques et mener conjointement un travail de plaidoyer auprès de leurs autorités politiques.
Organisés aux niveaux national, régional et international, ses membres sont des mutuelles, syndicats, mouvements de femmes, organisations de jeunesses et autres mouvements sociaux ; tou·tes désireux·ses de parler d’une seule voix en faveur de l’édification de systèmes de protection sociale universelle, incluant notamment aussi les travailleur·ses de l’économie informelle.
Faute d’aide, les mouvements sociaux se mobilisent !
Vu le peu de proactivité des États pour aider le secteur de l’économie informelle, les mouvements sociaux s’organisent pour faire face aux urgences. Parmi eux, des partenaires de WSM se mobilisent à travers le monde pour pallier les manquements.
- Au Népal, malgré le faible nombre de contaminations, cette crise a durement touché l’économie. Deux très importantes sources de revenus pour le pays, à savoir le tourisme et les rémitances 3, ont sensiblement diminué. Le syndicat GEFONT a exercé de fortes pressions sur le gouvernement. « Nous sommes finalement parvenus à un accord sur des mesures de soutien aux travailleurs. Nous avons obtenu une série de mesures d’aide pour les nécessiteux, les travailleurs informels et les chômeurs », affirme Ramesh Badal, son vice-président.
- En Inde, l’ensemble des partenaires de WSM ont fait pression sur l’État pour que celui-ci octroie une aide pour les travailleur·ses de l’économie informelle. Ainsi, le Premier ministre Modi leur a attribué une aide de 20.000 INR (245 euros) par mois et leur a donné un accès à un filet de protection sociale. Mais beaucoup de gens passent à travers les mailles de ce filet, en particulier les migrant·es internes (qui seraient au nombre de 130 millions). Ces gens perdent leur emploi du jour au lendemain, mais ne peuvent pas retourner dans leur village d’origine, car tous les transports publics sont paralysés. Leur seul espoir ? La distribution de colis alimentaires et de matériel de protections (masques, gants, gel) organisée, par exemple, par le NDWM 4 pour essayer de pourvoir aux besoins les plus urgents des travailleur·ses domestiques, des agriculteur·rices et des travailleur·ses du bâtiment.
- En République dominicaine, le syndicat CASC 5 a clairement fait entendre sa voix dans le débat sur le financement de cette crise du coronavirus. Sous pression, le gouvernement a consenti à élaborer des mesures pour l’ensemble des travailleur·ses enregistré·es à la sécurité sociale, en complément de la perte de salaire. Il a créé une aide « Restez chez vous » pour les groupes les plus pauvres de la population. Enfin, la caisse d’allocation sociale de la CASC spécialement dédiée à l’aide aux travailleur.ses informel·les (AMUSSOL) a obtenu que ses affilié·es puissent aussi bénéficier temporairement de l’aide gouvernementale.
- Au Bénin, les partenaires de WSM ont fait appel à des travailleur·ses informel·les pour fabriquer des postes mobiles de lavage des mains près des centres de santé, leur donnant ainsi une occupation professionnelle qu’il·elles avaient perdu à cause des mesures de confinement...
Du sparadrap au durable
Toutes ces actions « sparadrap » menées par des acteurs sociaux ne doivent pas occulter le fait qu’il faut assurer une protection durable et soutenue aux plus vulnérables.
Ne disposant pas de systèmes de sécurité sociale solides et structurés, de nombreux États à travers le monde vont se confronter dans les mois qui viennent à une augmentation exponentielle de la pauvreté.
Au niveau international, la conviction s’est confortée avec cette crise que la protection sociale universelle doit être un objectif commun à atteindre. Seule une sécurité sociale renforcée permettra aux populations de surpasser les chocs tels que celui du Covid-19. Il est urgent que les institutions politiques internationales et les États puissent concrétiser les vœux formulés, notamment dans le cadre des Objectifs du Développement durable des Nations Unies, et ainsi offrir à chacun·e une protection efficace contre tous les risques que l’on peut rencontrer au cours de la vie. Pour cela, il faudra mobiliser les ressources à l’échelle nationale et mondiale afin de parvenir à un financement durable. Enfin, nous devons faire pression auprès des autorités belges et européennes pour que les politiques de coopération au développement intègrent davantage l’appui à la construction de systèmes de protection sociale universelle. Il y a urgence à agir, pour bâtir un monde plus solidaire et résilient.
1. Oxfam, « Le nombre de milliardaires augmente en Amérique latine tandis que le continent le plus inégalitaire au monde connaît une envolée de cas de coronavirus », communiqué de presse, 27 juillet 2020.
2. ILO Monitor : Covid-19 and the world of work, third Edition. Updated estimates and analysis,
29 april 2020
3. Transferts de fonds gagnés à l’étranger que des migrant·es rapatrient chez eux·elles. Au Népal, il.elles sont plus de quatre millions de travailleur·ses à envoyer des fonds à leur famille.
4. National Domestique Workers Movement
5. Confederación Autónoma
Sindical Clasista
Santiago FISCHER, Chargé de plaidoyer et de recherche sur le travail décent à WSM (ONG du Mouvement ouvrier chrétien)
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