Le Parlement européen est impliqué dans le vote d’un «paquet» de six propositions législatives destinées à répondre au manque de discipline budgétaire. Cette réforme des règles de l’Union économique et monétaire entend durcir le pacte de stabilité et de croissance et introduire des sanctions contre les États. Elle se fait dans l’urgence et en dépit des procédures démocratiques habituelles. Une réforme qui risque de creuser davantage le fossé entre les institutions, les États et les citoyens européens.




Fruit des travaux d’un groupe composé des principaux acteurs économiques européens, la nouvelle gouvernance économique développe ses premiers effets depuis le 1er janvier dans le cadre du Semestre européen « de coordination des politiques économiques et budgétaires ». Parallèlement, la plus importante révision des règles de l’Union économique et monétaire (UEM) s’inscrit dans le « paquet » de six propositions législatives, présentées par la Commission européenne le 29 septembre 2010. Cette réforme porte principalement sur le durcissement du Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Depuis octobre 2010, le Conseil européen appelle à l’adoption rapide de ces propositions législatives, ce qui entraîne un processus de négociations peu accessible aux opinions publiques européennes. L’exigence de la conclusion d’un Pacte de compétitivité par l’Allemagne a contribué à semer le trouble. Rejeté par le monde syndical, le Pacte finalement conclu entre les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro et plusieurs autres pays, le Pacte pour l’euro+, contient des engagements de réformes dans des domaines de compétences nationales. Ces réformes, basées sur des choix nationaux, sont censées améliorer la compétitivité et la convergence des pays de la zone euro. Après la campagne d’ATTAC appelant les députés européens à ne pas voter la législation durcissant les règles du PSC, l’appel lancé « contre le paquet sur la gouvernance économique» par des députés européens et nationaux ainsi que des personnalités comme Jacques Delors est l’aveu de l’existence d’un doute légitime quant à la compatibilité de la réforme avec les principes démocratiques de l’Union. Décryptage...

Déficit démocratique

L’Union économique et monétaire est un projet élitiste « top-down », conçu à la base par des banquiers centraux réunis dès 1989 au sein du comité Delors. Poursuivant dans la même voie, la nouvelle gouvernance économique porte sur le renforcement des mécanismes de surveillance et de sanctions définis par le Pacte de stabilité et de croissance. Dans l’édifice européen, l’architecture de l’UEM est un étage distinct doté d’une institution supranationale indépendante, la Banque Centrale Européenne (BCE). Impliquée dans le processus en cours, la BCE a demandé le renforcement des propositions en discussion. Selon son président, il s’agit de compléter l’actuelle fédération monétaire de l’équivalent d’une fédération budgétaire en termes de contrôle et de surveillance de l’application des politiques en matière de finance publique. 1 Le rôle de la BCE est également déterminant et déterminé dans les mesures d’austérité comme voie unique de restauration de la confiance des marchés. Le prix Nobel d’économie Paul Krugman s’interroge, non sans raison, sur la « sagesse » de la BCE dans la poursuite de ces mesures aggravant la situation.
Depuis l’adoption du traité de Maastricht en 1992 et l’organisation des premiers référendums sur les règles fondatrices de l’Union, les politologues ne cessent de dénoncer le déficit démocratique de l’Union européenne. Par la suite, l’accent avait été mis sur la nécessité de démocratiser l’Union. 2 Avec son livre blanc sur la gouvernance européenne de juillet 2001, la Commission avait tenté de doter d’une nouvelle légitimité l’action de l’Union en consultant la « société civile européenne » lors de la phase d’élaboration de ses propositions.
Près de 10 ans plus tard, la Commission décide de consulter le Comité économique et social européen (CESE) sur la nouvelle gouvernance économique, une consultation certes non obligatoire. Le CESE estime que l’approche et le calendrier choisis par la Commission: « suscitent quelques perplexités. Il s’agit là de facteurs qui non seulement portent préjudice à ce que le consensus le plus large possible se dégage autour du processus lancé dans les institutions communautaires et l’opinion publique, mais qui pourraient également obscurcir l’objet même de la coordination proposée ». L’obscurité s’est encore accrue à la suite de la proposition d’un Pacte sur la compétitivité par l’Allemagne, suivie de la France, en février 2011.

Du Pacte de compétitivité au Pacte pour l’euro +

Controversés, les principes du Pacte sur la compétitivité franco-allemande, renommé Pacte pour l’euro après sa réécriture par les services de la Commission et du Conseil européen, avaient été dénoncés les 10 et 11 mars derniers lors d’une première « Conférence sociale de printemps » réunissant des représentants de syndicats nationaux ou européens, d’ONG et de réseaux sociaux, provenant de 15 pays de l’UE (tant de l’Est que de l’Ouest). 3 Transformé finalement en Pacte pour l’euro + , la version remaniée du texte a fait l’objet d’un premier accord entre les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro le 11 mars. Après l’échec de la Stratégie de Lisbonne dont l’objectif était de transformer l’Union européenne en l’économie la plus compétitive du monde, le Pacte consiste en une série de mesures en vue d’une « coordination renforcée des politiques économiques pour la compétitivité et la convergence ». Cependant, la perspective d’une « Europe à deux vitesses » irritait les États hors zone euro. Le Pacte euro +, ainsi dénommé en ce que la Bulgarie, le Danemark, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la Roumanie y participent aussi, fut finalement adopté lors du Conseil européen des 24 et 25 mars.
L’objectif du Pacte euro+ est de rassurer les marchés financiers tout autant que de renforcer la compétitivité vis-à-vis de l’extérieur. C’est ce qu’estimait Maros Sefcovic, vice-président de la Commission européenne lors d’un échange avec le Comité d’avis fédéral belge chargé de questions européennes quand il considère que « les États de la zone euro ont fait preuve d’ambition et d’engagement, afin de garantir leur position vis-à-vis des marchés financiers, autant que leur compétitivité à l’égard des autres grandes puissances ». 4
La compétitivité, cette toujours « dangereuse obsession » ainsi que continue de la qualifier Paul Krugman, est l’objectif. L’identification des moyens pour l’obtenir est laissée à l’appréciation des États membres. Ces engagements s’inscrivent donc dans la poursuite des réformes structurelles non pas selon une approche uniforme et selon le même rythme, mais d’une manière qui se veut coordonnée et cohérente. Ces engagements doivent figurer dans les programmes de stabilité ou de convergence (PSC, présentés dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance) et dans les programmes nationaux de réforme (les PRN qui comportent les réformes en vue de la concrétisation des objectifs de la Stratégie Europe 2020). Ces plans, qui ont été présentés par les 27 gouvernements en avril-mai, ont été évalués par la Commission.

Semestre européen

Dans le cadre du Semestre européen de coordination des politiques économiques et budgétaires, la Commission a publié début juin 2011 ses orientations pour les politiques nationales ainsi que des recommandations par pays et pour la zone euro. De manière générale, la Commission considère que les États membres ont respecté les lignes directrices du rapport annuel sur la croissance, mais que des efforts supplémentaires seront nécessaires pour certains d’entre eux. Dans le cadre du Pacte euro +, plusieurs pays avaient déjà annoncé les instruments supplémentaires auxquels ils entendaient recourir. La Commission précise dans une note de bas de page que la Finlande, la Grèce, la Lettonie, le Portugal et la Slovénie n’ont pas encore précisés leurs engagements. Les recommandations par pays constituent la réponse de la Commission aux programmes nationaux (PSC et PNR). Elles ont été discutées par le Conseil emploi et affaires sociales (EPSCO) du 17 juin et le Conseil des affaires économiques et financières (Ecofin) du 20 juin avant d’être adoptées par le Conseil européen de juin 2011, moment de clôture du premier Semestre européen. Leur adoption formelle par le Conseil interviendra quant à elle en juillet. Les chefs d’État ou de gouvernement des États membres participant au Pacte euro + sont invités au suivi politique des engagements pris dans ce cadre. La Commission insiste sur le fait que ces engagements soient inscrits dans les PSC et les PNR.
S’agissant des États membres de la zone euro, la Commission européenne recommande le renforcement des Grandes Orientations des politiques économiques (GOPE) les concernant. Le traité de Lisbonne a introduit un mécanisme permettant une telle différenciation 5, auquel semble ne pas vouloir se résigner les pays hors zone euro qui ont rejoint le Pacte euro +. Dans le sillage de l’examen annuel de la croissance, un rapport présenté à l’ouverture du Semestre européen, la Commission propose d’inscrire dans les GOPE de la zone euro des réformes relevant également des politiques sociales nationales : réformes des systèmes de sécurité sociale assurant la soutenabilité budgétaire avec une attention sur l’adéquation des pensions et des allocations sociales en alignant notamment les systèmes de pensions à la situation démographique nationale ou l’ajustement des systèmes de formation et mécanismes d’indexation des salaires de manière à ce qu’ils évoluent conformément à la productivité et à la compétitivité, et cela « en consultation » avec les partenaires sociaux. La Confédération européenne des syndicats (CES) a affirmé son désaccord en rappelant que « la décision d’ajuster les mécanismes de fixation des salaires et la façon de le faire appartiennent aux partenaires sociaux eux-mêmes. Ce n’est donc pas aux gouvernements, et certainement pas à la Commission, de décider d’une réforme de ces mécanismes. L’autonomie de négociation des partenaires sociaux va bien au-delà de la simple « consultation » évoquée par la Commission ».
Enfin, aujourd’hui à l’instar des GOPE, le Pacte pour l’euro + est présenté comme un exercice de comparaison de l’efficacité des engagements pris en vue d’atteindre les objectifs convenus. La révision du pacte de stabilité et de croissance (nouveau volet du Pacte comportant une nouvelle procédure pour déséquilibre macroéconomique excessif) accroît les pouvoirs de la Commission. Cependant, la BCE considère que les mécanismes conduisant aux sanctions pourraient être renforcés. Le président de la BCE a d’ailleurs demandé aux parlementaires européens d’œuvrer en ce sens. Et les membres de la commission affaires économiques et monétaires l’ont suivi en avril dernier. À l’avenir, le non-respect des nouvelles règles pourrait conduire in fine à l’adoption de sanctions financières en tout cas pour les États membres de la zone euro. Cette perspective en elle-même pourrait suffire à imposer des « réformes impopulaires » voulues par les marchés. 6

Résistance et indignation

La gestion de la crise de la dette souveraine par les institutions de l’Union et le FMI (la Commission européenne, la BCE et le FMI, ou la Troïka) provoque des résistances. Celles-ci se manifestent soit par la montée de partis nationalistes populistes - comme les Nouveaux finlandais opposés aux plans de sauvetage de l’Union - ou l’apparition de mouvement d’indignation exprimant une demande de « démocratie réelle maintenant » face à l’impuissance du monde politique à l’égard de la tyrannie des marchés ainsi que l’exprime le mouvement des « Indignés » au départ de l’Espagne.

De l’américanisation de la gauche européenne...
La responsabilité des partis politiques de droite comme de gauche mérite d’être soulignée. En 2001, le politologue américain, Seymour Martin Lipset, a analysé l’américanisation de la gauche européenne. Après un rappel des implications de l’absence de développement d’un mouvement socialiste puissant aux États-Unis, l’auteur décrivait les transformations de la gauche européenne à partir des politiques menées notamment par le New Labour au Royaume-Uni, le parti social-démocrate allemand (SPD) et le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Il y démontrait combien ces politiques relèvent davantage d’une gauche libérale à l’américaine en mettant l’accent sur des questions sociétales, comme l’écologie, l’égalité des femmes, les droits des minorités, des homosexuels et les libertés culturelles que d’une tradition socialiste. Cela passe par l’acceptation du cadre néolibéral exigeant un État minimal ainsi que des politiques en faveur du marché et de la compétitivité. On peut ajouter qu’en signant le traité de Maastricht, ses négociateurs ont défini une doctrine économique qui de facto restreint le cadre de la confrontation politique au niveau national.

... à la naissance d’un mouvement d’indignation ?
Désormais, nombre d’Espagnols se disent « indignés ». Leur mouvement « 15 M », du nom d’un premier rassemblement organisé à Madrid le 15 mai 2011, exprime une indignation face à l’absence de perspectives tant dans le domaine de l’emploi (45 % des jeunes âgés de 18 à 25 ans sont au chômage) que dans le domaine politique. Leur désignation « les indignés » s’inspire du livre de Stéphane Hessel « Indignez-vous ». Pour cet ancien résistant et diplomate, coauteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme, « le motif de base de la Résistance, c’était l’indignation » et les raisons de s’indigner aujourd’hui ne manquent pas : « l’écart grandissant entre les très riches et les très pauvres, l’état de la planète, le traitement fait aux sans-papiers, aux immigrés, aux Roms, la course au « toujours plus », à la compétition, la dictature des marchés financiers et jusqu’aux acquis bradés de la Résistance – retraites, Sécurité sociale »… Selon lui, « pour être efficace, il faut, comme hier, agir en réseaux : Attac, Amnesty, la Fédération internationale des Droits de l’Homme en sont la démonstration ». Il appelle à « une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation de masse, le mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous ». Après les élections régionales et municipales du 22 mars qui ont conduit à une défaite du PSOE, le mouvement « 15 M » n’est pas éteint. Les jeunes Espagnols continuent d’organiser dans l’Union européenne et ailleurs des manifestations devant les ambassades de leur pays. Se réunissant par-delà les clivages politiques, des jeunes Espagnols, mais aussi des Grecs, Français, Portugais, Belges et demain peut-être d’autres expriment une indignation désespérée au fait qu’il n’y ait pas d’alternative. Idée qui renvoie au « TINA », « there is no alternative », formulé en son temps par Margaret Thatcher, selon lequel il n’y a pas d’alternative au modèle économique néolibéral et à la suprématie de la finance.
La sanction des gouvernements en place, de droite (en Italie ou en Allemagne où la Chancelière est en difficulté dans plusieurs Länder) comme de gauche (en Espagne ou au Portugal, mais aussi en Slovénie où le relèvement de l’âge de la retraite à 67 ans a été rejeté par référendum), à l’occasion des scrutins nationaux, régionaux ou locaux se vérifie dans plusieurs pays. En Grèce, l’adoption d’un nouveau plan d’austérité alors que les indicateurs économiques sont loin de se stabiliser a motivé l’organisation d’une grève générale le 4 juin dernier. Les deux principaux syndicats en appelaient à la démission du gouvernement socialiste. Après l’accord conclu entre la Troïka et le gouvernement démissionnaire portugais (avec le soutien de l’opposition), un nouveau plan d’austérité fut adopté avant les élections législatives du 5 juin. Avec seulement 39 % des voix, les conservateurs du PSD ont gagné ces élections, ce qui laisse présager l’adoption de davantage de mesures d’austérité… tandis que 40 % des Portugais se sont abstenus de voter.

Pourquoi tant de hâte ?

Il est incontestable que la nouvelle gouvernance économique modifie déjà les relations économiques entre l’Union européenne et ses États membres en exigeant des engagements de la part de ces derniers en amont de la définition des budgets nationaux. Elle modifiera également l’équilibre institutionnel si le paquet législatif devait être adopté. Depuis octobre 2010, le Conseil européen crée un sentiment d’urgence et fixe par la suite à juin 2011 l’adoption de ce « paquet ». Pourquoi tant de hâte ? Divisé, le Parlement européen entend renforcer le mécanisme conduisant aux sanctions financières après sa transformation en allié le plus déterminé de la BCE. Il s’agit là d’un curieux positionnement exprimant un soutien au principe de l’avènement de la « fédération budgétaire », évoquée par le Président de la BCE. La mutation du cadre de l’UEM en ce qui peut s’apparenter à une « fédération budgétaire coercitive » est tout sauf anodine. La centralisation proposée du pouvoir coercitif au sein de la Commission européenne en est l’élément le plus marquant. Le renforcement de ses pouvoirs par l’insertion d’un droit de proposition dont le contenu ne pourra être modifié que par une décision unanime du Conseil est potentiellement lourd de conséquences. Non élue, la Commission disposera-t-elle de la légitimité utile à imposer de sanctions financières quasi automatiques ? L’activation du critère de la dette publique en plus de celui du déficit a-t-elle un sens alors que l’austérité préconisée et qui serait pérennisée s’avère inefficace ?
Même différée de quelques jours, l’adoption du paquet législatif par une majorité du Parlement européen ne reflétant pas un large consensus serait plus que problématique. D’abord, parce que le processus d’adoption du paquet législatif comporte le risque d’être interprété comme la tyrannie d’une majorité disparate loin de refléter un choix mûrement réfléchi, assumé et compatible avec le caléidoscope des réalités et identités politiques nationales. Ensuite, parce que le paquet législatif comporte 5 règlements. Ceux-ci seraient directement applicables dans les États membres. Avec les limitations à l’action des gouvernements nationaux qu’ils contiennent, il s’agit de la parfaite illustration de l’action d’une « fédération coercitive » au sein de laquelle les lois fédérales adoptées limitent les pouvoirs des États fédérés. On peut y voir l’approfondissement du rêve hayekien du fédéralisme interétatique en adéquation avec les principes de l’ordolibéralisme allemand. 7

Perspectives

La mutation du cadre de l’UEM qu’induit le «paquet sur la gouvernance économique» ne s’effectue-t-elle pas en violation même des règles européennes aujourd’hui en vigueur ? On pourrait à tout le moins s’attendre à ce que la révision du Pacte économique se fasse dans le respect du principe de transparence tant au niveau national qu’européen. Mieux, qu’en cas de doute, il fasse l’objet d’une authentique révision préalable des traités. La révision des traités européens et des dogmes qu’ils contiennent semble être une impérieuse nécessité. Il convient en effet de clarifier le doute fondateur quant à la nature de l’Union : aujourd’hui l’Union européenne n’est pas un État et encore moins un État fédéral, ce que recouvre le concept trompeur des « États-Unis d’Europe». Si elle avait pour vocation de se transformer en une Union fédérale, cela nécessiterait une profonde révision des traités. Il est indispensable de tirer les leçons de la crise financière et de re-concevoir les traités dans une perspective susceptible de réconcilier la construction européenne avec ses différentes composantes nationales et subnationales. L’une des difficultés de la crise financière était la question de savoir qui serait le prêteur de dernier ressort. À partir de la gestion de la crise financière et du rôle de la BCE, des propositions de réformes urgentes et dessinant de nouvelles perspectives méritent d’être discutées. Il en va ainsi de la proposition de la création d’un Trésor européen capable d’émettre des eurobonds mutualisant les dettes souveraines des pays les plus endettés et libérant les peuples du poids d’en assumer seuls le fardeau et contribuant aussi à une réorientation à la hausse du budget européen favorisant l’investissement public. 8 Cette idée est reprise dans le rapport rédigé par Pervenche Berès et adopté par la commission spéciale sur la crise économique et financière du Parlement européen. Il sera soumis à la session plénière du mois de juillet. Il faut aussi mentionner l’initiative de députés allemands, membres de la commission des finances, qui proposent « une Union de compensation européenne – l’Union monétaire 2.0». Rédigée par des députés de sensibilité écologiste et de gauche, cette proposition a le mérite de prendre également en compte les enjeux sociaux et environnementaux. 9 Ces propositions sont importantes, car elles démontrent que de réelles alternatives sont possibles.
Au sein de l’élite financière européenne, l’avenir qui se profile est tout autre. La BCE n’exclut pas une révision ultérieure des traités. Son président vient même d’en esquisser les contours. Selon le discours publié sur le site de la BCE, il envisage pour l’avenir un « ministère des finances » de la zone euro. « Celui-ci ne gérerait pas nécessairement un important budget fédéral, mais exercerait directement des responsabilités dans au moins trois domaines ». 10 Il s’agirait premièrement « de la surveillance des politiques budgétaires et des politiques en matière de compétitivité »; en deuxième lieu « de toutes les responsabilités assumées généralement par les gouvernements en ce qui concerne le secteur financier intégré de l’Union, afin d’accompagner l’intégration complète des services financiers » et enfin de « la représentation de la confédération de l’Union au sein des institutions financières internationales ». Il imagine même que « les autorités européennes aient le droit d’opposer leur veto à certaines décisions de politique économique nationale. Cette compétence pourrait en particulier concerner les principaux postes de dépenses budgétaires et les facteurs déterminants pour la compétitivité du pays ». Il n’est pas sûr que cette approche soit de nature à combler le fossé qui semble devenir un gouffre abyssal entre les élites européennes et les opinions publiques européennes.
Confrontés aux limites de leur capacité d’action politique, les dirigeants européens auraient tort de se montrer insensibles à l’expression spontanée du mouvement d’indignation en Espagne, en Grèce, au Portugal, en France, en Belgique et ailleurs. Cette indignation peut être lue comme un refus de sombrer dans l’antieuropéisme tout autant que comme une impérieuse expression de la nécessité de « repolitiser le politique » et d’émanciper les structures décisionnelles tant nationales qu’européennes de la tutelle des marchés et de ses acteurs économiques et financiers. Dans ces conditions, le choix de figer dans le droit quasi constitutionnel de l’Union une doctrine économique conduisant à la dépossession partielle de la définition de politiques essentielles au niveau national laisse augurer de tumultueuses relations entre les instances européennes et nationales, d’une part, et les citoyens, d’autre part. C’est le concept même de démocratie qui s’en trouve ébranlé.

(*) Observatoire social européen


 

1. Le Monde, 31.05.2010 - http://www.lemonde.fr/economie article/2010/05/31/trichet-au-monde-nous-avons-besoin-d-une-federation-budgetaire_1365339_3234.html
2. Entre autres, Philippe C. Schmitter “How to democratize the European Union-- and why bother ?” Lanham, MD ; Oxford : Rowman & Littlefield, 2000 et Paul Magnette “ Democracy in the European Union : why and how to combine representation and Participation ? in Stijn Smismans (ed), Civil Society and Legitimate European Governance, Cheltenham : Edward Elgar, p. 23-41.
3. Communiqué de la « Joint social conference », 10 et 11 mars 2011. http://www.jointsocialconference.eu/var/www/cne/www.jointsocialconference.eu/IMG/pdf/2011_03_11_-_jsc_-_fr_-_communique_de_presse.pdf
4. Echange de vues avec M. Maros Sefcovic, vice-président de la Commission européenne chargé des Relations interinstitutionnelles et de l’administration, sur l’évolution des relations entre la Commission européenne et les parlements nationaux. Rapport fait au nom du comité d’avis fédéral chargé de questions européennes, par M. André FLAHAUT (CH) et M. Philippe MAHOUX (S), DOC 53 1412/001, 29 avril 2011, p. 4.
5.L’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne permet l’adoption de mesures entre les Etats membres de la zone euro.
6. Adoption du paquet législatif sur la gouvernance économique : pourquoi tant de hâte?», C. Barbier, Ose Paper Series, Briefing Paper N° 7, juin 2011, 17p.- http://www.ose.be/files/publication/OSEPaperSeries/Barbier_2011_OSEBriefingPaper7_juin2011.pdf
7. Friedrich von Hayek, « The Economic conditions of inter-state federalism », The New Commonwealth Quarterly, London, Vol. 5 n°2, septembre 1939, pp.131-149, reproduit dans Individualism and Economic Order, chap. 12, 1996, University of Chicago Press.
8. « Prêteur en dernier ressort et Trésor européen : dessiner un avenir à l’architecture financière de l’Union », Frédéric Ménager, Eurocité, 28 janvier 2011.
9. « Une Union de compensation européenne –l’Union monétaire 2.0 », Lisa Paus et Axel Troost, mars 2011. Traduit par le service linguitisque du Parlement allemand, le texte est en Allemand, français et anglais - http://www.axel-troost.de/article/5211.eine-europaeische-ausgleichsunion-a-8211-die-waehrungsunion-2-0.html.
10. « Construire l’Europe ? Bâtir ses institutions ». Intervention de Jean-Claude Trichet, Président de la BCE à l’occasion de la remise du Prix Charlemagne 2011 à Aix-la-Chapelle le 2 juin 2011. http://www.ecb.int/press/key/date/2011/html/sp110602.fr.html