Après avoir circonscrit le contexte historique et international dans lequel se construit la démarche du pacte associatif (Démocratie n°20), il sera ici question du processus tel qu’il a émergé en Communauté française et des perspectives qu’il offre à l’avant-veille d’une étape importante. D’ici quelques semaines, en effet, le monde politique devrait s’engager à reconnaître le rôle fondamental du monde associatif dans la construction sociale, à garantir la transparence et l’objectivité du soutien public à ce monde associatif, en termes de subsides notamment, et enfin à nouer une alliance pour lutter contre la marchandisation croissante d’une série de services collectifs.

Initialement portée par la démocratie chrétienne, avec des initiatives émanant du PSC en 1997 et 2001, l’idée d’un pacte associatif s’est imposée aux autres partis progressistes, avec des moments clés et des difficultés variables. Du côté d’Écolo, elle correspondait à la fois à l’éthos et à la réalité sociologique d’un parti dont beaucoup de membres et de cadres étaient issus de la militance associative. Du côté du parti socialiste, en revanche, les réticences étaient plus nombreuses, fondées notamment sur la rivalité historique entre services publics et dynamique associative dans la fourniture de services d’intérêt général, au premier rang desquels l’enseignement et la santé. À l’issue de deux universités d’été (en 2002 et 2003) consacrées à l’associatif comme « moteur de changement », le discours du PS s’est toutefois fait beaucoup plus conciliant : c’est désormais la rhétorique du front commun contre la marchandisation et la libéralisation qui prédomine dans les discours socialistes 1.
C’est donc sans difficulté majeure que les nouveaux gouvernements issus des dernières élections régionales, composés en doses variables de ministres socialistes, démocrates humanistes et écologistes, ont entériné l’idée d’initier un « pacte associatif transversal », commun à la Région wallonne, la Cocof et la Communauté française. Ils l’ont ainsi inscrite dans leurs déclarations politiques repectives. Sans préjuger de ce que contiendrait précisément ce pacte, les gouvernements en avaient néanmoins balisé la route (voir encadré « Quelles promesses ? »). Mais, depuis lors, la mise en œuvre du processus s’est avérée plus complexe que prévu. La volonté d’y associer l’ensemble des trois entités fédérées francophones et donc les trois partis qui y sont représentés (PS et Cdh présents à chacun des trois échelons et, faisant figure de petit poucet, Écolo, présent à la seule Cocof) n’a certainement pas accéléré le processus. Il a en effet fallu se mettre d’accord sur la méthode et constituer un comité de pilotage, à partir de neuf représentants ministériels (trois par entité).

Le petit livre vert

Étape suivante : un livre vert a été élaboré par ce comité de pilotage et envoyé aux différents conseils consultatifs dépendant des trois entités, ainsi qu’à 27 associations invitées à participer au processus – ces dernières ayant été soigneusement choisies pour constituer un échantillon de la diversité associative, tant du point de vue des secteurs d’activité que des affiliations idéologiques (voir encadré page suivante). Quant au livre vert lui-même, il s’agit moins d’une prise de position du monde politique que d’un outil d’aide à la décision et de « nourriture du débat », déclinant les différents enjeux qui sous-tendent le processus et détaillant quelques exemples étrangers, avec l’Angleterre comme référence… 2 Il s’agissait d’instruire le débat mais pas de le conclure : sur des questions litigieuses, telles que le périmètre du pacte (qui concerne-t-il exactement, qu’est-ce que l’associatif ?), son caractère unilatéral (une déclaration d’intention du monde politique) ou réciproque (un véritable pacte), son statut juridique, etc., le document évite soigneusement de trancher. Il expose plutôt les enjeux, de façon à permettre aux associations de débattre en connaissance de cause. Pour ce faire, le livre vert, qui annonçait la conclusion d’un pacte pour la fin de l’année 2006, était également accompagné d’un questionnaire demandant aux structures consultées leur avis quant à l’opportunité de conclure un pacte, ainsi qu’au statut juridique et au contenu souhaités pour celui-ci, le cas échéant. Son envoi constituait également l’annonce du point d’orgue public d’une démarche qui était restée jusque-là plutôt confidentielle : le 10 juillet, les 27 associations consultées étaient en effet invitées à venir donner au parlement de la Communauté française leur avis sur toutes les questions relatives au pacte (pendant huit minutes maximum !), et à écouter celui des quatre ministres présents : Elio Di Rupo (PS), Marie Arena (PS), Benoît Cerexhe (Cdh) et Évelyne Huytebroeck (Écolo).
D’après de nombreux participants, cet après-midi s’est révélé à la fois instructif, statique et frustrant. Instructif puisque, de l’aveu de nombreux responsables associatifs, la réflexion sur le pacte n’a pas été au centre de leurs préoccupations récentes, pris qu’ils sont dans l’urgence de la gestion quotidienne. Ce moment de prise de recul collectif était donc salutaire dans la mesure où il a permis à chacun de se faire une meilleure représentation des positions en présence, des points de contention et des possibilités d’accord, bref d’instruire et de clarifier les enjeux du débat.
Statique dans la mesure où la succession d’une trentaine d’intervenants sommés de déclarer leur position sur un même sujet avait forcément un je-ne-sais-quoi de répétitif.
Frustrant, puisque si certaines positions ont été répétées, elles ne vont pas nécessairement toutes dans le même sens, et qu’aucun débat ne suivait les prises de parole. Autrement dit, sur les questions litigieuses, on en est resté à la simple déclaration d’intention et au seul positionnement de chacun des acteurs, sans qu’aucun échange n’ait lieu qui permette à chacun de déployer ses arguments et de répondre à ceux des autres. Et la frustration née de l’absence de débat entre associations vaut a fortiori pour l’absence de débats entre ces associations et les ministres. Ceux-ci ont en effet pris la parole en clôture de la rencontre, sans qu’il soit possible de discuter leurs interventions. Par ailleurs, cette prise de parole politique s’est bien gardée d’afficher des positions tranchées… quant aux questions à trancher, et donc de dévoiler ses cartes. Ainsi, Dan Van Raemdonck, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme, déclarait-il à l’issue de la séance : « On va nous dire – en fait, on nous a déjà dit cet après-midi – que bien des choses ont été dites, qu’elles sont parfois contradictoires, qu’il va bien falloir trancher, et que c’est au politique de le faire, mais qu’aucun des ministres n’a de préconception. »

Scepticisme syndical

Au-delà des doutes exprimés sur la nature réellement participative de la démarche, le scepticisme le plus appuyé quant à la pertinence et à l’utilité du processus lui-même est en réalité provenu des syndicats. Ceux-ci craignent en effet que ce dialogue entre services publics et secteur associatif ne soit l’amorce d’un contournement de la concertation sociale « à la belge », autrement dit que les associations s’instituant elles-mêmes représentantes du bien commun, ne se substituent aux syndicats dans la défense de différents intérêts collectifs. Ils se sont également interrogés quant à l’opportunité d’ajouter un lieu de dialogue supplémentaire aux innombrables conseils consultatifs qui existent déjà pour chacun des secteurs couverts par les compétences des Communautés et Régions… Sur la crainte de contournement du dialogue social au moins, les quatre ministres se sont voulu aussi rassurants que possible et ont vigoureusement rejeté toute intention de ce genre. Pour le reste, la plupart des participants ont souligné, avec des nuances variables, tout l’intérêt qu’ils accordaient à la démarche, au-delà des divergences d’objectifs et des éventuelles peurs d’instrumentalisation. Mais beaucoup ont également souligné la difficulté à se prononcer sur un processus dont on méconnaît les objectifs… Paradoxe de la démocratie participative : afin d’augmenter la marge de manœuvre laissée aux acteurs, le politique se refuse à baliser trop clairement la route à suivre et, du coup, les usagers de cette route se déclarent incapables de juger la pertinence de son tracé !

Et maintenant

De cette possible défaillance dans la représentation des associations est née l’idée de réduire l’ambition de la démarche, et de cantonner ce « pacte » à une déclaration unilatérale du politique. C’est le sens d’une initiative parlementaire du Parti socialiste. Son chef de groupe au parlement de la Communauté française, Léon Walry, a en effet annoncé le 1er septembre 2006 l’intention des socialistes de proposer à la signature de l’ensemble des partis démocratiques, un texte provisoirement nommé « Charte d’engagement », par lequel ceux-ci s’engagent à valoriser le fait associatif selon trois axes. Premier axe : reconnaître « le rôle fondamental de la vie associative dans le développement et la tonicité de la société », sa « force d’action et d’interpellation en toute indépendance », ainsi que sa fonction « d’anticipation sociale, d’émancipation du citoyen et de création de richesse ». Deuxième axe : préciser « les droits et les devoirs réciproques des pouvoirs publics et des associations en matière de gouvernance ». Sont explicitement visées ici la transparence et l’objectivité du soutien public, notamment financier, accordé aux associations. Troisième axe évoqué : construire une « alliance entre les pouvoirs publics et le monde associatif prestataire de services à la collectivité avec pour objectif de lutter contre la marchandisation croissante des services ».
Le processus de consultations et de discussions devrait se poursuivre, avec des ambitions plus réduites à court terme : l’appellation et le concept même de « pacte » paraissent avoir du plomb dans l’aile, du fait notamment des présupposés d’engagement mutuel qu’ils charrient. D’ici quelques jours, les 27 associations qui avaient été invitées à se prononcer lors de la séance du 10 juillet seront appelées à participer à deux tables rondes – au lieu des quatre initialement prévues – et à y échanger leurs réflexions, et donc à débattre enfin, sur deux questions précises : la structuration et la représentation du monde associatif, d’une part, la manière d’impliquer le niveau local dans le processus, de l’autre. Si la seconde de cette thématique ne suscite pas d’opposition quant à sa pertinence même – les divergences porteront plus vraisemblablement sur la méthode à appliquer et le contenu exact à donner à des notions à la fois évidentes et floues telles que l’égalité de traitement –, il n’en va pas de même pour la première. C’est en effet le principe même de représentation du monde associatif que d’aucuns rejettent. Trop hétérogène et contradictoire, ce monde ne pourrait se laisser enfermer dans un mode de représentation traditionnel incarné par une espèce de « parlement des associations ». Il ne serait pas imaginable de représenter la diversité d’activités, de finalités, de tailles, de secteurs, de mode de financement au sein d’un tel « parlement ». Or, cette possibilité de représenter le monde associatif constitue un des prérequis du processus d’élaboration du pacte lui-même. Le terme de pacte renvoie en effet à un accord conclu entre deux parties ou leurs représentants. Si, du côté politique, le mécanisme de représentation ne pose guère de problèmes, c’est donc nettement moins évident du côté des associations… Si un tel pacte devait être signé, il le serait vraisemblablement par quelques dizaines d’associations importantes. Ses adversaires auraient beau jeu d’en contester la légitimité, au nom des quelques dizaines de milliers de non-signataires.
Un des objectifs avoué de la démarche socialiste réside dans la volonté d’y associer le MR, seul parti démocratique à ne figurer dans aucun des trois gouvernements concernés par la préparation du pacte. Or, de même que les initiateurs du pacte cherchent à « ratisser aussi large que possible » du côté du monde associatif et à faire adhérer au processus un maximum d’associations, de même, une adhésion politique sur un spectre aussi large que possible est-elle vue comme une garantie de pérennité des principes de ce pacte-qui-n’en-est-plus-vraiment-un. Reste à voir si cette « Charte d’engagement », sur le principe duquel aucun des autres partis n’a encore souhaité se prononcer, ne constitue qu’une étape vers un pacte plus ambitieux, à la mesure de ce qui était évoqué en début de législature, ou si elle sera le point final du processus.

Edgar Szoc

 

Quelles promesses ?

La déclaration de politique communautaire signée par le PS et le Cdh lors de la formation de la nouvelle majorité à la Communauté française en juin 2004 est relativement précise quant aux objectifs, à la forme et au contenu du futur pacte associatif. Voici les grands principes qui y étaient retenus :
– respect de l’autonomie des associations, de leur capacité critique et de la liberté de coordination entre les diverses associations ;
– complémentarité entre services publics et associations, en rappelant que ces dernières permettent de développer l’action des pouvoirs publics en exerçant des missions d’intérêt collectif ou en participant au processus de décision ;
– partenariat contractuel respectant les principes de l’action collective publique (égalité, transparence, continuité, motivation, changement, etc.) dans le cadre de la subsidiation des associations prestataires de services. Définition des principes de participation pour les associations qui défendent des intérêts spécifiques dans le processus décisionnel ;
– dialogue systématique entre pouvoirs publics et associations prestataires de services pour l’élaboration et l’évaluation des politiques. Lorsqu’un partenariat s’établit entre les pouvoirs publics et les associations, il doit s’imprégner d’un esprit de service au public, particulièrement quand il a pour objet des missions d’intérêt général subsidiées par les pouvoirs publics et déléguées à des associations ;
– non-discrimination entre associations (concernant notamment les règles générales d’agréation et d’octroi de subsides) ;
– principe d’égalité d’accès des utilisateurs aux services proposés lorsque des missions d’intérêt général sont déléguées aux associations et sont subsidiées par les pouvoirs publics.
Il était en outre précisé que le pacte prendrait la forme « d’une charte contenant des principes fondamentaux que chacune des parties s’engage à respecter. » Cet aspect bilatéral et mutuel des engagements semble aujourd’hui remis en question – même si pas complètement abandonné – devant, notamment, la difficulté de représentation du monde associatif.



1 En décembre 2003, un numéro de la revue Politique offrait un bon résumé des différentes positions progressistes en présence, quelques mois avant le lancement du processus : Denis Grimberghs (Cdh), Olivier Jusniaux (PS) et Jean-Michel Javaux (Écolo) y exposent chacun leur conception d’un éventuel Pacte. « État-associations : thérapie de couple. Vers un nouveau pacte associatif », Politique, n°32, décembre 2003.
2 Ce livre vert et ses annexes sont consultables à l’adresse : http://gov.wallonie.be/code/fr/livrevert.pdf