Voilà plus de trente ans que l’on décrit les problèmes soulevés par le vieillissement de la population. Mais les mesures à prendre restent, chez nous, au niveau des bonnes intentions. Selon Hedwige Peemans-Poullet, les causes du blocage sont bien connues. Elles sont de trois ordres : idéologiques, économiques, institutionnelles.


La population âgée dépendante, trés féminisée
Parmi les personnes très âgées, le taux de dépendance des femmes est nettement plus prononcé, ce qui s’explique par divers types de morbidité invalidante dont elles sont particulièrement victimes : rhumatismes/arthrites, varices/phlébites, hypertension, dépression… Ce taux de dépendance plus élevé se combine avec le fait que les femmes représentent plus de 73% des personnes de ce 4e âge.
La différence d’espérance de vie entre les hommes et les femmes, le divorce et le veuvage (les veuves sont quatre fois plus nombreuses que les veufs) ont pour conséquence que la population du 3e et 4e âge est largement formée de femmes vivant dans un ménage d’une personne. La population des maisons de repos ou des MRS est, elle aussi, particulièrement féminisée puisqu’elle compte quelque 70% de femmes. Enfin, soulignons que les disparités de revenus entre hommes et femmes restent importantes et, en conséquence, l’insécurité d’existence et la pauvreté frappent proportionnellement plus les femmes que les hommes du 3e âge.


Les emplois féminins du 3e âge
Si la personne âgée dépendante peut souvent compter sur l’aide de membres de sa famille, il faut cependant souligner que la dépendance liée à l’âge survient fréquemment à un moment où le conjoint, s’il vit encore, n’a plus la capacité d’aider et, où souvent les enfants eux-mêmes, déjà pensionnés, peuvent avoir des problèmes de santé ou des difficultés à assumer des charges importantes. En outre, il arrive de plus en plus souvent qu’une personne très âgée n’ait plus de descendants ou n’ait plus de descendants vivant à proximité.

Les professions qui sont impliquées dans l’aide à domicile sont, nous l’avons dit, particulièrement féminisées. Cela signifie qu’elles sont, en général, sous payées et subissent des conditions de travail médiocres. Le personnel infirmier est soumis à un taux de travail à temps partiel particulièrement élevé, c’est-à-dire nettement supérieur aux taux de travail à temps partiel dans la population féminine active occupée. Selon les statistiques de la Croix Jaune et Blanche, qui assure un peu moins de la moitié des soins infirmiers à domicile du pays (43%), 54% des infirmières, côté francophone de cette organisation travaillent moins de 32 heures/semaine (1). Celles qui ont «choisi» de travailler à temps partiel évoquent souvent l’impossibilité de faire ce travail épuisant pendant un temps plein.
Nous connaissons les difficultés de financement du secteur des soins de santé et l’impact des rémunérations des infirmières dans celui-ci, toutefois, il est clair que leurs conditions de travail et de rémunérations ne sont pas à la hauteur de leurs qualifications et de la charge de travail, ce qui est le plus souvent le cas de secteurs très féminisés. Les mêmes remarques sont applicables aux aides familiales qui ont le statut d’ouvrières et relèvent du secteur de l’alimentation (commissions paritaires). Les sources de financement des services d’aides familiales sont encore plus complexes et plus fragiles que celles du secteur des soins de santé de telle sorte que ces travailleuses ne bénéficient pas des conditions de travail habituelles (par exemple non-comptabilisation du temps de trajet entre deux familles, etc.) et sont souvent soumises à des cadences de prestations épuisantes. Nous ne poursuivrons pas la description des conditions de travail de ces services, elles sont assez connues. Nous insistons cependant sur le fait que du point de vue des travailleuses, l’autonomie économique et sociale nécessite au moins un travail à temps plein, qui permette, le cas échéant, d’obtenir un revenu de remplacement (incapacité primaire, invalidité, chômage, pension, …) presque décent.


La charge du «care» au sein de la famille
Toutes les études sur les rapports intrafamiliaux soulignent le fait que la prise en charge familiale des personnes âgées est essentiellement assumée par des femmes de la famille : épouse fille ou belle-fille, et éventuellement petites-filles. Ce rapport de «genre» se traduit par le fait que les femmes assument l’essentiel du travail gratuit comme si c’était inscrit dans leur nature. Dans les faits, le début de la dépendance d’un parent âgé se traduit par la nécessité de donner un «coup de main» pour quelques services limités, ce que les femmes de l’entourage familial assument très volontiers. Mais le maintien à domicile d’une personne âgée devenant progressivement plus dépendante dévore de plus en plus le temps de la personne aidante. On observe donc aujourd’hui qu’un certain nombre de femmes qui n’ont pas décroché du marché du travail à la naissance de leurs enfants se sentent tenues de renoncer à leur activité professionnelle pour assumer la charge d’un parent âgé dépendant. Leurs revenus personnels sont donc amputés de ces années de carrière non seulement au moment même mais également dans le calcul de leur pension et elles risquent alors elles-mêmes de devenir économiquement dépendantes à l’âge de la retraite.

Cette prise en charge privée et gratuite par un membre féminin de la famille est, une tentation pour les pouvoirs publics. Ceux-ci peuvent se permettre de ne pas décider d’organiser la prise en charge sociale de cette dépendance et de réserver les ressources disponibles à d’autres domaines plus économiques que sociaux. Chacun connaît pourtant les inconvénients de cette solution : renforcement des inégalités socio-économiques, tensions affectives intrafamiliales liées à la dépendance d’une part et à la surcharge pesant sur les épaules des femmes d’autre part, soins dont la qualification n’est pas optimale, reproduction de la dépendance économico-sociale des femmes ayant assumé ces soins. Le fait que le maintien à domicile soit aussi féminisé présente pour les femmes un grand danger, celui de l’indifférence politique ou des atermoiements dans les décisions, ou celui plus grave encore d’une préférence pour une politique familialiste permettant de réduire la socialisation des revenus et de ne pas créer les emplois nécessaires. Ce sont en effet les hommes qui décident…
Il en va de même quand les organisations syndicales prononcent leur préférence pour une réduction du temps de travail plutôt que pour une création d’emplois dans le secteur des services de l’économie sociale et manifestent ainsi leur ignorance (ou leur indifférence ?) pour ces domaines particulièrement féminins et infériorisés de la société où les besoins sociaux sont souvent rencontrés par des services où l’emploi est féminisé, mal payé, atypique et astreignant et par du travail familial gratuitement assumé par des femmes essentiellement.

Hedwige Peemans-Poullet
(résumé de l’article «Le maintien à domicile : une affaire de femmes, des décisions d’hommes… » paru dans Travailler le social n°10-11, 94-95).

1 Les chiffres donnés par la Croix Jaune et Blanche, côté francophone, datent d’août