Après l’analyse de ses statistiques pour l’année 2003, l’organisation Médecins sans frontières s’inquiète de voir le nombre de consultations augmenter dans ses centres de santé de Bruxelles, Liège et Anvers (1). Cette réalité témoigne d’un manque d’accès aux soins médicaux pour toute une frange de la population vivant en Belgique.


Illustrés par les 10.000 consultations médicales assurées par MSF dans ses cliniques (soit 4.500 patients) (2), « ces chiffres révèlent un système de santé enlisé dans la complexité et l’incohérence auquel s’ajoute un manque de volonté de le réformer, dénonce MSF. Les zones d’ombre de la législation et le manque de coordination des soins médicaux prodigués aux immigrés illégaux au sein des CPAS ont abouti à un système disparate et incertain. La procédure en vue d’obtenir des soins médicaux diffère d’une commune à l’autre et peut être aussi efficace que ‘kafkaïenne’».
Une pratique courante dans certaines communes, par exemple, consiste à demander à un patient d’aller voir un médecin pour prouver qu’il est malade avant de pouvoir consulter un médecin qui puisse le soigner.
« Les failles de ce système ont de graves conséquences pour ceux qui ont le plus grand besoin d’aide – principalement les personnes immigrées, mais aussi les Belges les plus démunis, explique le chef de mission, Laurent Van Hoorebeke. Alors que le système de santé devrait subvenir aux besoins de chacun – y compris aux personnes en situation illégale -, la réalité est tellement bureaucratique et, dans certains cas, à ce point incohérente qu’elle constitue une menace pour la santé de milliers de personnes. »

Un labyrinthe démocratique
Le système a des conséquences non seulement sur la santé mentale et physique des patients, mais aussi sur les structures médicales de plus en plus saturées, et sur les médecins confrontés à un labyrinthe bureaucratique lorsqu’il s’agit de patients sans papiers. Les retombées financières sont également très importantes, étant donné que les patients qui ne peuvent consulter de médecin risquent de développer des complications qui les contraignent à demander ensuite des soins d’urgence plus onéreux dans les hôpitaux.
« Ce qui est incroyable, s’indigne Laurent Van Hoorebeke, c’est que l’échec du système est évitable. Dans certaines villes, des solutions pratiques ont été trouvées, mais ailleurs il n’y a pas de volonté de les mettre en œuvre. En attendant, les conséquences sont énormes, tant sur le plan humain que financier. Et nos chiffres ne sont que la partie visible de l’iceberg, car MSF limite strictement le nombre de patients accueillis dans ses trois cliniques. Le nombre de consultations reflète plutôt l’offre que la demande ». Une situation également constatée par d’autres associations (cf. encadré) qui appellent à une mobilisation politique sur le sujet.

Catherine Morenville


1 Bruxelles, rue d’Artois 46 à 1000 Bruxelles - tél. : 02 513 25 79 -
Anvers : Jacob Van Maerlantstraat 56 à 2060 Anvers - tél. : 03 231 36 41 - Liège : rue Volière, 1 à 4000 Liège -
tél. : 04 221 27 24.
2 En 2003, 4% des patients examinés étaient Belges et 70% venaient de pays hors Union européenne.

La mission MSF en Belgique

Médecins Sans Frontières a étendu son champ d’action à des groupes qui n'ont pas accès aux soins de santé ainsi qu'à des personnes aux prises avec des problèmes spécifiques du fait de leur situation comme les toxicomanes. MSF mène actuellement quatre projets en Belgique :

¸ Le projet « Accès aux soins » : assistance aux exclus
¸ Le projet « Elisa » : dépistage du sida
¸ Le projet « Mpore » : aide aux victimes du génocide rwandais
¸ Le projet « Ithaca » : information sur l’accès aux soins de santé dans les pays d’origine

Dans le projet « Accès aux soins », MSF permet un accès durable au système de soins de santé en privilégiant un accès aux soins de première ligne (médecine générale). Quatre permanences médico-psycho-sociales par semaine sont organisées à Bruxelles et Anvers et trois à Liège. La capacité d’accueil est d’environ 25 personnes par permanence à Bruxelles, et d’une douzaine de personnes à Anvers et Liège.
Lors de la première consultation, le patient est d’abord accueilli par un travailleur social qui constitue un dossier. Les données recueillies sont strictement confidentielles et servent à pouvoir réorienter les patients vers une structure existante adéquate. Le travailleur social effectue les démarches nécessaires pour faire valoir les droits éventuels du patient à la prise en charge des soins de santé. Un médecin généraliste ausculte ensuite le patient et prend toutes les mesures que requiert son état de santé (avis spécialisé, analyses de biologie clinique, examen technique, hospitalisation…). Le médecin peut également référer le patient vers le psychologue (à Bruxelles et Anvers).
C.M

Disparité de la qualité des soins : les CPAS en ligne de mire


L’accès aux soins de santé est coordonné par les Centres publics d’aide sociale (CPAS), qui sont au nombre de 19 rien qu’à Bruxelles (un par commune). Mais en raison des nombreuses zones d’ombre qui subsistent dans la législation (comme l’absence de définition de ce qui constitue un « acte médical d’urgence », une catégorie de soins gratuits prodigués aux personnes qui vivent illégalement en Belgique) et de la grande autonomie dont bénéficie chaque CPAS, la mise en œuvre de la loi varie non seulement d’une ville à l’autre, mais aussi d’une commune à l’autre. Les facteurs déterminants sont multiples, allant de l’organisation interne d’un CPAS au niveau de la demande de services.
Le CPAS de Bruxelles-Ville, par exemple, travaille avec une nouvelle carte de santé valable pour 3 mois. Cette carte porte le nom du généraliste et du pharmacien avec lesquels le CPAS a signé un accord. Une personne qui a besoin de soins médicaux peut ainsi recevoir des soins primaires et des médicaments, et son dossier est suivi par un médecin si une hospitalisation est requise.

Un système kafkayen

Les personnes qui vivent dans d’autres régions ne sont pas aussi chanceuses. De simples tâches – comme celles de communiquer les noms des médecins aux patients – ne sont même pas assurées par le CPAS, et certaines méthodes de fonctionnement rappellent les pires cauchemars de Kafka. Dans le cas du CPAS d’Anderlecht, une des 19 communes de Bruxelles, le patient doit d’abord produire un certificat médical pour ensuite obtenir les papiers nécessaires pour pouvoir se présenter à une consultation médicale. Le patient est donc obligé d’aller voir un médecin pour prouver qu’il est malade et pouvoir ensuite consulter un médecin qui puisse le soigner. Malheureusement, le cas d’Anderlecht constitue la règle plutôt que l’exception.
Le système des soins aux immigrants illégaux appliqué par le CPAS est non seulement déroutant, mais également imprévisible. Dans bien des cas, un travailleur social est envoyé au domicile du demandeur d’assistance pour vérifier qu’il est effectivement dans l’incapacité de payer des soins. La décision est souvent prise sur la base de critères extrêmement subjectifs comme le fait que la personne ait ou non la télévision.
La nature incohérente et imprévisible du système appliqué par le CPAS rend la vie du patient très difficile, mais les médecins en souffrent également. Quand il s’agit d’examiner un patient sans-papiers, le médecin doit d’abord savoir de quelle commune il provient, en plus de son statut social (les règles applicables au statut médical des immigrants clandestins et illégaux diffèrent par exemple), afin de pouvoir réclamer le paiement de sa consultation. Face à une tâche aussi décourageante, le médecin préférera simplement donner une consultation gratuite pour gagner du temps, ou, plus souvent, refusera tout bonnement d’examiner le patient.


C.M.

Source : Belgique – Accès refusé au système de santé belge, Juillet 2004-MSF

Sans-papiers et soins de santé

Les personnes gravement malades en séjour irrégulier sont souvent confrontées à des conditions de vie très difficiles. Une vingtaine d’associations médicales et d’action sociale, tant francophones que néerlandophones, se sont réunies afin d'élaborer des propositions concrètes dans les domaines de la pauvreté, de l’accès aux soins et de la sécurité. Deux groupes de travail, sur les thèmes « personnes gravement malades et séjour » et « personnes gravement malades et droits sociaux », ont constitué, en étroite collaboration, deux dossiers sur cette question. Sur la base de la jurisprudence et du contexte social, les groupes proposent le droit à l'aide sociale des étrangers « en séjour irrégulier gravement malades » et l'adoption d'un cadre réglementaire pour leur séjour. On peut trouver la synthèse de ce travail et les propositions sur le site de Medisch Steunpunt Mensen Zonder Papieren :
http://www.medimmigrant.be/nieuwe%20pagina.propositions%20politiques.fr.htm
C.M.