Le « code de la rue » que la ministre de la Mobilité, Mme Isabelle Durant, a présenté en conseil des ministres constitue une révision de certains points du code de la route en faveur des usagers non automobilistes. Il s’agit d’un texte qui a déjà une longue histoire et plonge ses racines en mars 1988, à l’époque où l’ARAU organisa une « école urbaine » sur le thème « Du code de la route au code de la rue ».


Sources et acteurs
L’appellation « code de la route » est une facilité de langage qui couvre un ensemble des textes légaux (lois, arrêtés royaux et ministériels, ainsi qu’une convention internationale). Les acteurs publics, ceux qui rédigent et adoptent ces textes, sont les ministres, les parlementaires, les fonctionnaires. Tous partagent une idéologie insérée dans le système économique qui est le nôtre. Et le secteur automobile en est un pilier… Le lobbying des producteurs de voitures est une réalité quotidienne auprès de tous les niveaux de pouvoirs : depuis la commune jusqu’aux organes de l’Union européenne. Et la presse vit aussi de la publicité quotidienne du secteur… Il est donc bien difficile de penser et de vivre autrement. Les gestionnaires de voiries ont une influence considérable sur l’organisation et la configuration de l’espace public et la qualité de la vie urbaine. Comme les ingénieurs, ils sont soucieux de fluidité et de sécurité, mais paraissent totalement indifférents à ce qui n’est pas la voiture et le traitement des conflits entre la voiture et les piétons et cyclistes. Je pense à cette « végétation exubérante » des poteaux de signalisation, d’éclairage, de feux… Imaginons un seul instant ce que serait votre rue sans poteau, ou avec seulement quelques réverbères… Une des conclusions de l’« école urbaine » de l’ARAU peut s’exprimer de la manière suivante : « Tout ce qui sert à la voiture, doit se situer dans l’espace occupé par la voiture ». Imaginez un seul instant la commodité extraordinaire des trottoirs et des places publiques dont serait banni cet encombrement constant qui se fait toujours au détriment du piéton. Faut-il ici rappeler que 40 % des déplacements à Bruxelles se font à pied ? Sur des trottoirs qui sont parfois de véritables tôles ondulées puisque le pavement s’abaisse pour permettre l’accès au garage des immeubles… Voilà pourtant une réformette technique : mais quelle opposition fondée entre autres sur la suppression nécessaire de quelques emplacements de stationnement et sur le froissement des carrosseries !
Autres acteurs très liés : les forces de police et la Justice… Fluidité, priorité accordée à la voiture sur les autres usagers de la voie publique. Clémence des juges. Il est moins coûteux d’écraser par hasard l’amant de sa femme en voiture que de l’assassiner au couteau…
Et enfin, dernier foyer de résistance, les conducteurs eux-mêmes qui doivent se conformer au code de la route. Ou tout simplement au respect de l’autre, piéton, cycliste et autre usager… Car, la puissance des engins de déplacement dans laquelle se sont investies les économies et les rêves de libération (d’égalité sociale) par la vitesse sont contredits par la présence de l’autre s’exprimant par des règlements perçus comme non fondés sinon erronés.
Ainsi donc, la transformation du code de la route en code de la rue ne peut être un long fleuve tranquille. Le rapport de forces entre partisans de la voiture privée à tout va et les tenants d’un usage modéré, plus civilisé, plus ouvert est déséquilibré, y compris dans le chef des pouvoirs publics. Et pourtant une évolution vers plus de respect des autres, non seulement de tous les usagers de la voie publique mais aussi de tout ce qui respire, exige une révision urgente.

Hiérarchisation

Pour que le comportement des usagers de la rue soit différent de leur comportement sur route, il faut qu’ils sachent clairement où ils sont et quelles sont les obligations qui découlent du lieu où ils sont. Le système proposé est donc le suivant : dans tout le périmètre d’une agglomération grande ou petite la vitesse est limitée à 30 km à l’heure sauf sur les axes où l’autorité compétente décide en fonction des caractéristiques de la voie qu’une vitesse supérieure est permise. La ville est en « zone 30 généralisée » (sans travaux d’aménagement particulier) ou en « agglomération renforcée » où la vitesse ne serait plus à 50 km à l’heure mais à 30. L’introduction du « code de la rue », bien légère innovation quand on y regarde de près, suscitera mille et une oppositions. Toute innovation démocratique produit des résistances. Mais la démocratie ne se donne pas, elle se conquiert. Et il en sera de même dans la question de la mobilité où les changements devront s’opérer à de multiples niveaux.

René Schoonbrodt

Les grandes lignes du nouveau code de la rue soumis au Conseil des ministres


--> Plus de temps pour traverser la route
Demander aux gestionnaires de voiries d’augmenter le temps laissé aux piétons pour traverser la rue. On considère actuellement qu'un piéton traverse une rue à du 1,5 m/seconde (5,4 km/h). Dans le nouveau code de la rue, il sera proposé 1m par seconde (ce qui correspond à 3,6 km/h), ce qui devrait laisser plus de temps pour traverser.
--> Priorité de droite maintenue
Actuellement, lorsqu’un automobiliste freine et s’arrête à un carrefour, il perd sa priorité. À l’avenir ce ne sera plus le cas, afin «d’encourager les comportements prudents.»
--> Agglomérations rurales égales des zones 30
Les gestionnaires qui le souhaitent pourront assimiler les petites communes rurales à des zones 30 (30km/h maximum).
--> Route à deux bandes : dépassement interdit
Il sera interdit d’approcher un véhicule à l’approche d’un passage pour piétons sur les routes à deux bandes. De cette manière, les accidents causés par le manque de visibilité seront évités.
--> Priorité absolue au tram
Même si la règle veut que le tram soit prioritaire, de nombreux automobilistes hésitent en fonction du cas de figure. Le code de la rue vise à lui donner une priorité absolue.
--> Des trottoirs fictifs
Pour protéger les usagers faibles, la ministre Durant souhaite que là où il n’y a pas de trottoir, l’automobiliste doive laisser un mètre de distance entre lui et le piéton lors du dépassement.
--> Nouveaux panneaux à l’entrée des communes
Afin d’améliorer la visibilité des entrées en agglomération, le remplacement progressif des actuels panneaux par des panneaux colorés (bleus), plus visibles et uniformes sera organisé. Sur ces panneaux, le dessin d’une agglomération et le nom de la commune.
--> Ralentir en présence d’usagers faibles
Et cela même si les conditions atmosphériques et autres sont optimales.
--> Plus de liberté pour le juge
Le code de la rue stipulera que les usagers dits faibles doivent être protégés (leur cas sera mieux pris en compte par le juge) et établira la distinction entre rue (en agglomération plus conviviale, avec la présence de piétons, etc.) et route (réservée aux voitures).