Comme c'est désormais le cas tous les cinq ans, la RTBF est en pleine renégociation de son contrat de gestion. Outil réglementaire qui traduit le plus concrètement les missions de service public telles qu'elles doivent être assumées par la RTBF, le contrat de gestion fait l'objet d'un débat politique avant d'être fixé et coulé en arrêté du gouvernement. Le monde associatif a pu, au moins formellement, y prendre part et faire entendre sa voix (ses voix), soit en participant aux auditions du parlement, soit en déposant des propositions ou des interpellations aux différentes parties concernées : conseil d'administration de la RTBF, gouvernement et parlement de la Communauté française 1.

Le contrat de gestion est le résultat d'une négociation entre le gouvernement et la RTBF, représentée par son administrateur général, Jean-Paul Philippot, et le président de son CA, Jean-François Raskin (CDh). Mais avant cette négociation, le gouvernement est tenu de solliciter l'avis du parlement qui doit lui remettre ses recommandations. À cette fin, le parlement peut organiser des auditions pour éclairer ses travaux. C'est ce qu'il a d'ailleurs fait en invitant une vingtaine d'experts représentant, entre autres, les familles, les usagers, les travailleurs, le CSA (Conseil supérieur de l'audioviuel), etc. Reste que le rapport qui en émane risque de peser de bien peu de poids dans la future négociation: il y a fort à parier que celle-ci ne se réduise désormais qu'à un simple dialogue entre la ministre de l'audiovisuel, Fadila Laanan (PS) et l'administrateur général. En cause, le fait que, contrairement à ce qui s'était passé lors de l'adoption du contrat de gestion précédent, la Commission audiovisuel du parlement ne formulera pas de recommandations au gouvernement. Au grand dam du MR et d'Écolo, le parlement remettra donc simplement un rapport de commission auquel seront joints des textes reprenant les points de vue, pas toujours convergents évidemment, de chaque parti 2. Autrement dit, un document sans force réelle dans les négociations qui présideront à l'élaboration du contrat. Rappelons pourtant que le décret de 1997 organisant la RTBF prévoit pourtant explicitement le vote de telles recommandations parlementaires – fût-ce majorité contre opposition. C'est donc sans exagération que peut être invoquée une confiscation du débat, et redoutée, une élaboration peu ouverte et peu transparente du futur contrat.

Environnement concurrentiel


Or, les enjeux propres au contrat de gestion de la RTBF auraient sans doute mérité qu'on ne fasse pas l'économie d'un débat aussi large que possible. À la croisée des chemins, l'entreprise publique devra, dans les années à venir, effectuer une série de choix stratégiques décisifs dans un contexte à la fois incertain et peu favorable : celui des médias audiovisuels – et particulièrement la télévision – en Communauté française. Ceux-ci constituent un marché en pleine évolution, du fait des incessantes évolutions techniques, mais aussi un marché très concurrentiel, plus qu'en Flandre ou en France, pour des raisons à la fois historiques, techniques et culturelles (couverture par le câble, présence d'opérateurs étrangers de même langue...).

Tant en radio qu'en télévision, les audiences de RTL sont supérieures à celles de la RTBF. Et la distance se creuse, même si la progression la plus spectaculaire de ces derniers mois est celle de TF1. La concurrence se joue notamment sur le terrain de l'information, domaine où la RTBF a longtemps constitué la référence, domaine également très sensible parce qu'au centre des missions de service public.

L'inquiétude des responsables de la RTBF porte évidemment sur les conséquences de cette érosion de l'audience en termes de recettes publicitaires. Celles-ci représentaient, en 2004, 22,7 % des recettes de la RTBF (soit 57 millions d'euros). Quand l'audience baisse, non seulement la demande des annonceurs risque de s'affaiblir, mais ce sont aussi les tarifs des « trente secondes de publicité » qui plongent. Pour obtenir le même niveau de recettes, il faut désormais diffuser davantage de pub – ce qui, évidemment, constitue un handicap dans la course aux téléspectateurs. C'est le cercle vicieux de la chute des audiences.

Délocalisation


Dans ce contexte, la délocalisation de Tvi au Luxembourg est perçue à Reyers comme une menace supplémentaire. S'il apparaît, comme le groupe RTL le prétend – et bien que cela fasse l'objet d'un débat juridique –, que Tvi ne relève plus du décret radiodiffusion de la Communauté française mais uniquement d'une licence luxembourgeoise et de la beaucoup moins contraignante directive Télévision sans frontière, RTL pourra échapper à de nombreuses obligations qui continueront à s'appliquer légalement à la RTBF, et que le contrat de gestion vient encore alourdir. En termes de qualité de l'information, de protection des journalistes, de diversité culturelle et de publicité, ces balises – auxquelles RTL pourrait ne plus être soumise – sont loin d'être anodines. Y figurent pêle-mêle des obligations telles que : assurer l'information par des journalistes professionnels sous contrat, reconnaître une société de journalistes, respecter les règlements du CSA et lui présenter un rapport annuel, contribuer à la production d'œuvres audiovisuelles, réserver 10 % de la diffusion à des œuvres dont la version originale est en français, respecter la réglementation en matière de signalétique, etc. Mais c'est surtout en matière de publicité que risquent de tomber les garde-fous. En effet, si le décret radiodiffusion cessait de s'appliquer à RTL, ses chaînes pourraient échapper à diverses interdictions : celles de l'interruption des JT et émissions pour enfants par la pub, du parrainage des émissions pour enfants, de la publicité pour les médicaments de comptoir ou les boissons alcoolisées, et du partage des écrans entre programmes et publicité (nouvelle technique par laquelle la « réclame » s'attaque non plus au temps du programme mais à l'espace de l'écran : celui-ci est partagé en deux parties diffusant, pour l'une, la suite normale des programmes, pour l'autre, un contenu publicitaire !).

Cette concurrence frontale avec RTL ne peut cependant occulter d'autres types d'inquiétudes plus fondamentales quant aux modes de financement. La télévision restera-t-elle un vecteur important du marché publicitaire ? C'est une question à laquelle certains observateurs des médias et des marchés apportent une réponse négative, estimant que le marché publicitaire de la télévision est en régression structurelle au profit d'autres médias, notamment l'internet. Ainsi, aux Pays-Bas, on discute au parlement de la question de supprimer la publicité sur la télévision publique non seulement parce qu'elle déplaît à certains publics mais aussi parce qu'elle ne serait, à terme, plus une source importante de recettes. Et le cas n'est pas isolé : en Flandre, la VRT vit sans publicité commerciale, de même que la vénérable BBC au Royaume-Uni ou la SVT en Suède.

Avec l'arrivée de nouveaux opérateurs sur le marché, intégrant internet, télévision et téléphonie, le paysage concurrentiel pourrait, à terme, être profondément modifié (cf. La fin de la télévision). De plus, le développement de services non linéaires de télévision à la demande risque de changer considérablement la donne. Autrement dit il est possible que, dans un futur plus ou moins proche, le marché de la télévision linéaire (classique) soit nettement réduit au profit d'autres médias ou d'autres usages de la télévision, très différents de ceux qui dominent encore actuellement.

Crise d'identité


Depuis plus d'un an, cette inquiétude économique des responsables de la RTBF va de pair avec une certaine fébrilité quant aux orientations à donner à l'offre, surtout dans le domaine télévisé: les grilles de programmes sont modifiées à la hâte, des émissions sont supprimées puis réintroduites ou leur horaire change en pleine saison... Le style de certaines productions semble marqué par le mimétisme du privé – C'est du Belge, le « magazine hebdomadaire de la monarchie et des noblesses » en constitue l'exemple emblématique – et quelques programmations pour le moins malheureuses ont eu des effets désastreux en termes d'image : le même C'est du Belge programmé le soir où RTL a diffusé Auschwitz, les nazis et la Solution finale... qui a cartonné ! Nombreux sont ceux qui pensent que la RTBF n'assume et n'affirme pas assez sa différence. Sans compter que l'espèce de course qui semble s'être instaurée avec la concurrence privée ne se traduit même pas par une hausse significative de l'audience.

Les critiques du public, du monde politique et du secteur associatif trouvent un écho à l'intérieur même de l'entreprise. Les professionnels, déjà perturbés par le plan Magellan, perçoivent cette crise d'identité sur le terrain concret de leurs métiers. En janvier 2005, la grève, déclenchée au départ d'une question administrative, a débouché sur un appel à retrouver l'identité et la fierté du service public. C'est donc avec de fortes attentes qu'a été accueilli, en avril, celui que la presse désigne comme le « messie » de Jean-Paul Philippot: Yves Bigot, directeur des programmes de France 4, est le nouveau directeur des antennes de la RTBF.

Les positions


Puisque la négociation risque de se résumer à un rapport de forces entre deux protagonistes seulement, autant connaître leurs positions de départ ! Pour Jean-Paul Philippot, la RTBF subit très durement la concurrence sur le marché publicitaire, et la délocalisation de RTL représente une menace : dans ces conditions, un contrat de gestion tatillon lui serait gravement défavorable. Pour les mêmes raisons, il souhaite permettre à la RTBF d'engranger davantage de recettes publicitaires en faisant sauter le « verrou des 25 % ». Actuellement, le décret RTBF précise en effet que les recettes publicitaires ne peuvent excéder 25 % du total des rentrées. L'administrateur général demande ainsi une révision du décret pour lever ce plafond et, plus généralement, un contrat de gestion conçu comme un contrat de confiance, avec des objectifs plutôt que des obligations. Sur l'aspect publicitaire de sa requête, l'ensemble des partis démocratiques s'est positionné favorablement, à l'exception d'Écolo.

Quant à la ministre de l'audiovisuel, Fadila Laanan, elle a fait de la diffusion culturelle l'axe fort de ses propositions : création d'Arte Belgique (2,6 millions d'euros par an), dont l'aspect le plus visible sera un décrochage quotidien de 20h15 à 20h45 – une demi-heure d'Arte belge en quelque sorte –, soutien à la création par le renforcement des coproductions, captation et diffusion d'événements culturels, etc. En ce qui concerne la publicité, la ministre a annoncé qu'elle envisageait de lever le fameux verrou des 25% (soit en modifiant le décret, soit en faisant sortir du calcul les échanges promotionnels) mais qu'elle souhaitait néanmoins limiter le volume horaire de la pub. Quant à la suppression de l'interdiction de la publicité cinq minutes avant et cinq minutes après les émissions pour enfants, la ministre s'est montrée hésitante sur le sujet.Rendez-vous à la rentrée de septembre pour soupeser le résultat final et apprécier l'équilibre subtil entre autonomie, contraintes financières et contrôle politique auquel les tractations actuelles seront parvenues...

Bernadette Wynants et Edgar Szoc


1 Un mode d'emploi de la participation est disponible sur le site http://www.consoloisirs.be Bernard Hennebert, qui est à l'origine du site, a également publié aux éditions Aden, « La RTBF est aussi la nôtre. Aux citoyens d'agir auprès des décideurs politiques pour que la RTBF redevienne un vrai service public ».

2 Ce rapport, ainsi que les prises de position des partis qui y ont été jointes, est disponible sur le site du parlement de la Communauté française : http://www.pcf.be

Le cadre légal


La RTBF est soumise à plusieurs niveaux de régulation :

– la directive Télévision sans frontière (TSF – en révision à l'UE 1), comme tous les opérateurs privés ou publics européens ;

– le décret de la Communauté française sur la radiodiffusion, qui fixe les obligations de tous les opérateurs audiovisuels, privés ou publics, de la Communauté française;

– le décret de 1997 de la Communauté française (modifié en 2002 et en 2005) qui fixe le statut, les missions et les grands cadres de l'organisation du service public de la RTBF ;

– le contrat de gestion conclu entre la Communauté français et la RTBF, qui traduit les missions de service public en modalités concrètes à mettre en œuvre par la RTBF en contrepartie de sa dotation (178 640 600 euros en 2004).

Le nouveau contrat de gestion prendra cours le 1er janvier 2007 pour une durée de cinq ans.


 1 Le projet de directive tel qu'il est déposé au conseil des ministres pourrait provoquer un réel dumping du cahier des charges entre les États membres : autorisation de nouvelles formes de publicité et de parrainage, suppression des quotas de diffusion d'œuvres européennes, flou sur la question du pays d'origine, etc. Ainsi, par exemple, lors d'une discussion entre ministres européens en charge de l'audiovisuel, ce 18 mai, les participants se sont montrés favorables à la proposition de la Commission de simplifier les règles sur la publicité : celle-ci prévoit notamment de supprimer l'obligation pour les diffuseurs de ménager au moins vingt minutes entre les pauses publicitaires.

Magellan


Depuis octobre 2002, la RTBF est entrée dans un processus de changements rapides et profonds. Le Plan Magellan a été conçu pour répondre à une crise financière et organisationnelle avec l'ambition d'en faire un projet de redéploiement et de réinvestissement plutôt qu'un plan de restructuration. Il s'est traduit par un repositionnement des chaînes télé et radio (naissance de Pure FM et transformation de « Radio 21 » en « Classic 21 »), une nouvelle structure organisationnelle, un plan social qui prévoyait une importante réduction des effectifs et des investissements immobiliers et techniques (supportés en partie par la Région wallonne et la Cocof). Les changements d'affectation, la délocalisation de certaines équipes, les modifications des lignes hiérarchiques et les difficultés de faire face aux tâches avec moins d'effectifs ont pesé et pèsent encore lourdement sur certaines catégories de personnel. On ne procède évidemment pas sans conséquences à 470 départs volontaires et 600 mutations.