Entre les "vain et risqué" des uns et les "logique et salutaire" des autres, difficile de se faire une opinion sur l’impact d’une future défédéralisation de notre coopération au développement. Le débat, loin d’être clos, vient cependant de franchir un cap avec les accords de la Saint-Polycarpe : une consultation du secteur va enfin avoir lieu ! Résumé des débats de ces derniers mois.


En octobre 2000, en prononçant sa déclaration de politique fédérale devant le Parlement, le Premier ministre Verhofstadt avait annoncé le transfert aux entités fédérées, à l’horizon 2004, de "certaines matières de la coopération au développement dans la mesure où elles portent sur des compétences des Communautés et des Régions". Des entités fédérées qui avaient été associées, dans le cadre de leur refinancement, à ces négociations institutionnelles menées au niveau du gouvernement fédéral dans le courant du mois d’octobre dernier (accords de la Sainte-Thérèse).
Depuis la discussion bat son plein aussi bien au sein du terrain associatif que politique. Le débat ne surgit pourtant pas de nulle part. La défédéralisation de la coopération constitue même une vieille revendication néerlandophone. Côté francophone, elle est apparue dans la foulée de l’affirmation de la Communauté française et de la Région wallonne sur la scène internationale. Sous la législature précédente, les francophones partisans de cette idée avaient mis ce souhait en veilleuse, soucieux de ne pas s’afficher sur les mêmes terres qu’un CVP tendance Van den Brande qui avait fait du "splitsing" de la coopération un credo. Latentes, les velléités francophones ont néanmoins été alimentées à l’aune des scandales ayant frappé la Coopération fédérale, un outil de plus en plus considéré du côté francophone comme totalement ingérable et aux mains des Flamands. Un des arguments avancés à propos de ce transfert de compétences est d’ailleurs le manque d’efficacité, la bureaucratisation, le gaspillage menaçant, la perte de rendement et l’affaiblissement de la coopération au développement de la Belgique au niveau européen et international. Les appels de l’"arc-en-ciel" en faveur du rééquilibrage d’un secteur très chrétien ont finalement fait aboutir la réflexion.
Pourtant, si le principe de la régionalisation, initiée sous l’impulsion des milieux régionalistes wallons (1), est aujourd’hui acquis (cf. les accords de la St-Polycarpe), ses applications ne seront fixées qu’en 2004, au terme d’une concertation préalable avec le secteur concerné. Un changement majeur en regard de la réforme initiale. Car, outre l’inquiétude légitime des ONG face à une décision qui risquait de se prendre sur un coin de table aux aurores, c’était surtout le manque de consultation du secteur qui avait fait monter la tension.

Un débat tout sauf tranché
Ainsi Acodev, la fédération qui regroupe les ONG francophones et germanophones de développement (89 ONG) a exprimé au lendemain du 16 octobre : "sa grande déception de voir la coopération au développement réduite à un outil de pacification communautaire et non reconnu comme un axe à part entière de la politique internationale." Elle a déploré avec force que "cette proposition n’ait fait l’objet d’aucune discussion avec les milieux compétents en matière de coopération internationale (universités, ONG, acteurs de terrain, …).". De leur côté, SOS Faim, l’organisation flamande NCOS – désormais KVZB – et les deux poids lourds de l’humanitaire, Médecins sans Frontières et Handicap International, ont souligné à travers divers communiqués de presse et déclarations, la nécessité d’une coopération nationale forte. Ils estimaient que dans des enjeux internationaux – combat contre les mines anti-personnelles, accès aux médicaments essentiels, … -, ils perdraient une partie de leur crédibilité sinon de leur force d’impact si la Coopération à laquelle ils s’adossaient était communautarisée, c’est-à-dire divisée. Handicap redoutait aussi qu’en l’absence d’un contrôle fédéral, les actions de Coopération soient utilisées à des fins commerciales ou politiques (2).
Ce point de vue, dominant parmi les organisations non gouvernementales flamandes ou les grandes organisations qui se taillent une part importante du budget fédéral de coopération, n’était cependant pas partagé par tous. Ainsi, Pierre Galand, président du CNCD (Centre national de coopération au développement qui regroupe 80 ONG francophones dont entre autres Acodev !) soulignait dans Le Soir du 19 octobre 2000 que les ONG francophones n’étaient pas forcément perdantes : "À Bruxelles et en Wallonie, beaucoup de petites ONG proches du citoyen, sont l’émanation de la vie associative et sont souvent écrasées par les grosses ONG soutenues par le fédéral. Une Coopération décentralisée sera peut-être leur chance. En outre, les francophones disposent depuis 30 ans, d’instruments de coopération qui leur sont propres et fonctionnent à la satisfaction générale. Songer à leur renforcement n‘est pas nécessairement une mauvaise chose. Mais il faut que ces enjeux soient débattus ouvertement, cartes sur tables. C’est pour cela que le CNCD veut organiser en 2001 des assises de la Coopération."
Son de cloche pratiquement semblable chez Philippe Suinen, grand patron du Commissariat général aux relations internationales de Belgique (CGRI) et de l’Agence wallonne à l’exportation (Awex) qui déclarait dans une interview accordée à La Libre Belgique du 18 janvier 2001 : "on ne va pas reconstituer un monstre bureaucratique mais créer un centre de services qui, grâce notamment à sa proximité, saura exactement où sont les meilleures expertises et les meilleurs opérateurs, et contribuera donc mieux au développement de nos partenaires du Sud. J’ajoute que le travail à une petite échelle n’implique pas nécessairement l’exiguïté des moyens. Voyez le Luxembourg qui consacre un très gros budget à sa Coopération. Quant à la multiplication des niveaux de pouvoir compétents, elle n’induit pas forcément le désordre. Sur d’autres matières - agricoles par exemple -, la Belgique a démontré qu’elle savait parler d’une seule voix sur la scène internationale."

L’aveu
On le voit le débat est tout sauf tranché. Les réticences face à l’égard de l’émiettement annoncé de la coopération au développement fédérale ont depuis longtemps débordé les seuls rangs du PSC (3). Elles ont trouvé un large écho chez les écologistes - en témoigne la position très réservée sur la question du secrétaire d’État à la Coopération (Agalev), Eddy Boutmans (4). Il s’est en effet montré très préoccupé par la cohérence et le fonctionnement du futur assemblage (5). Au Parlement, les réticences se sont aussi exprimées sur les bancs du SP et du VLD, et l’on sait qu’elles ne laissent pas insensibles l’aile "belgicaine" du PRL. Quant aux fonctionnaires concernés, ils se font évidemment un peu prier, eux qui ont déjà subi les multiples restructurations mises en œuvre sous la législature précédente (intégration de l’AGCD au Ministère des Affaires étrangères, "privatisation" de l’exécution de la coopération bilatérale, etc., voir page 4).
Le Gouvernement va donc devoir dans les prochains mois marcher sur des œufs. Louis Michel a prôné la réalisation d’une "étude de faisabilité" et promis des "concertations très sérieuses". À ce jour, le projet reste assez flou et plusieurs scénarios circulent : du réaménagement "cosmétique" de paquets de compétences un peu plus homogènes au dégraissage quasi total de la coopération fédérale qui ne s’occuperait plus que de projets relatifs à la prévention des conflits ou aux allégements de dette.
Reste à espérer que les débats au Sénat contribueront dans un premier temps à éclaircir les tenants et aboutissants de ce dossier. Pour le premier Ministre, en tout cas, les choses sont claires : "il faudra analyser le problème". Deux aveux en quatre mots : c’est un problème, et il n’a pas été analysé avant la décision de principe.

La réforme
La réforme en profondeur de la coopération belge au développement, mise en œuvre en 1998 par le CVP Réginald Moreels, s’est achevée en 1999 sur le plan législatif et administratif. La réforme concerne en grande partie la coopération bilatérale. En effet, la préparation de la politique de coopération bilatérale et l’exécution sont dorénavant séparées. Cette réforme s’appuie en fait sur les recommandations présentées par la Commission de suivi parlementaire dans son rapport de juillet 1997. Cette commission a surtout insisté sur : le renforcement de la politique; la concentration géographique et sectorielle; la scission entre, d’une part, la politique, et d’autre part le contrôle et la mise en œuvre; la décentralisation; des procédures mieux définies et de meilleurs guides; un contrôle et une inspection plus efficaces; une meilleure évaluation externe présentée à la direction.
- Premier événement de cette réforme, le vote par le Parlement le 25 mai 1999 d’une loi sur la coopération internationale. Pour la première fois, la coopération – dorénavant appelée coopération internationale – bénéficie d’un cadre politique clairement défini, pour la coopération tant bilatérale directe, qu’indirecte et multilatérale.
- Second événement : la disparition de l’AGCD (Administration générale de la coopération au développement). Très schématiquement, les anciennes missions de l’AGCD sont maintenant réparties en quatre : l’essentiel des activités reste à la DGCI, nouvelle Direction générale de la coopération internationale créée au sein du Ministère des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et de la Coopération internationale. L’évaluation est confiée à un nouveau service créé au sein du Ministère, mais indépendant de la DGCI. Les services de la logistique et du personnel de l’ancienne DGCI sont intégrés dans une Direction générale du Ministère. Enfin, la mise en œuvre de la coopération bilatérale gouvernementale est confiée à la CTB (Coopération technique belge).

La coopération bilatérale directe
La coopération bilatérale directe concerne la coopération d’État à État. Elle comprend les projets et programmes, les programmes de formation (bourses d’études, de stage), l’assistance technique, la coopération financière, les allégements de la dette. L’exécution de ces tâches a été confiée à la Coopération technique belge (CTB). Il s’agit en fait d’une société anonyme de droit public à finalité sociale dont l’État est le seul actionnaire légal. La CTB a l’exclusivité de l’exécution de la coopération entre gouvernements. Elle est devenue opérationnelle dans le second semestre de 1999, après un transfert de compétences venant de l’ex-AGCD. La concentration de la coopération bilatérale telle que prévue par la loi sur la coopération internationale porte sur un maximum de 25 pays.

La coopération multilatérale
La coopération multilatérale via les organismes internationaux reste une des prérogatives de la DGCI. La Belgique participe ainsi au financement de 21 organisations internationales réparties en quatre groupes :
- l’Union européenne;
- le système des Nations Unies;
- les banques régionales de développement;
- les agences intergouvernementales qui ne font pas partie du système des Nations Unies.
Elle porte entre autres sur la formation, la sécurité alimentaire, la consolidation de la société, la prévention des conflits, la lutte contre la pauvreté, le volet "Post-Lomé", le Fonds belge de survie, etc.

La coopération indirecte
La coopération indirecte concerne la coopération non gouvernementale. Cette dernière reste aussi du domaine de la DGCI. Depuis 1997, la coopération indirecte a fait l’objet de réformes dont l’objectif essentiel est de responsabiliser tous les acteurs de la coopération. L’État belge négocie des accords-cadres avec les acteurs de la coopération indirecte, accords qui déterminent les objectifs des actions et leurs modalités d’exécution. Ces accords portent sur des programmes de cinq ans. La coopération indirecte concerne actuellement :

- Les 123 organisations non gouvernementales belges agréées;
- L’association pour la promotion de l’éducation et de la formation à l’étranger (APEFE) et son équivalent néerlandophone;
- Le conseil inter-universitaire de la Communauté française et le Vlaamse Universiteit Raad;
- L’Institut tropical d’Anvers;
- Le musée royal de l’Afrique centrale de Tervueren.
En 1999, le budget total inscrit pour le co-financement des activités des ONG s’est élevé à
3,6 milliards de francs.

Aide humanitaire et alimentaire
Une direction de l’aide humanitaire avait été créée par l’AGCD en 1997. Elle est maintenue dans la DGCI. L’aide humanitaire inclut l’aide à la prévention de catastrophe, l’aide d’urgence et l’aide à la réhabilitation à court terme après des conflits ou des catastrophes humanitaires.

Information et sensibilisation de l’opinion publique
Les ONG belges agréées restent les principaux vecteurs de cette sensibilisation à la problématique de la coopération au développement, mais d’autres organisations et administrations se voient confirmées dans un rôle d’information. La mise en valeur des richesses culturelles contemporaines des pays partenaires de la coopération sera un objectif important dans les années à venir. À l’instar d’Europalia, il n’est pas impossible de voir un jour des "Africalia".


Sur le terrain, avec la réforme, les anciennes sections de la coopération disparaissent. Par contre, la fonction d’attaché de la coopération subsiste. Intégrés dans les Ambassades de Belgique et jouissant du statut diplomatique, les attachés de la coopération traitent toutes les questions concernant la politique de coopération au développement, sous l’autorité hiérarchique du chef de poste.

Les moyens financiers
Outre les 28 milliards déjà consacrés par la Belgique, le Gouvernement belge a décidé fin octobre 2000, d’octroyer à l’aide publique au développement une enveloppe supplémentaire de 16 milliards de francs pour les trois prochaines années. Ce qui porte l’aide belge au développement à 0,35% de son PNB, soit la moitié du minimum requis par les Nations Unies et par la déclaration gouvernementale belge ! Selon Eddy Boutmans, secrétaire d’État à la coopération, "le gouvernement est assez réaliste pour comprendre que l’objectif des 0,7% ne pourra pas être atteint dans le courant de cette législature. Un effort significatif devrait toutefois être fourni dans cette direction et la progression du budget de la coopération au développement sera supérieure à celle du PNB." Le budget 2000 a ainsi connu une croissance de 7,5 % du budget du développement, plus une remise de dettes via le Ministère des Finances de

800 millions de BEF. Un effort encore loin d’être suffisant !

Catherine Morenville

1. On cite l’entourage de Jean-Claude
Van Cauwenberghe, actuel ministre-Président de la Région wallonne.
2. Communiqués de presse d’Handicap International et de Médecins sans Frontières.
3. Cf. l’interpellation du député PSC Jacques Lefèvre en Commission des relations extérieures le 13 novembre 2000.
4. Lorsqu’on lit la note d’Eddy Boutmans, "Waarom communautarisering of de-federalisering van de ontwikkelingssamenwerking geen ernstige optie is", c’est-à-dire "Pourquoi la communautarisation ou la défédéralisation de la coopération au développement n’est pas une option sérieuse", parler d’attitude "réservée" de sa part est presque un euphémisme… Voir également l’interview accordée par le Secrétaire d’État dans le n°44 (décembre-janvier 2000) de la revue Défis Sud, p. 8, 9 et 10.
5. Il faut signaler en passant qu’il n’a pas été associé aux négociations qui ont amené le sujet de la coopération sur le tapis.

 

1995
1996
1997
1998
1999
Total AGCD/DGCI (1)
16872,74 17013,61 19386,32 20571,34 21164,86
Min. des Finances/bilatéral
193,24 340,56 - 606,70 - 174,61 - 474,81
Min. des Finances/multilatéral
10638,05 7450,55 5406,20 6062,15 5017,80
Office national du Ducroire
1128,02 2144,66 1289 3737 749
Min. des Affaires étrangères
987,96 1024,69 982,98 984,49 916,44
Autres ministères
168,14 264,96 225,98 247,86 262,85
Communauté flamande
329,89 483,29 339,56 366,80 360,17
Communauté française et germanophone
203,82 229,16 260,60 251,12 279,01
Région wallonne
102,41 76,19 61 79,86 185,35
Région Bruxelles-Capitale
0 0 0 1,97 2,50
Provinces, communes
126,16 173,26 207,72 213,05 303,20
Total Non AGCD-DGCI
13877,65 12187,32 8166,34 11769,69 7601,51
Total APD
30750,39 29200,93 27552,66 32341,03 28766,37

 

FRAIS ADMINISTRATIFS
1828
dont CTB
475
Total BILATERAL DIRECT
4352
Coopération technique
2323
dont CTU
24
Projets d’investissement
770
Programme sectoriels
1173
Participation en capital
0
FAP
86
Total BILATERAL INDIRECT
8665
ONG-Programmes cofinancés
3609
Bi-multi
1254
VVOB
267
APEFE
242
Coopération universitaire
1806
Ecoles belges
6
Aide d’urgence/Réhabilitation
878
Aide alimentaire d’urgence
368
Progr. aide alimentaire
19
Autres
216
Total MULTILATERAL
6319
Groupe des Nations Unies
905
Groupe de l’Union européenne
3562
Groupe de la Banque mondiale
1774
Autres
79
TOTAL DGCI
21165