Depuis de nombreuses années, les difficultés budgétaires de la Communauté française sont au centre des débats politiques. Après un très mauvais départ en 1989, compromis politiques et « lois spéciales » ont permis, depuis lors, d’entrevoir progressivement des perspectives de financement plus optimistes. Mais ces perspectives demeurent très fragiles, à court ou moyen terme en tout cas. État de la situation.


Pour comprendre le financement de la Communauté française, « il faut avoir l’état d’esprit d’un archéologue institutionnel », écrit Étienne Arcq dans un récent dossier du CRISP consacré à ce thème (voir p. 8). Et pour cause : depuis les années 70, les Communautés se sont vues attribuer des compétences par vagues successives, et il a bien fallu dégager des compromis politiques sur les moyens financiers à leur allouer afin de mettre en œuvre ces compétences. L’argent de la Communauté française sert aujourd’hui à payer l’enseignement, la recherche scientifique, la formation, l’audiovisuel – en particulier la RTBF –, la santé, l’aide à la jeunesse, l’éducation permanente, les arts de la scène, l’enfance… Très concrètement, ce sont des dizaines de milliers d’emplois qui, dans l’enseignement, la culture ou le social, dépendent directement de ce budget.
Pour autant, les difficultés financières de cette institution semblent chroniques. Le très mauvais départ de la Communauté, avec la loi spéciale de 1989 relative au financement des Communautés et des Régions, n’a pas encore été rattrapé, en dépit des importants refinancements qui l’ont suivi. Aujourd’hui, si la loi spéciale de juillet 2001 a permis d’ouvrir de nouvelles perspectives, force est de constater, à la suite d’Étienne Arcq, que ce refinancement « dépend de mécanismes complexes, qui comportent des incertitudes ». Il est en effet lié à des paramètres dont les évolutions à long terme ne sont pas toujours prévisibles : estimation du taux de croissance économique, évolution de la population de moins de 18 ans, etc.

Recettes et dépenses
Pour bien comprendre ces évolutions, plongeons-nous dans cette archéologie institutionnelle, en tentant d’en extraire les éléments déterminants. D’où proviennent les recettes de la Communauté française (6,582 milliards d’EUR, hors emprunts) ? Quatre ressources venant du fédéral peuvent être distinguées, ainsi que deux ressources propres :

– une partie du produit de la TVA prélevée par le fédéral (« dotation TVA »). Cette dotation – 4,4 milliards d’EUR en 2003 – constitue la principale ressource de la Communauté française, à savoir 66 % ;
– une partie de l’impôt des personnes physiques prélevé par le fédéral (« dotation IPP »). Cette dotation, 1,6 milliard d’EUR, représente environ 25 % du total des recettes ;
– une dotation fédérale en remplacement de la redevance radio TV (régionalisée) ; ce qui représente 257 millions d’EUR, soit 3,9 %
– d’autres dotations fédérales (financement des étudiants universitaires étrangers, Loterie nationale…), pour un montant d’un peu plus de 80 millions d’EUR (1,25 %).
Ces dotations fédérales représentent donc la toute grande majorité des recettes de la Communauté. S’y ajoutent les ressources propres, c’est-à-dire les ressources non fiscales qui proviennent de dons et de legs, de la vente de biens immobiliers et de publication, etc. pour un montant d’environ 213 millions d’EUR (quelque 3 % des recettes totales), et enfin les emprunts.
Ces différentes ressources ne correspondent pas à des montants fixés une fois pour toutes. Elles fluctuent en fonction d’un certain nombre de facteurs. Ainsi, la dotation TVA, de loin la plus importante, est calculée en fonction des déterminants suivants : l’évolution de l’indice des prix à la consommation, l’évolution démographique de la population de moins de 18 ans de chaque Communauté, et l’évolution de la richesse nationale (seulement à partir de 2007). Depuis 2002, un refinancement forfaitaire est également accordé à chaque Communauté par le fédéral. En 2003, ce « forfait » a représenté 140 millions d’euros. La dotation IPP est, quant à elle, liée à la contribution des habitants de chaque Communauté dans les recettes de l’IPP, selon le principe du « juste retour ». Cette dotation est adaptée à la croissance économique. Pour la Communauté française, elle ne représente que 35 % de l’enveloppe globale (correspondant au pourcentage des recettes IPP localisées en Région wallonne et à 80 % des recettes localisées en Région bruxelloise).
Pour faire face aux difficultés financières d’après les accords de 1989, les accords du Lambermont (2001) se sont donnés pour objectif de refinancer les Communautés, tant française que flamande. Côté francophone, les marges de manœuvre budgétaires ont été affectées dans le cadre des accords de Val Duchesse. Ceux-ci prévoient trois axes principaux : un plan pluriannuel de dépenses 2003-2010 pour, notamment, revaloriser les salaires des enseignants, opérer un rattrapage des subventions de fonctionnement, augmenter les moyens destinés aux bâtiments scolaires, à l’enseignement non obligatoire et aux autres politiques de la CF. ; la création d’un « Fonds écureuil », ou fonds des générations futures (fonds de prévoyance) ; et le financement d’un programme de désendettement 2005-2010. Mais il demeure difficile d’évaluer précisément l’évolution budgétaire puisque celle-ci dépendra dans l’avenir, comme on l’a vu, d’éléments externes.
Quoi qu’il en soit, la Communauté française, en dépit de perspectives en principe meilleures, reste en léger déficit en 2003. Celle-ci a en effet dépensé 7,1 milliards d’EUR. L’éducation, la recherche et la formation constitue le plus gros morceau, qui absorbe à lui seul 70 % des dépenses totales. Viennent ensuite la santé, les affaires sociales, la culture, l’audiovisuel et le sport (10,7 %), la dette publique (8,2 %), les services généraux (5,7 %), et les dotations à la Région wallonne et la Cocof (4,7 %). Le refinancement de la Communauté n’a pas suffi pour clore en équilibre cet exercice 2003 et il aura fallu, selon les calculs de Robert Deschamps, professeur aux Facultés universitaires de Namur et conseiller des partis francophones, un emprunt de 95 millions d’EUR, c’est-à-dire 48 millions d’EUR de plus que ce qui était prévu par la norme d’emprunt définie par le Conseil supérieur des Finances. Quant à la dette directe de la Communauté (emprunts contractés depuis 1991), celle-ci s’élevait fin 2003 à 2,45 milliards d’euros.

Perspectives d’avenir
S’il est important d’avoir une vision prospective du budget de la Communauté, tout exercice de prévision s’avère néanmoins particulièrement difficile. Une étude récemment réalisée par l’Université de Namur (1) tente l’exercice afin d’évaluer les dix années à venir (2003 à 2013). Cette étude simule les perspectives budgétaires en tenant compte de l’évolution prévisible des différents facteurs tant liés aux recettes qu’aux dépenses. Le résultat est, il faut le reconnaître, assez peu encourageant à court et moyen terme. En envisageant une croissance annuelle moyenne de 3 % des recettes et de 2,11 % des dépenses, l’écart entre recettes et dépenses ne permet pas encore d’envisager de couvrir les charges d’intérêt en 2004. En d’autres termes, et à politique inchangée, il n’y a aucune marge de manœuvre pour cette année, et la Communauté française ne respecte toujours pas la norme budgétaire du Conseil supérieur des Finances. Il faut attendre 2005 pour qu’un – léger – surplus commence à se dégager (44 millions d’EUR). Celui-ci n’augmentera alors que très progressivement à partir de 2006, jusqu’en 2013… « à politique inchangée » (voir tableau). Et c’est bien là que le doute subsiste. L’année 2004 étant une année électorale, elle est propice aux promesses de toutes sortes, dont la note ne sera payée qu’après le scrutin (voir par exemple, les réformes fiscales entamées par le ministre socialiste Michel Daerden, vice-président du gouvernement wallon en charge du Budget). « Pour le moment, tout le monde promet tout à tout le monde, or les moyens futurs de la Communauté ne sont pas prévisibles avec exactitude, puisqu’ils dépendront notamment de la croissance économique réelle, par définition variable », explique un observateur. Et d’ajouter : « ce serait une erreur de promettre une augmentation des budgets de l’enseignement, de la RTBF, de la culture, etc. sans préciser les objectifs que l’on se donne ». Il faudrait dès lors trouver un équilibre prudent entre les différents besoins de la Communauté, plutôt que distribuer de l’argent qu’on n’a pas encore et qu’on payera plus tard. À cet égard, le professeur Deschamps apporte une contribution intéressante au débat : pourquoi ne pas appliquer à la Communauté française le principe de négociations portant sur une période de deux ans, un peu à la manière des accords interprofessionnels et sectoriels, définissant les hausses de salaires des enseignants, des fonctionnaires, de la culture, etc. dans ce cadre temporel ? Ce type de négociations intersectorielles permettrait au moins d’identifier de manière plus cohérente les priorités à moyen terme et de tenir compte des évolutions conjoncturelles (croissance économique, perspectives budgétaires). Cela permettrait aussi de responsabiliser les différents acteurs. Une idée à creuser.


Christophe Degryse

Un professeur à contre-courant…

La question du financement de l’enseignement est récurrente, dans notre Communauté française. Profs mal payés, bâtiments scolaires délabrés, démotivation, etc. Cette vision correspond-elle vraiment à la réalité ? Non, selon le professeur Deschamps. À l’occasion du XVe congrès des économistes de langue française, celui-ci a apporté une contribution consacrée aux enjeux notamment budgétaires de l’enseignement (1). On peut notamment y lire qu’en ce qui concerne les comparaisons internationales de dépenses publiques destinées aux établissements d’enseignement, la Communauté française obtient en 1998 (derniers chiffres disponibles) la meilleure cote de tous les pays de l’OCDE, à l’exception des pays scandinaves : 6,45 % du PIB (mieux que la Flandre, avec 4,74 %) (2). Et de mettre ensuite cette étude en comparaison avec une autre concernant les performances de notre enseignement, où la Communauté française se classe plutôt mal (3). La conclusion du professeur Deschamps : « d’une part, les performances ne sont pas brillantes, d’autre part notre enseignement est globalement bien financé ; les faibles résultats ne sont pas dus à un manque de moyens. Il convient dès lors de s’interroger sur l’organisation de l’enseignement en Communauté française. Celle-ci souffre vraisemblablement de dysfonctionnement ». Et de citer les multiples cloisonnements entre réseaux, le manque d’anticipation dans la gestion de l’emploi – cf. les pénuries d’enseignants –, le manque d’autonomie de gestion des établissements, la faible culture de l’évaluation… Dans les années qui viennent, grâce aux perspectives budgétaires qui permettent d’envisager un « mieux » à partir des années 2005-2006, en profitera-t-on pour réorganiser le système éducatif sans coûts humains et sociaux, ou pour « prolonger sans changement ce qui existe, tout en affectant des moyens additionnels là où les demandes s’expriment avec le plus de force » ?

(1) Intitulée « L’enseignement en Communauté française : enjeu pour l’emploi, perspectives budgétaires et propositions ».
(2) Le poste « masses salariales dans l’enseignement » représente 3,3 milliards d’EUR, soit 46 % des dépenses en 2003. Selon les estimations effectuées par le professeur Deschamps, celui-ci devrait croître dans les années à venir pour atteindre, en 2013, un peu plus de 3,8 milliards.
(3) Une récente étude du CRISP souligne en outre que le système scolaire francophone belge est l’un des plus inégalitaires des pays avancés (Draelants H., Dupriez V., Maroy Ch., « Le système scolaire », dossier du CRISP n° 59, voir www.crisp.be).

1 Budget des Voies et Moyens 2003 initial de la Communauté française et calculs CREW, in M. Van Den Kerkhove et al., « Les perspectives budgétaires de la Communauté française de 2003 à 2013 », Working papers, Université de Namur, juin 2003.