La publicité, qui a envahi notre espace visuel et sonore, apparaît trop souvent comme un moteur de la surconsommation. Elle nous pousse parfois à adopter des produits peu favorables au développement durable. Il faut donc rester attentif aux dérapages. Démocratie analyse ces dérives et ébauche quelques pistes de solution à travers un dossier réalisé par le réseau éco-consommation.


Des indicateurs précis manquent pour objectiver l'impression que la publicité est de plus en plus envahissante. Néanmoins, il est indéniable que la pression publicitaire croît régulièrement. L'augmentation des investissements dans la diffusion des messages publicitaires est d'ailleurs une réalité chiffrable : en Belgique, l’ensemble des dépenses pour la diffusion de publicités dans les mass médias est passé de 40 milliards FB en 1993 à 73 milliards FB en 2000 (1.8 milliards d’euros), soit une augmentation de 75% en 7 ans. Ces dernières années, la Belgique enregistrait une croissance exponentielle de ces dépenses, atteignant 8,2% en 2000 (1). Cette croissance a été de 7,9 % en France, entre 1999 et 2000 ; année pour laquelle la France enregistrait un total des investissements de 190.6 milliards de FF (29 milliards d’euros).
D'après les dernières estimations, cette croissance se ralentit en 2001, mais se poursuit néanmoins. Les événements du 11 septembre ont ébranlé momentanément le secteur, soucieux pour un temps d'éviter les publicités choquantes : réaction salutaire, mais très conjoncturelle… Toujours est-il qu'au fil des ans, la croissance de la pression publicitaire s’est traduite par un envahissement de l’espace visuel et culturel de la société et du quotidien des citoyens. Les capacités de perception visuelle, sonore et mentale des personnes sont ainsi accaparées, au détriment peut-être de connaissances et perceptions plus fondamentales.
Au-delà d’un certain seuil de communication pouvant être jugé nécessaire pour la bonne santé des entreprises, cette quantité croissante de publicités constitue une pollution virtuelle mais également matérielle, dommageable pour l’environnement. En outre, l’ensemble de ces publicités a pour effet d’inciter à la surconsommation. Il est frappant de constater que le total des montants investis en 2000 dans les médias belges, correspond au total des dettes impayées de la population surendettée de ce pays (70 milliards BEF en 2000).
Les citoyens ne sont pas toujours conscients que la publicité, ils la paient, dans le prix d’achat de tous les biens et services qu’ils se procurent. Ce gaspillage leur est aussi imposé. Mais cet aspect économique est trop peu médiatisé et surtout trop peu documenté à l'heure actuelle, alors qu'il pourrait constituer un levier important pour mobiliser le pouvoir de pression des consommateurs.

Quid du développement durable ?
Non seulement la publicité elle-même provoque beaucoup de pollution et de gaspillage, mais de plus elle incite à acheter des produits inutiles ou dont la production et la consommation ne sont pas conçues dans une perspective de développement durable. La publicité est souvent utilisée pour susciter de nouveaux désirs, présentés comme des " besoins ". C'est le cas par exemple des lingettes de nettoyage. À grand renfort de marketing, le marché de ces produits jetables se développe, alors qu'existent des alternatives réutilisables. Les lingettes nettoyantes jetables provoquent beaucoup de déchets et s'avèrent coûteuses à l'usage. Un autre exemple : l’eau vendue en bouteille. Les publicités montrent toujours des bouteilles en plastique, jamais des récipients consignés. Voilà bien un produit pour lequel existe une alternative de qualité, générant moins de pollution et moins coûteuse : l'eau du robinet !

Influence sur les comportements
La publicité a-t-elle une influence sur les comportements ? Ici encore les indicateurs manquent, mais si tant de moyens sont consacrés à la publicité, c’est que ses effets sont perceptibles, directement ou indirectement : soit pour qu’il s’agisse d’imposer une marque dans les esprits (branding), soit pour maintenir des parts de marché, soit encore pour lancer un nouveau produit. Prenons le cas des voitures et des GSM : le modèle de consommation dominant dans la société, véhiculé par la publicité, marginalise ceux qui n’en possèdent pas. De plus, l’’effet de mode véhiculé par la publicité induit et pousse les consommateurs à renouveler leurs biens au lieu de les réparer. In fine, certains comportements peu respectueux de l’environnement s’en trouvent renforcés.
En conséquence, parallèlement à l’augmentation de la pression publicitaire, la croissance de la consommation des ménages a un impact négatif sur l’environnement du fait de la quantité de déchets produits, de l’augmentation des émissions de CO2 et des pollutions en général. Pour inverser ces tendances et réorienter notre économie vers un développement durable, nos habitudes de consommation devraient être détournées du quantitatif (acheter plus, utiliser plus, jeter plus) vers le qualitatif (mieux consommer). Enfin on ne peut continuer plus longtemps à faire l’impasse sur la question de consommer moins.

Information "non marchande"
Défendre une telle réorientation de l’économie devrait pouvoir se faire sans utiliser pour autant une gabegie de moyens semblable à ceux de la culture-pub. L’argent dépensé par les pouvoirs publics à des fins de communication doit pouvoir réellement servir à des messages éducatifs, utiles et encourageants pour tous ceux qui essayent d’être des consommateurs plus responsables. Or, l'omniprésence de la publicité occulte les efforts entrepris par les pouvoirs publics et le monde associatif, pour faire adopter par les citoyens des comportements de consommation responsables, économes en énergie et en matières premières, pour qu’ils choisissent des produits fabriqués de manière moins polluante, dans le respect des droits sociaux et générant moins de déchets.

Faire émerger du flot croissant de messages publicitaires, des messages de consommation responsable nécessite le déploiement de moyens de plus en plus importants, et ce aux frais du contribuable. Comme les messages publicitaires et les messages socio-éducatifs servent des intérêts divergents, la diffusion d’injonctions en tous sens génère beaucoup de confusion et de perplexité dans les esprits. Elle provoque aussi des dérives d'ordre moral, car pour que leurs messages émergent de cette mêlée, certains n'hésitent pas à utiliser des moyens peu scrupuleux tels que les images de violence et de sexe, avec l'impact tant de fois dénoncé déjà sur les préjugés et sur les comportements sexistes. Les jeunes en particulier sont une cible privilégiée et vulnérable des publicitaires. Pour ce public spécifique et d'une manière générale pour tous les publics, les messages éducatifs ne devraient pas être mélangés à des messages commerciaux.

Moyens de pression
Des moyens de recours existent, il faut les renforcer. Pour mémoire, en Belgique fut créée en 1997 une " Commission pour l’étiquetage et la publicité à caractère écologique " (CEPE), dans le cadre du Conseil de la Consommation qui orchestre la concertation sociale en matière de consommation. Les organisations de consommateurs et d’environnement participent activement à cette commission paritaire. Celle-ci a élaboré un code éthique en matière de publicité à caractère écologique, et évalue son application. Le Jury d'éthique publicitaire assure le traitement des plaintes. Parmi les nombreux enseignements qu’on peut tirer de cette activité, on peut regretter le fait que le champ d'application du code soit trop restreint. La publicité devrait être examinée de manière plus large car la pression du marketing s’exerce à l’égard de tout bien, avec des conséquences sur l'environnement.
Les consommateurs peuvent donc porter plainte auprès de la CEPE pour des publicités usant abusivement d'arguments environnementaux, ou plus généralement, auprès du JEP directement pour toute publicité choquante d'un point de vue éthique. Il faut savoir que les plaintes en matière de publicité aboutissent rarement. Le temps que la plainte soit traitée, la campagne publicitaire incriminée arrive souvent à son terme, et une éventuelle recommandation de retrait à l'annonceur arrive en général trop tard. De plus, l'annonceur n'est jamais forcé de suivre la recommandation du JEP, on l'a vu dans le cas d'une campagne d'Adecco Interim qui montrait un patron se déshabillant. On constate donc que sans sanctions possibles, l'auto-régulation du secteur ne suffit pas. Cependant, les plaintes restent un moyen d'expression et de pression important pour les consommateurs. Elles permettent de rendre publics le nombre et la nature des réactions aux publicités.

Les professionnels s’interrogent aussi
Cette question du sens de la publicité taraude aussi certains représentants du secteur de la publicité. Ainsi, le directeur d’une agence de publicité, Bruno Vanspauwen a récemment publié un livre intitulé "Waarom reclame niet werkt ?", dans lequel il préconise des méthodes de marketing plus respectueuses des clients. Les médias, pourtant très dépendants de la publicité pour leur survie, n’échappent pas à ce mouvement de fond : chaque jour dans les journaux, des voix se font entendre pour critiquer des publicités ou des pratiques publicitaires. Quant aux annonceurs, beaucoup sont affiliés à des groupements professionnels qui prônent l’éthique des affaires, la responsabilité sociale des entreprises. Certains expriment leur agacement de devoir dépenser tant d’argent en publicité simplement pour "rester présents" face à leurs concurrents et ne pas perdre des parts de marché. Ils se sentent pris dans une spirale infernale que plus personne ne contrôle.
Toute analyse critique de la publicité se heurte à un obstacle de taille : celui du modèle culturel qu'il est difficile de remettre en cause sans paraître ringard ou doctrinaire. La publicité est souvent présentée comme la "culture jeune", porteuse de talents créatifs. De l'autre côté, la culture est de plus en plus envahie par la publicité (spectacles, concerts et autres événements culturels sponsorisés). On pourrait en dire autant du monde sportif ou d'autres secteurs qui ne peuvent désormais plus exister sans la publicité. Il est possible de développer d'autres valeurs culturelles : par exemple, c'est toujours avec plaisir que l'ensemble de l'opinion publique constate que des changements d'habitudes de consommation ont un effet bénéfique sur l’environnement. Personne n’échappe à la recherche de sens, c'est pourquoi le développement durable est un projet éminemment humaniste. Changer de paradigme, inventer un nouveau modèle social, peut constituer un projet de société enthousiasmant : après avoir fait beaucoup appel à la raison, la mise en œuvre du développement durable devrait faire plus appel à la créativité, au monde culturel. Le secteur de la publicité lui-même pourrait contribuer à ce changement en mettant ses formidables talents au service de l'intérêt général.

Pistes de recherche et propositions

1. Concertation sociale
Le thème de la publicité dans la perspective du développement durable devrait faire l'objet d'un très large débat entre tous les acteurs concernés : représentants des agences de publicité, annonceurs (producteurs, distributeurs), médias, pouvoirs publics, organisations de consommateurs et d'environnement, ONG. Cette idée a été formulée en juin 2001 au symposium "Rio+10" organisé par le Conseil fédéral du développement durable (CFDD). Elle a suscité une très large adhésion. Le gouvernement fédéral pourrait soutenir le CFDD dans la mise en œuvre d’une telle concertation, qui fait partie de ses missions.

2. Fiscalité
Une piste fiscale pourrait être explorée, car force est de constater que dans les conditions actuelles, les entreprises n'ont aucun intérêt financier à faire moins de publicité. Tous les investissements en la matière sont comptabilisés comme frais généraux déductibles. Un seuil pourrait être fixé au-delà duquel les dépenses publicitaires ne pourraient plus être déductibles, et seraient donc taxées au même titre que les bénéfices. Certains avancent même l'idée d'une taxation dissuasive, une forme d'écotaxe visant à limiter les dépenses publicitaires. La faisabilité d'une telle mesure doit être étudiée plus avant.

3. Information et recours
Enfin les statistiques sur les investissements publicitaires sont difficiles à réunir et à analyser par secteur d'activité (2). C'est pourquoi un Observatoire de la Publicité, indépendant du secteur professionnel, devrait être mis sur pied au niveau européen et de chaque État. Cet observatoire serait chargé du contrôle de l'activité publicitaire et de ses évolutions. Il aurait pour mission d'émettre des recommandations en vue d'une régulation de l'activité publicitaire de manière à rendre celle-ci plus compatible avec le développement durable. Il comprendrait une commission chargée de traiter les plaintes, et dotée de moyens de contrainte, voire de sanctions. Dans le cadre de cet Observatoire, des documents d'information pourraient être élaborés à l'attention du grand public (notamment via un site internet), comme, par exemple, ces figures graphiques montrant la part que l'on paie pour la publicité en achetant des biens de consommation courante. Une telle information reste toutefois à construire et nécessite une récolte et un traitement des données appropriés.
Une proposition, dont l'efficacité est à vérifier (par exemple sur base d'une expérience pilote), est de créer dans les principaux médias audio-visuels des espaces distincts pour la publicité d'une part, et pour des messages d'intérêt général d'autre part, et que cette distinction soit clairement perceptible. Ainsi le public pourrait mieux faire la part des choses entre les deux types de communication, dont la succession crée parfois des contradictions absurdes.

4. Culture
Sur le plan culturel, les pouvoirs publics pourraient accorder une priorité au soutien d'initiatives artistiques porteuses de valeurs compatibles avec le développement durable (par exemple, des parades ou autres réjouissances urbaines thématiques). Des limites au sponsoring d'événements culturels devraient peut-être être envisagées.

5. Coordination
Dans chaque État membre, une coordination interministérielle devrait être prévue pour assurer la cohérence de différentes politiques qui concernent la publicité d'une manière ou d'une autre. Prenons l'exemple récent d'un avant-projet d'arrêté royal émanant de la ministre fédérale de l'Environnement, Magda Aelvoet, et qui vise la recyclabilité du papier. Cet avant-projet propose notamment d'interdire que soient joints aux magazines publicitaires ou journaux, des objets promotionnels n'étant pas en papier (cartes en plastique, CD, etc). D'une certaine manière, cette initiative - assez mal accueillie par les secteurs concernés - s'inscrit autant dans une politique de régulation de la publicité que de mesures strictement environnementales.
Enfin, la législation européenne garantissant la libre concurrence, il sera nécessaire d'examiner la faisabilité de telles mesures dans le respect des directives européennes concernées. On peut rappeler à ce sujet le recours de l'Allemagne et des cigarettiers auprès de la Cour européenne de justice, qui leur a donné raison en rendant caduque la législation européenne visant l'interdiction de la publicité pour le tabac. Les observateurs ont dénoncé à cette occasion le fait que les jugements de cette instance sont souvent rendus en fonction des plaintes d'industriels, sans aucune voix en contre-sens. Les tenants de l'interdiction de la publicité pour les enfants à la télévision ont aussi dû constater que cette mesure n'a pas pu être discutée durant la Présidence suédoise de l'UE, contrairement à ce que le gouvernement suédois avait annoncé préalablement. Pourtant, en Suède comme dans d'autres États, des mesures sont prises pour tenter de mettre certaines balises au flux publicitaire. Les difficultés prévisibles de relancer un tel débat sur la régulation de la publicité au niveau européen appellent donc à la prudence, certainement pas au fatalisme…

Texte rédigé par Antoinette Brouyoux et issu d’une réflexion collective au sein du réseau éco-consommateurs.

  1. Cf. histogrammes.
  2. Les seuls regroupements de données disponibles sont ceux des investissements dans les médias. Pour les obtenir, il faut s’en référer à la presse, ou s’abonner à la pige du CIM (Centre d’Information sur les Médias), pour un montant de 694 euros / an, et pour autant que la demande d’affiliation soit acceptée par le comité de direction du CIM (info : www.cim.be).

 

Adresses et conseils pratiques pour "résister à la publicité"

1. Protéger sa boîte aux lettres :
Auto-collants "publicité non merci" : en vente dans certains commerces; ceux de la Région bruxelloise peuvent être obtenus gratuitement à l'IBGE, guichet accessible aux Halles Saint-Géry (Bruxelles Ville), du mardi au vendredi de 10h à 18h, le samedi de 14h à 17h. Tél. 02/775.7575 - fax 02/775.76.21 - Courriel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.">Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

2. Se faire rayer des listes de diffusion :

3. Technologies de protection électronique :
Concernant les software anti-spam, ou PET's (privacy enhancing technologies):

Pour en savoir plus sur le cadre légal et la protection de la vie privée :

4. Introduire une plainte
Jury d'Ethique Publicitaire : av. Louise, 120 (bte 5) à 1050 Bruxelles - tél. : 02/502.70.70 - fax : 02/502.77.33
Demander le formulaire de consignes pour remettre une plainte. En bref, il convient de : formuler sa plainte par écrit, préciser son identité, joindre la copie de la publicité ou la décrire (si pub sur support audio-visuel), indiquer dans quel média et quand elle est passée, déclarer que l'on accepte que la plainte soit transmise pour information à la société incriminée (sinon, il faudra le préciser par la suite et cela ralentira l'ensemble de la démarche), argumenter sur ce qui semble choquant ou inexact. Quand il s'agit d'arguments écologiques, se référer au code de la publicité écologique qui peut être obtenu auprès de la CEPE, et transmettre copie de la plainte à cet organe.
CEPE : Commission pour l'étiquetage et la publicité à caractère écologique, bd du Roi Albert II, 16 à 1000 Bruxelles - tél. : 02/206.51.888 – fax : 02/206.57.71 – Courriel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.">Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Pour les publicités audiovisuelles :
CSA : courriers à adresser à Mme Evelyne Lentzen, présidente, CSA, 35 rue Jean Chapelié - 1050 Bruxelles – tél. : 02/349.58.80 - fax : 02/349.58.97 - Courriel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.">Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

5. Résister collectivement à la publicité :
www.ecoconso.org : site du Réseau Éco-consommation.
www.adbusters.org : site des initiateurs de la Journée Internationale sans Achats (chercher "Buy nothing day")
www.antipub.net : site de l'organisation française "Casseurs de pub"
www.consumersinternational.org : site de la coupole mondiale des organisations de consommateurs, nombreux documents de référence.

Voir aussi le dossier du Démocratie n°17 du 1er septembre 2001.