La politique d’asile et d’immigration a constitué l’un des points sensibles de la législature de l’arc-en-ciel. Régularisation des sans-papiers, expulsion, aide sociale en nature aux candidats réfugiés… C’est peu dire que ces différents thèmes ont suscité des « frictions » entre les composantes du gouvernement. Le point sur ce dossier chaud.


Le gouvernement Verhofstadt avait annoncé un train de mesures portant sur :
• l’élaboration d’un statut cohérent pour les personnes déplacées en raison d’une situation de guerre
• la mise en place d’une procédure de régularisation (accord de gouvernement, 7 juillet 1999)
• l’élaboration de mesures relatives aux éloignements volontaires et forcés d’étrangers ne se trouvant pas en situation régulière sur le territoire belge
• l’élaboration de mesures destinées à protéger le statut des mineurs en exil non accompagnés ou placés, avec leurs parents, dans un centre fermé
• la généralisation de l’aide sociale en nature aux candidats réfugiés, dans des centres spécialement affectés à cette tâche
• la mise sur pied d’un observatoire permanent de l’immigration (Conseil des ministres du 1er octobre 1999).
La philosophie globale de cette politique d’asile et d’immigration était présentée comme visant à défendre la personne dans les situations qui l’oppriment, à respecter le droit d’asile et à appliquer sans réserves la Convention de Genève en particulier pour les violences à l’encontre des femmes, et à étendre la protection aux personnes qui risquent des tortures, des traitements inhumains ou dégradants ou qui fuient des violations généralisées des droits de l’homme. Le gouvernement voulait également compléter ce dispositif par une protection temporaire en cas d’afflux massif de réfugiés. Pour rappel, la Convention de Genève précise que « toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques… ». Et l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’homme ajoute que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». L’arc-en-ciel s’est donc attaché à repenser la politique d’immigration en définissant de nouveaux critères sociaux et humains ainsi qu’une procédure permettant l’accès au séjour avec comme corollaire que le droit de séjour entraîne automatiquement le droit au travail. Le constat de départ était que l’immigration répond à l’exercice de droits fondamentaux (asile, regroupement familial) et qu’elle doit être organisée en fonction des besoins économiques (pénuries de main-d’œuvre), mais que ces deux objectifs ne peuvent encadrer suffisamment les flux migratoires. Il fallait donc mettre en place une possibilité d’immigration légale complémentaire aux statuts existant déjà.

La réforme
La réforme de la politique d’asile n’a pas dépassé le stade d’avant-projets de loi abandonnés entretemps. Plutôt que de réformer la législation sur la procédure d’asile, tâche à laquelle il s’était d’abord attelé, le gouvernement a finalement maintenu le système en place et s’est limité à préciser dans un arrêté royal quelques règles de procédure à suivre par l’Office des étrangers et le Commissariat général aux réfugiés. Il a appliqué le système du « dernier entré, premier sorti ». Aujourd’hui, les demandes d’asile reçoivent une réponse en quelques jours et un appel, une décision définitive dans les semaines qui suivent. Quant au statut pour les personnes déplacées en temps de guerre, il n’a pas vu le jour. La question est renvoyée vers le niveau européen. Une note précisera toutefois les groupes de demandeurs d’asile déboutés pour qui l’ordre d’expulsion sera momentanément suspendu. Par ailleurs, le gouvernement a décidé d’accueillir les demandeurs d’asile dans les centres fédéraux pendant l’examen de la recevabilité de leur demande, et de remplacer l’aide financière des CPAS aux demandeurs d’asile par une aide matérielle. Un arrêté royal précisera les règles de vie dans les centres fermés. En 2001, le nombre d’éloignements a augmenté de 25 % par rapport aux chiffres pour l’année 2000. L’Observatoire permanent de l’immigration qui devait être mis sur pied est resté au stade des intentions. Enfin, le statut des enfants mineurs non accompagnés ne prévoit pas une tutelle indépendante de l’Office des étrangers et du ministre de l’Intérieur.

Éléments d’analyse
Le gouvernement a échoué face aux véritables enjeux des politiques d’asile et d’immigration. Il a, par contre, réussi à accentuer la diabolisation et la peur des étrangers. En effet, le gouvernement a choisi de privilégier les mesures visant à limiter le nombre d’entrées en Belgique en durcissant les conditions d’accès légal. Seuls les chiffres semblent compter, pas les personnes qui sont derrière. Les questions de l’immigration n’ont pas été abordées de manière globale, humaine et sociale. Pour preuve, excepté la facilitation de la procédure de naturalisation, rien n’a été fait pour ouvrir de nouvelles portes d’immigration, faciliter la liberté de circulation, ni encourager les étrangers à participer à la vie politique. Le projet d’Observatoire des migrations n’a d’ailleurs pas vu le jour. Au regard de la médiatisation des mesures humiliantes prises par le gouvernement, on pourrait être amené à penser que c’est volontairement qu’il a renvoyé aux citoyens belges une image très stigmatisante des « étrangers profiteurs qui nous envahissent ». On les expulse de force, parfois collectivement, en usant de ruses et de mensonges pour les attraper, alors qu’ils sont souvent encore en procédure de recours. Notons aussi que le gouvernement ne tient absolument pas compte des condamnations prononcées à son encontre notamment par la Cour européenne des droits de l’homme. De plus, l’aide financière octroyée aux demandeurs d’asile a été transformée en aide matérielle, renforçant de la sorte le préjugé selon lequel la majorité des demandeurs d’asile font cette démarche pour profiter de la richesse de la Belgique. Des centres fédéraux sont mis en place pour avoir à l’œil les demandeurs d’asile et les expulser plus facilement en cas de rejet de leur demande. Les centres fermés sont non seulement maintenus mais les mineurs y sont toujours détenus contre l’avis du Conseil d’État qui y voit un non-respect de la Convention internationale des droits de l’enfant. Les résultats d’une telle politique sont, d’une part, l’accréditation de la méfiance à l’égard des étrangers et donc l’accentuation du racisme et, d’autre part, l’augmentation de la peur et du sentiment d’être rejeté chez les allochtones, ce qui n’aide évidemment ni la lutte contre la clandestinité (pendant la régularisation, la politique a créé de nouveaux clandestins !) ni la construction d’un mieux vivre ensemble pluriel.

Et la régularisation ?
L’objectif de l’arc-en-ciel était de réduire autant que possible les circonstances conduisant au séjour illégal avec l’exploitation outrancière qu’il entraîne, notamment aux niveaux du travail et du logement. La politique traditionnelle des autorités belges a consisté tantôt à favoriser, tantôt à freiner le recours à l’immigration en fonction de la conjoncture économique et de la demande des entreprises. Décréter un « stop à l’immigration économique » ne signifie pas que celle-ci s’arrête effectivement. Elle se poursuit probablement à un volume plus réduit, mais dans l’illégalité, et les recrutements se font au noir. En 1974 eut lieu la première campagne de régularisation pour légaliser l’occupation irrégulière de travailleurs à la suite de plusieurs années de politiques restrictives en matière d’octroi de permis de travail. Depuis 1975, l’immigration économique de ressortissants non communautaires est officiellement arrêtée sauf pour les travailleurs très qualifiés. Cet arrêt de l’immigration tient lieu de politique d’immigration. Les années « Martens-Gol » ont encore durci les conditions mises au regroupement familial, elles ont également renforcé la limitation du droit d’inscription dans certaines communes. Entre-temps, la législation sur le droit d’asile a sans cesse été revue dans un sens restrictif tant en ce qui concerne la reconnaissance du statut de réfugiés que pour les conditions d’accueil. Mais les raisons qui poussent à l’émigration demeurent, voire s’accentuent. Ainsi, une campagne de régularisation des sans-papiers devenait indispensable, tout comme il était indispensable de redéfinir la politique d’asile et de repenser une politique d’immigration inexistante depuis 1975. Sans quoi les mêmes causes produiront les mêmes effets et les campagnes de régularisation se succéderont.

Les résultats
Les quatre critères énoncés pour une régularisation éventuelle ont été repris dans la loi du 22 décembre 1999. L’organe autonome indépendant s’est concrétisé par la mise en place d’une Commission de régularisation. Plus de 37.000 dossiers ont été introduits (cf. tableau ci-contre). Près de 80 % des demandes ont abouti à une décision positive. Les personnes régularisées ont obtenu un droit de séjour de durée illimitée et sont dispensées du permis de travail. Elles ont également été autorisées à travailler pendant la période d’examen de leurs dossiers. Dans le prolongement, un projet d’arrêté royal permettrait à l’avenir à toutes les personnes en séjour précaire dans l’attente d’une décision définitive quant à leur droit de séjour, de travailler légalement. Dans l’accord de gouvernement, la régularisation des personnes en séjour illégal était présentée comme une question résiduaire de la réforme de la politique d’asile. Dans l’évaluation gouvernementale de la régularisation, la mesure était justifiée par des considérations d’ordre humanitaire et dans le souci de mettre un terme à des situations sociales inacceptables ainsi qu’aux diverses formes d’exploitation.

Mais…
37.000 dossiers introduits ; 80 % de réponses positives, cela peut paraître un bon résultat. Les chambres de régularisation ont effectivement été à la hauteur de leur tâche. Cependant, la pertinence d’une campagne de régularisation doit s’apprécier sur d’autres critères : – est-ce que la plupart des personnes sans-papiers qui se trouvaient en Belgique en 1999 ont bénéficié de la possibilité de régulariser leur situation ? – est-ce que les instruments de la nouvelle politique d’immigration et d’asile « réaliste et humaine » permettront d’éviter le développement de la clandestinité ? La réponse à ces deux questions est négative. Plusieurs sondages effectués par des associations ont mis en évidence que seulement la moitié des sans-papiers a introduit une demande de régularisation. Les raisons en sont des délais très courts pour l’introduction d’un dossier, le manque d’informations, une certaine méfiance vis-à-vis des autorités, la complexité des critères. L’évaluation des campagnes de régularisation menées dans d’autres pays européens avait indiqué qu’une campagne générale de régularisation ne pouvait réussir que si elle était menée sur un critère simple, par exemple la présence dans le pays à une date déterminée. Le gouvernement a opté pour un examen au cas par cas sur la base d’un ensemble de critères bien définis. Cette méthode pourrait se justifier pleinement si elle était permanente dans le cadre d’une politique d’immigration adaptée aux réalités des migrations. Aujourd’hui, en 2003, la question des sans-papiers se pose avec la même acuité qu’en 1999. Une plate-forme d’organisations se structure pour remettre le problème à l’agenda politique…

Pour en savoir plus sur l’évaluation de la législature arc-en-ciel, voir la campagne d’animation politique « Du souffle pour l’égalité » organisée par le MOC (http://www.moc.be).