Les questions de sécurité font l’objet de controverses incessantes depuis plus de dix ans. La délinquance sexuelle, l’usage de stupéfiants, l’accélération de la justice pénale, la lutte contre le sentiment d’insécurité, le combat contre le terrorisme sont autant de sujets qui ont tour à tour occupé le devant de la scène.


Ces questions sont quasiment exclusivement traitées par le biais de réformes du droit pénal et de la procédure pénale. Une des modifications récemment apportées à cette dernière est la création d’une procédure de comparution immédiate permettant de juger très rapidement certains délinquants. Le projet, déposé par le ministre de la Justice M. Verwilghen, a fait l’objet d’une opposition acharnée de tous les praticiens du droit pénal et a été adopté dans un climat de tension politique extrême. La loi qui en a découlé n’a quasiment jamais été appliquée et a fini par être en bonne partie annulée par la Cour d’arbitrage. Cependant, on entendra certainement encore parler de ce type d’approche de la justice pénale, il importe donc d’en comprendre les tenants et les aboutissants.

Comparution immédiate
Le 28 mars 2000, une loi a été adoptée qui introduit la procédure de comparution immédiate. Il s’agit d’une faculté donnée au procureur du Roi en charge d’un dossier de demander la mise en détention préventive ou la mise sous contrôle judiciaire (voir le lexique, page suivante) d’un inculpé et de le convoquer devant un tribunal correctionnel dans les 4 à 7 jours (ce qui est exceptionnellement rapide). Des remises d’audience sont possibles mais, de toute façon, le jugement devra intervenir au plus tard 15 jours après la première comparution. De plus, si le tribunal ne statue pas directement à une audience, il ne peut prendre l’affaire en délibéré (voir lexique) que pour une période de 5 jours. L’opposition n’est plus possible en cas de jugement par défaut (voir lexique). Le tribunal correctionnel peut estimer que l’affaire est trop complexe pour être jugée si vite ou que le dossier n’est pas complet. Dans ce cas, l’affaire est renvoyée au procureur du Roi qui devra suivre la procédure habituelle. En appel, les contraintes sont aussi importantes. Ce type de procédure peut concerner à peu près tous les types d’infractions, mais uniquement en cas de flagrant délit ou d’un dossier ayant pu être constitué dans le mois suivant l’infraction. Cette procédure n’a quasiment jamais été appliquée. Les rares cas d’application se sont majoritairement soldés par un échec (notamment pour cause de renvoi au procureur du Roi).

Ce que voulait l’arc-en-ciel
Les travaux préparatoires de la loi nous renseignent sur l’intention du gouvernement lors de l’adoption de la loi. Les objectifs déclarés sont une réduction de la (petite) criminalité, du sentiment d’insécurité et du sentiment d’impunité. Le but est donc principalement de rassurer les gens. Par ailleurs, le gouvernement a estimé que la justice pénale est en principe la bonne manière d’aborder la petite délinquance mais l’a jugée trop lente. La procédure de comparution immédiate visait à gagner du temps dans les flagrants délits et les affaires simples. Le gouvernement a donc estimé que la réduction des délais et la suppression de certains recours était la bonne solution pour rendre la justice pénale plus efficace. Il a également affirmé que ce type de procédure était efficace en France. Le gouvernement a considéré que la loi ne posait pas de problème du point de vue des droits des parties (prévenu et victime). De gros budgets ont aussi été prévus pour l’application de cette loi.

Éléments d’analyse
Les objectifs fixés par le gouvernement sont ceux qu’on retrouve dans toutes les lois de procédure pénale depuis dix ans. Sur le terrain, on ne constate cependant pas de réelle amélioration, ce qui pousse à mettre en doute l’efficacité des moyens adoptés. Cela paraît logique dans la mesure où le gouvernement semble attaché à frapper les esprits bien plus qu’à agir réellement sur la criminalité. Cela imposerait en effet de régler les problèmes qui favorisent son développement (pauvreté, problèmes d’enseignement, délabrement urbain, etc.). On peut se demander si le but réel n’est pas de redorer le blason du politique en s’attaquant à un problème visible par des moyens simples à mettre en œuvre. Par ailleurs, la cible principale est la petite criminalité. Cette mesure coûteuse à mettre en œuvre s’attaque donc à des problèmes de faible ampleur plutôt qu’aux criminalités organisées et financières qui, elles, causent des dégâts sociaux immenses. Les moyens utilisés posent problème. En premier lieu, il n’est pas du tout évident que la justice pénale soit réellement efficace dans le traitement de la petite délinquance. Si c’était le cas, les réformes répressives de ces dix dernières années n’auraient-elles pas porté des fruits ? En deuxième lieu, s’il est vrai que la justice pénale est trop lente, c’est en bonne partie parce qu’elle est mal organisée et qu’elle manque de moyens. Il manque surtout du personnel administratif et des juges. On peut demander aux juges de travailler plus vite (c’est ce que fait la procédure de comparution immédiate), mais il vaudrait mieux leur donner les moyens de travailler mieux et augmenter leur nombre si l’on veut agir efficacement à long terme. En effet, ce n’est pas en triant les dossiers simples et en les faisant passer en « express » devant un tribunal qu’on réglera le problème structurel de la justice. Les dossiers complexes n’en seront que plus lentement traités puisqu’on consacrera beaucoup d’énergie à juger les petites affaires. De plus la prétendue efficacité du modèle français n’a jamais pu être prouvée. Après plus de 20 ans d’existence de diverses procédures accélérées en France, la criminalité y reste au moins aussi importante que chez nous. La question du respect des droits des parties est également problématique. Le délinquant n’a matériellement pas le temps d’organiser sa défense en 4 à 7 jours. Son avocat n’a pas le temps de prendre connaissance du dossier de manière correcte, de s’entretenir avec son client, de réfléchir à des issues possibles au problème, etc. Mais la victime non plus ne dispose pas de suffisamment de temps. Plus fort, si elle est hospitalisée par exemple, il est bien possible qu’elle ne soit pas encore rentrée chez elle lorsque le délinquant sera jugé. Cette procédure introduit donc une inégalité entre les justiciables selon qu’ils y sont soumis ou qu’ils bénéficient de la procédure ordinaire qui leur accorde plus de droits. La procédure ne facilite pas non plus le travail répressif des autorités. La police doit constituer le dossier en moins d’un mois et risque de le bâcler, ce qui pourrait occasionner une perte de temps en obligeant les magistrats à demander des informations supplémentaires. Le juge, quant à lui, doit rendre une décision très rapide, sur la base d’un dossier minimal et en ayant très peu entendu les parties. Il risque donc fort de prendre une décision « standard » qui ne satisfera personne, qui n’apaisera pas le conflit et qui risque fort d’être frappée d’un appel. On est donc bien loin de l’ambition d’une justice plus efficace. Enfin, les budgets qu’il faudrait dépenser pour faire fonctionner réellement ce système seraient tels qu’ils priveraient d’autres secteurs d’un argent bien nécessaire. Remarquons encore que la loi est tellement mal rédigée qu’outre les critiques émises ci-dessus, elle est pratiquement inapplicable. C’est d’ailleurs une des raisons de son annulation partielle par la Cour d’arbitrage.

Si mauvaise
D’un point de vue plus général, on peut se demander pourquoi on a adopté une si mauvaise loi. En premier lieu, il est clair que cette mesure était destinée à conforter l’image de chevalier blanc de M. Verwilghen, dans la droite ligne de la « Commission Dutroux ». En deuxième lieu, cette loi a permis de faire semblant de répondre à des attentes réelles des citoyens, sans pour autant se donner la peine de chercher de vraies réponses. Ces dernières sont complexes, coûteuses et imposent de faire preuve d’un sérieux courage politique. Elles nécessitent qu’on s’interroge sur la forme de notre économie, sur les inégalités sociales, sur l’enseignement, sur la place du droit dans nos sociétés, etc. Il est tellement plus simple de jeter un peu de poudre aux yeux en recyclant de vieilles idées. En troisième lieu, cette loi a une fois de plus braqué les projecteurs sur la petite délinquance. Or, les problèmes sont immenses dans d’autres domaines. Ainsi, en matière pénale, les criminalités organisées et financières font l’objet de bien peu d’attention comparativement à leur importance sociale. Mais il n’y a pas que le pénal. En matière civile (baux, propriétés, divorces, voisinage, responsabilité médicale, etc.) les retards s’accumulent et les préjudices sont énormes pour les justiciables. En quatrième lieu, des blocages idéologiques et communautaires font que le politique se montre peu empressé d’augmenter le nombre de magistrats (principalement à Bruxelles) et d’améliorer les conditions de travail dans les palais de justice. Or, ce serait là une action simple et certainement plus efficace que l’instauration d’une procédure de comparution immédiate. Bref, ici comme dans d’autres domaines (politique des drogues, immigration, criminalité financière, etc.) ce sont de vieilles idées déjà mille fois prises en défaut qui sont infiniment rabâchées. Il est inutile d’en attendre des miracles.