Pour qui croit en la nécessité de la démocratie économique, il est donc indispensable de renforcer les mécanismes d'information, de consultation et de négociation. Trois événements d'actualité incitent à se pencher sur ce dossier. Tout d'abord un anniversaire: à la fin de l'année dernière, la législation belge sur les conseils d'entreprise a fêté son demi-siècle d'existence. Ensuite, un nouveau projet: la préparation d'une directive européenne sur l'information-consultation des travailleurs dans les entreprises nationales. Enfin, un bilan: celui des comités d'entreprise européens. Le fonctionnement de ces derniers est en effet en cours d'évaluation, le moment est propice pour en analyser les qualités et, hélas surtout, les faiblesses.


Pour qui croit en la nécessité de la démocratie économique, il est donc indispensable de renforcer les mécanismes d'information, de consultation et de négociation. Trois événements d'actualité incitent à se pencher sur ce dossier. Tout d'abord un anniversaire: à la fin de l'année dernière, la législation belge sur les conseils d'entreprise a fêté son demi-siècle d'existence. Ensuite, un nouveau projet: la préparation d'une directive européenne sur l'information-consultation des travailleurs dans les entreprises nationales. Enfin, un bilan: celui des comités d'entreprise européens. Le fonctionnement de ces derniers est en effet en cours d'évaluation, le moment est propice pour en analyser les qualités et, hélas surtout, les faiblesses.

50 ans
Les 27 et 28 septembre 1948, paraît au $Moniteur belge$ la “$loi portant organisation de l'économie$”. Celle-ci prévoit la création de conseils d'entreprise, dont l'objectif est d'apporter aux travailleurs une information sur la santé économique de leur entreprise. En réalité, dès les années 1920, les syndicats avaient appelé à la création de conseils de fabrique. Il faudra attendre longtemps (1950) pour que soient organisées les premières élections sociales dans les entreprises de plus de 200 travailleurs. Un millier de sociétés étaient concernées à l'époque. Aujourd'hui, elles sont plus de trois mille. Si le bilan de ces cinquante années est globalement positif, trois problèmes demeurent néanmoins. Le premier porte sur le seuil des entreprises où l'instauration d'un tel comité devient obligatoire. Actuellement, ce seuil est fixé à 100 travailleurs (voir encadré 2). En deçà de ce nombre, aucune obligation. Selon le syndicat chrétien, cela signifie que pas moins de la moitié des travailleurs du secteur privé sont.... privés d'information sur la santé économique de l'entreprise, sur son compte de résultats, sur son bilan. L'actuelle législation devrait donc être améliorée en ce sens (1).
Le deuxième problème porte sur l'adéquation entre la structure des conseils d'entreprise et celle des multinationales. Il est aisé, pour une société multinationale, d'opérer des transferts comptables de coûts et bénéfices d'une filiale à l'autre. Dans de telles entreprises, les comptes annuels officiels sont dès lors nettement insuffisants pour permettre un diagnostic sur la situation sociale et économique d'un établissement national: à ce niveau, les travailleurs ont besoin de comparaisons détaillées de coûts, productivité, investissements, rendement, etc. Par ailleurs, l'absence d'un système de conseils d'entreprise de groupe en Belgique, autrement dit un conseil compétent pour les matières qui concernent toutes les filiales belges d'un même groupe, est également une lacune importante. De tels systèmes existent et ont fait leurs preuves en Allemagne et aux Pays-Bas.
Troisième problème: le degré d'implication des travailleurs dans la vie de l'entreprise. Entre la simple information et la concertation, il y a une marge! Quel avantage pourrait-il y avoir à être informé si, par exemple, les décisions de licenciements sont prises sans aucune concertation avec les représentants élus des travailleurs? Une véritable concertation devrait s'établir sur toutes les décisions importantes quant à la politique de l'entreprise et non pas uniquement sur des questions de fermeture ou de licenciement collectif (changements de structure, délocalisations, modifications de l'organisation du travail, politique de formation, etc.).

L'Europe à la rescousse?
Depuis 1996, une directive européenne complète la législation belge par l'instauration de comités d'entreprise européens. Ceux-ci concernent les entreprises et groupes d'entreprises de dimension européenne employant plus de 1.000 travailleurs. Comme on le lira ci-dessous, la mise en œuvre de cette directive a été particulièrement fastidieuse: elle est l'aboutissement d'un processus entamé il y a une trentaine d'années! Dans le prolongement des comités européens, la Commission avait souhaité que les partenaires sociaux de l'Union européenne (UE) s'engagent à négocier un accord sur l'information-consultation des travailleurs dans les entreprises nationales. Le patronat européen, représenté par l'Union des confédérations de l'industrie et des employeurs d'Europe (UNICE), a cependant opposé un refus catégorique à toute négociation sur ce sujet en octobre dernier.

Faute de dialogue social, il revenait dès lors à la Commission d'entamer le processus législatif. Celle-ci a déposé une proposition de directive sur la table du Conseil de l'UE en novembre dernier. Puisqu'à l'instar de la Belgique, tous les pays de l'Union ont déjà instauré des procédures d'information-consultation, l'objectif de ce texte est essentiellement d'instaurer un cadre général commun aux États membres en complétant et renforçant éventuellement les mesures existantes (le Royaume-Uni et l’Irlande, par exemple, se contentent à ce jour d’un simple “code de bonne conduite”). Cela paraît d’autant plus nécessaire que l’existence de cadres juridiques nationaux n’a pas toujours empêché que des licenciements collectifs et des délocalisations soient décidés en violation des procédures d’information et de consultation.

Sanctions
La proposition de la Commission, telle que formulée actuellement, s'appliquerait aux entreprises qui comptent au moins 50 travailleurs (2). Cela diminuerait donc le seuil exigé en Belgique. Le texte demande à celles-ci d'informer et de consulter leurs travailleurs en temps utile (on se rappelle de Renault-Vilvorde) sur les sujets qui concernent directement l'organisation du travail et leur contrat de travail. Selon ce projet, chaque employeur devra informer les travailleurs:

 

  • sur l'évolution récente et prévisible des activités de l'entreprise ainsi que sa situation financière et économique;
  • sur la situation, la structure, les développements raisonnablement prévisibles de l'emploi dans l'entreprise;
  • sur les décisions qui peuvent mener à des changements substantiels concernant l'organisation du travail et les relations contractuelles.

 

Élément important du projet de la Commission: une sanction spécifique serait prévue si des décisions devaient être prises en violation grave de l'obligation d'information et de consultation. Dans ce cas, les décisions de l'employeur seraient considérées comme ne produisant pas d'effet juridique sur les relations contractuelles jusqu'à ce que la situation ait été rectifiée ou une réparation adéquate établie. Le projet européen permettrait donc d'améliorer les mesures belges au moins sur deux points: le seuil de 50 travailleurs et les sanctions en cas de violation des obligations incombant à l'employeur.
La parole est maintenant au Conseil “Affaires sociales” de l'UE où siègent les ministres nationaux. Avec onze gouvernements sur quinze dirigés à gauche, on peut espérer que celui-ci ne cherchera pas à diluer ou à retarder la mise en œuvre de ces belles intentions. Une fois adoptée par le Conseil, il faudra encore attendre deux ans pour voir cette directive concrètement appliquée.
(1) Une semaine d'action nationale est prévue sur le thème de la représentation syndicale dans les PME pour la semaine du 24 mai 1999.
(2) Ce qui exclut pas moins de 97% d'entreprises (les PME) de son champ d'application...

Un rôle pris au sérieux
Selon une étude réalisée auprès de membres des conseils d'entreprise à la demande de la CSC, les conseils d'entreprise se déroulent avec une relative régularité: 50% tous les mois, 1/3 tous les deux mois et dans 15% des entreprises plus d'une fois par mois. Dans la plupart des conseils d'entreprise, l'ordre du jour se compose de points apportés tant par les travailleurs que par les employeurs. Dans pratiquement deux tiers des entreprises, les travailleurs attestent d'un déroulement positif et constructif de cette concertation entre employeurs et travailleurs. Dans une bonne moitié des entreprises (53%), on estime que la contribution des délégués des travailleurs est prise au sérieux. L'information économique et financière est complète dans 85% des cas selon les délégués.

 

Des seuils variés
Avec un seuil de création d'un conseil d'entreprise fixé à 100 travailleurs, la Belgique reste loin au-dessus des normes appliquées dans nos pays voisins. En Allemagne et en Autriche, un “Betriebsrat” peut être instauré au niveau des établissements à partir de 5 travailleurs seulement. En Italie, une “représentation syndicale d’établissement” est possible à partir de 15 salariés. Aux Pays-Bas et au Danemark, le seuil de création d'un conseil d'entreprise est fixé à 35 travailleurs; en France et en Espagne à 50.
Chez nous, rappelle la CSC, depuis 1948, la norme de 50 travailleurs est inscrite dans la loi; par arrêté royal, la mise en œuvre a cependant été limitée aux entreprises à partir de 100 travailleurs. Il nous suffirait après 50 ans de rendre applicable l'entièreté des dispositions légales pour rattraper une bonne partie de notre retard européen.
(Sources: Journal officiel des CE, 5 janvier 1999 – CSC.)

 

L'Europe et la législation sociale
L'un des volets de l'Europe sociale est constitué de l'ensemble des lois ("directives") à caractère social adoptées au niveau de l'UE, que chaque État membre doit transposer dans sa propre législation. Actuellement ce "corpus" législatif est composé de quelque 64 directives divisées en cinq grandes catégories:
- droit du travail (8 directives portant sur des matières telles que les licenciements collectifs, le travail à temps partiel, les transferts d'entreprises, etc.)
- égalité de traitement (9 directives portant sur l'égalité de rémunérations, le congé parental, les travailleuses enceintes, etc.)
- libre circulation (4 directives)
- santé et sécurité au travail (39 directives relatives aux atmosphères explosives, à l'amiante, au bruit, aux agents biologiques, etc.)
- santé publique (4 directives portant sur l'étiquetage, le tabac, la teneur en goudron).
Pour adopter une directive, il fallait auparavant que la Commission fasse une proposition au Conseil, ce dernier étant appelé à l'adopter après consultation du Parlement européen. Depuis les traités de Maastricht et d'Amsterdam, les partenaires sociaux européens peuvent négocier eux-mêmes des accords et, lorsqu'ils aboutissent, la Commission et le Conseil en font une directive. Le rôle du dialogue social prend dès lors de l'importance. En cas d'échec des négociations sociales, la Commission demeure libre de faire elle-même une proposition de directive au Conseil (comme c'est actuellement le cas au sujet de l'information-consultation au niveau national). À ce jour, seules deux directives ont été adoptées sur la base d'un accord entre interlocuteurs sociaux: celle sur le congé parental et celle sur le travail à temps partiel (qui doit être transposée en droit national au plus tard le 20 janvier 2000).

 

Le Gavroche

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