Dans notre pays, la protection contre les risques sociaux (perte d’emploi, maladie, pension, etc.) fait l’objet d’un système basé sur la solidarité et l’assurance, résultat des luttes ouvrières des travailleurs et de leurs organisations : la sécurité sociale. Toutefois, il arrive que des personnes « passent par les mailles » de ce filet de la sécurité sociale, et se retrouvent sans revenus et sans droit à une allocation sociale de remplacement.


La paupérisation et l’exclusion sociale ont, ces dernières années, provoqué une forte augmentation du nombre de minimexés. Par ailleurs, diverses formules ont été tentées en vue de favoriser la réinsertion des minimexés dans le circuit du travail. Fidèle à son credo sur l’État social actif, le gouvernement a souhaité intensifier cet effort, en particulier vers les jeunes, en transformant l’allocation d’aide sociale en « tremplin vers l’emploi » et en faisant jouer aux C.P.A.S. un rôle actif à ce sujet.

La réforme
La loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale, entrée en vigueur le 1er octobre, remplace la loi du 7 août 1974 sur le minimum de moyen d’existence (minimex) ; celui-ci devient le « revenu d’intégration ». Les principales modifications de fond sont les suivantes :
– dans la formulation, sinon dans la mise en œuvre pratique, le « revenu d’intégration » est présenté, particulièrement en ce qui concerne les jeunes de moins de 25 ans, comme subsidiaire à un « droit à l’intégration sociale » qui se concrétise en principe par un emploi ou par un « projet individualisé d’intégration sociale » ; si ce principe est réellement appliqué, augmentation corrélative du risque de sanction ou d’exclusion en cas de refus des dispositifs proposés ;
– suppression de la condition de nationalité pour les personnes établies en Belgique ; pour les autres, nationalité européenne, réfugiés ou apatrides ;
– augmentation de 4 % de l’allocation ;
– maintien du principe selon lequel on doit être « disposé à travailler, à moins que des raisons de santé ou d’équité l’en empêchent », mais léger aménagement de la formulation (« travailler » au lieu de « être mis au travail » ; « être empêché » au lieu de « rendu impossible ») et de la charge de la preuve (« être disposé » au lieu de « prouver que l’on est disposé ») ;
– améliorations dans la procédure de négociation du projet d’intégration (délai de réflexion, droit d’être assisté), ainsi que dans la prise de décision (principes de la Charte de l’assuré social) ;
– « activation du minimex » : intervention financière du CPAS « dans les frais liés à l’insertion professionnelle de l’ayant droit » ; cette intervention peut être imputée sur la rémunération du travailleur ;
– augmentation de l’intervention fédérale dans le coût du revenu d’intégration et dans les frais de personnel du CPAS, lorsque celui-ci met en œuvre des projets d’insertion.

Les arguments du gouvernement
Dans son accord de majorité, le gouvernement affirmait qu’il avait « la ferme volonté de développer en Belgique un État social actif. Dans le passé, l’accent a été trop souvent mis sur une approche négative. La paupérisation et l’insécurité sociale étaient surtout combattues par des allocations de chômage et de CPAS. Cependant, garantir des revenus, surtout quand ceux-ci restent faibles, ne suffit pas à faire des personnes aidées des citoyens à part entière. L’approche actuelle offre trop peu de perspectives tant au niveau financier que social. Un État social actif doit faire en sorte que des personnes ne soient pas mises à l’écart et que chacun, tant les hommes que les femmes, tout en étant assuré d’un haut niveau de protection sociale, puisse contribuer de manière créative à la société et concilier cela avec une qualité de vie personnelle (…). Le gouvernement prévoit sept sortes de mesures pour augmenter le taux d’activité de manière significative : (…)
5. Une attention particulière sera accordée à l’intégration sur le marché du travail des chômeurs de longue durée, des bénéficiaires du minimex et de tous ceux qui courent le risque de tomber dans cette catégorie. Par une activation plus rapide des dépenses de chômage et des allocations de minimex, l’embauche de ces groupes cibles sera facilitée. Une telle activation est surtout, mais pas exclusivement prévue pour les secteurs social, marchand et non marchand, et pour le secteur de l’économie sociale. (…) Notre pays compte plus de 80.000 minimexés, dont près de la moitié a moins de 35 ans. La meilleure forme d’émancipation sociale est leur intégration sur le marché du travail. Ce point constitue la priorité du gouvernement dans la lutte contre la pauvreté. À cet effet, il conviendra notamment d’appliquer l’activation des allocations de chômage au minimex. Les instruments existants pour aider les minimexés à retrouver du travail continueront d’être développés, notamment par l’augmentation de l’intervention de l’État en cas d’emploi. »

Éléments d’analyse
Plusieurs organisations sociales, dont le MOC, ont réagi à certaines dispositions du projet initial du gouvernement. Les critiques concernaient quatre aspects :
– l’introduction d’une conditionnalité à l’octroi d’un revenu minimum pour (sur) vivre, au-delà de l’absence ou de l’insuffisance des revenus : la conclusion d’un contrat d’insertion par lequel le jeune s’engage dans une formation ou dans un emploi ;
– l’insuffisance de l’augmentation proposée de l’allocation d’aide sociale (le 12 mai 2001, les organisations syndicales et mutualistes avaient manifesté pour revendiquer 10 %) ;
– certaines dispositions prévoyaient des dérogations inacceptables à la législation du travail, en cas d’activation, et rien ne permettait de garantir un tant soit peu la qualité du travail et du contrat proposés ;
– l’insuffisance des garanties juridiques dans la définition du projet d’insertion (ce qui présentait un risque de total arbitraire laissé à chaque CPAS).
Le texte finalement voté maintient la conditionnalité introduite, même si l’objet du contrat d’insertion est quelque peu élargi (études, activité sociale ou culturelle) : le droit à un revenu minimum est donc mis en question, puisqu’il est désormais lié à une autre condition que celle de l’absence de ressources. Par ailleurs, il ne rencontre pas la revendication d’une revalorisation de 10 % de l’allocation. Le revenu minimum d’intégration est donc supérieur au minimex, mais il reste totalement insuffisant pour pouvoir mener une vie à peu près décente. Il donne toutefois satisfaction sur la question de l’activation (les dérogations sont supprimées) et représente des avancées, par rapport à la loi de 1974, en ce qui concerne les garanties de procédure (délai de réflexion, possibilité de se faire accompagner) ; il faudra cependant évaluer si ces avancées sont effectives et suffisantes. Par ailleurs, il faudra également évaluer si, comme l’ont craint certains, la loi va augmenter les sanctions, et donc les situations d’exclusion sociale. Ceci dépend en grande partie de l’articulation entre le Revenu d’intégration (RI) et l’aide sociale générale.
Pas plus que la loi sur le minimex, la nouvelle loi n’est très claire sur ce point. À ce stade, on peut seulement dire que l’intervention fédérale est supérieure dans le RI que dans l’aide sociale. Et que, lors des discussions, le gouvernement a fait valoir que le CPAS qui exclut du RI devra probablement tout de même, dans la plupart des cas, payer une forme ou l’autre d’aide sociale, pour laquelle l’intervention du fédéral est moins élevée que pour le revenu d’insertion.