La justice constitue un droit fondamental de tou(te)s les citoyen(ne)s, ainsi que la garantie la plus sûre contre le spectre de la loi de la jungle où « chacun se ferait justice lui-même». Il s’agit cependant de s’assurer que cet instrument de régulation sociale ne soit pas un outil de domination supplémentaire des forts sur les faibles, mais bien un outil de protection de ceux-ci contre ceux-là. Pour le garantir, la machine judiciaire se doit d’être accessible et de fonctionner dans la transparence, la responsabilité… et la célérité.

 

La dernière législature a vu, à la fois une importante hausse des crédits alloués au département de la justice (+ 23 % entre 2003 et 2006, pour atteindre un budget de 1,457 milliard d’euros) et une aggravation de problèmes déjà aigus, comme la dualisation de l’accès à la justice ou la surpopulation carcérale. En 2006, la Belgique a ainsi atteint pour la première fois de son histoire, le seuil historique des 10 000 détenus. Le Rapport général sur la pauvreté de 2005 a pointé les difficultés grandissantes d’accès à la justice des populations socio-économiquement fragilisées.  Face à cette situation, les quatre années écoulées ont été marquées par le lancement et/ou l’aboutissement de nombreux chantiers en matière d’accès à la justice (assouplissement des conditions d’accès à l’aide juridique), de droit de la jeunesse et de la famille (réforme du mariage et de l’adoption, réforme de la loi de 1965 sur la protection de la jeunesse, tutelle des MENA – mineurs étrangers non accompagnés), de droit pénal (adoption de la loi sur le statut interne et externe des détenus, durcissement de la lutte contre les violences intrafamilales). En arrière-fond, l’émergence de la lutte anti-terroriste a également favorisé un durcissement sécuritaire, avec l’introduction du délit d’appartenance (à une organisation terroriste) et l’extension des moyens d’intrusion de l’État dans la vie privée des citoyens (lois sur les méthodes particulières d’enquête). Parmi les chantiers restés en souffrance, le plus important est celui du « Grand Franchimont» voté par le Sénat en décembre 2005, mais toujours pas entériné par la Chambre.

 Conception sécuritaire

En matière judiciaire, l’approche néolibérale se traduit par une conception exclusivement sécuritaire du rôle de la justice: celle-ci se limiterait à être la main qui punit les comportements déviants. La justice se transforme ainsi en une des rares prérogatives laissées à un État qui se replie sur ses fonctions régaliennes (armée, justice, police) et délaisse ses fonctions sociales. La réponse pénale et pénitentiaire devient alors in fine un mode de gestion de la misère engendrée par une machine économique et sociale de plus en plus excluante. La peine de détention, conçue comme la seule réponse adaptée à la montée de l’insécurité, est envisagée sous un angle exclusivement punitif, et son exécution s’accomplit dans des conditions matérielles et symboliques sans cesse durcies et en dehors de tout espoir de réinsertion ultérieure.  Cette intransigeance pénale se double d’une clémence paradoxale en matière de criminalité économique. Dans ce domaine, la vulgate néolibérale voudrait convaincre que c’est l’autorégulation qui offre la solution optimale. Les meilleurs mécanismes de contrôle des entreprises seraient incitatifs et non contraignants, de l’ordre de la soft law, de l’éthique individuelle, de la bonne volonté et du contrôle par les pairs plutôt que par une instance judiciaire extérieure. Il en va ainsi du code belge de gouvernance d’entreprise, dit « Code Lippens ». Dans une telle approche, c’est également l’accès même à la justice qui est pensé sur le mode d’un service économique ordinaire dont peuvent donc légitimement être exclus les justiciables qui n’auraient pas les moyens financiers de se l’offrir, et sur le plan symbolique au moins, les citoyens, pourtant majoritaires, pour qui le langage juridique fait figure de langue ésotérique. Même s’ils ne font évidemment pas partie de l’arsenal théorique néolibéral, l’arriéré judiciaire et donc la lenteur de la décision jouent actuellement un rôle dissuasif supplémentaire et limitent donc l’accès à la justice des citoyens les plus fragilisés.  Enfin, pour les tenants de l’option néolibérale, la lutte contre l’insécurité et le terrorisme nécessite, et donc justifie, des atteintes aux libertés fondamentales et au droit à la vie privée. Ces libertés ont ainsi été menacées par la loi du 6 janvier 2003 relative aux méthodes particulières de recherche (d’ailleurs partiellement annulée par la Cour d’arbitrage) ou encore par l’avant-projet de loi relatif aux méthodes particulières de recherche des services de renseignements. La mise en œuvre de cette approche en matière judiciaire ne peut aboutir qu’à une dualisation accrue de la société, un taux d’enfermement de plus en plus élevé et in fine une gestion pénale de la misère et des conflits sociaux. Pour maintenir un ordre injuste, c’est le volet sécuritaire qui est renforcé, avec son cortège de mesures attentatoires aux libertés fondamentales, en matière de vie privée notamment.

Pour une approche progressiste

 Une approche progressiste vise d’abord à réduire la quantité de travail des différents secteurs de la justice en menant des politiques sociales et économiques plus redistributives et en travaillant sur la prévention. Une des conséquences bienvenues en est une réduction de l’arriéré judiciaire, qui permet au citoyen de retrouver un peu plus de confiance dans l’efficacité et l’effectivité de la justice. Celle-ci est par ailleurs rendue accessible à l’ensemble de la population, sans pénalisation des revenus faibles ou moyens.  Pour l’option progressiste, le recours à l’enfermement n’est pas systématique. Une responsabilisation des différents acteurs susceptibles de décider d’une mise en détention permet d’éviter les situations de surpopulation – sans pour autant ouvrir sans cesse de nouvelles places. Il importe donc que la gestion de la surpopulation cesse de se mener uniquement depuis l’aval (développement récent de mesures telles que le bracelet électronique) mais travaille plutôt l’amont (réduction des mises en détention, et particulièrement des mises en détention préventives qui constituent actuellement 40 % du contingent de détenus). Les conditions de détention ne doivent pas nuire aux possibilités de réinsertion ultérieure (grâce notamment au développement de cours de promotion sociale à destination des détenus, financés par la Communauté française). Les délinquants qui souffrent de troubles psychiatriques ne sont pas mis en prison mais bien dans des établissements de défense sociale. De même, la toxicomanie est traitée sous l’angle de la prévention des risques individuels et sociaux plutôt que par la pénalisation.  La délinquance financière et toutes les formes de fraude et d’évasion fiscales font l’objet d’une attention prioritaire et sont combattues sur la base de lois actualisées. Pour commencer, le « Code Lippens » cesse d’être de la soft law basée sur l’autorégulation, mais se voit traduit en texte de loi contraignant.

Des mesures concrètes

 Afin de conjurer les dégâts associés aux conceptions néolibérales et favoriser l’émergence d’une politique progressiste en matière de justice, le MOC réclame l’application d’une série de mesures concrètes : • faciliter l’accès financier à la justice en relevant les plafonds de revenus ouvrant le droit à la gratuité de l’aide juridique et améliorer l’information concernant cette dernière ; • améliorer la communication entre les autorités judiciaires et les citoyens en imposant une simplification du langage juridique et un abandon des expressions inutilement complexes ; • travailler à la résorption de l’arriéré judiciaire, particulièrement à Bruxelles, en assouplissant les règles linguistiques sur le recrutement des magistrats ; • faire voter le « Grand Franchimont ». En matière de droit économique, le MOC demande la transcription dans des règles de droit des prescrits du « Code Lippens » afin d’exposer aux poursuites judiciaires ceux qui les enfreignent. En matière pénitentiaire, le MOC demande une plus grande responsabilisation des acteurs via une coordination, sur le modèle de celle qui existe entre les différents corps de police. Il s’agirait en outre de : • réfléchir à l’application d’un principe du one in one out qui contraint les acteurs de la mise en détention à tenir compte collectivement des conséquences de leurs décisions d’enfermement. De telles mesures sur l’amont de l’enfermement ne doivent pas être pensées comme contradictoires avec des mesures alternatives telles que le bracelet électronique ; • évaluer les risques de criminalisation des mouvements sociaux dont sont porteuses les lois anti-terroristes, et revoir la conception du délit d’appartenance à la lumière de la condamnation (puis de la libération) de Bahar Kimyongur. En l’absence de tout acte délictueux, ce membre présumé d’une organisation turque déclarée terroriste avait été condamné à 5 ans de prison ferme en raison de sa seule appartenance à cette organisation (DHKP-C) ; • modifier les lois en matière de « méthodes particulières » au regard des risques qu’elles font peser sur les libertés fondamentales et la vie privée ; • édicter des dispositions réglementaires nécessaires pour encadrer les détenus justifiant d’un régime spécial et les sortir de l’arbitraire actuel.