Analyser un budget communal, c’est participer à un débat démocratique sur les choix politiques fondamentaux de la commune. Certes, le budget communal est souvent considéré comme une grande boîte noire, peu compréhensible, à laquelle il vaut mieux ne pas trop se frotter. Pourtant, cela permet de lire, au-delà des règles techniques, les priorités qu’une commune concrétise. À la veille des élections communales, Jean-Marie Schreuer nous donne, ci-dessous, les moyens de confronter l’action politique de nos futurs élus avec leurs promesses d’aujourd’hui. Un petit voyage au Brésil nous relate, dans un deuxième article, une expérience de "budget participatif" pour le moins étonnante...


Le budget est un acte politique par lequel le conseil communal prévoit les recettes et dépenses de l’année qui vient. Le budget doit en effet être voté, sur proposition du Collège des bourgmestre et échevins, durant le dernier trimestre de l’année précédente (1). Le vote du budget donne mandat au Collège des bourgmestres et échevins pour engager les dépenses prévues et pour réaliser les recettes prévues. Il faut souligner ici le rôle important du receveur communal qui doit encaisser, sous sa propre responsabilité, l’ensemble des sommes qui sont dues à la commune. Notons que le budget, voté par le conseil communal, doit être transmis à la députation permanente de la Province qui peut l’improuver. La députation permanente ne peut improuver le budget que si la loi ou l’intérêt général est transgressé; dans ce cas, la commune dispose d’une possibilité de recours auprès du gouvernement régional. Ce pouvoir de tutelle est exercé depuis 1980 par les Régions sauf pour les communes de langue allemande dont le pouvoir de tutelle est exercé par l’État fédéral. Ce dernier est également compétent pour l’organisation de la tutelle sur Comines-Warneton, Fourons et les six communes à statut spécial contiguës de Bruxelles, même si c’est le pouvoir régional qui est compétent pour l’exercice de la tutelle.

Règles fondamentales
La Loi communale – de compétence fédérale – définit les grandes règles que toutes les communes de Belgique doivent suivre. Le budget communal doit en effet se conformer à quelques règles fondamentales : l’annalité (il est établi pour un an, reprenant les recettes et les dépenses escomptées entre le 1er janvier et le 31 décembre); l’universalité (il doit mentionner toutes les recettes et toutes les dépenses, interdisant donc tout système de compensation); la spécificité (chaque dépense et chaque recette doit être spécifiée de manière précise); la publicité (la discussion et l’approbation au sein du Conseil se fera en séance publique; de plus, chaque citoyen peut prendre connaissance du budget à la maison communale) (2). Il faut également noter qu’aucun article de dépense ne peut être dépassé ni aucun transfert opéré entre deux articles. Si, en cours d’année, il faut intégrer des modifications dans les recettes ou les dépenses, un cahier de modifications budgétaires doit être soumis au conseil communal.
Le budget communal doit aussi respecter les règles édictées par le pouvoir régional, compétent notamment pour le financement des communes (3), qui, concrètement, se traduisent par des décrets (ou ordonnances) et des circulaires.
Le budget doit également respecter des règles de présentation uniforme. Celles-ci obligent les communes à classer l’ensemble de leurs dépenses et de leurs recettes selon une classification fonctionnelle, c’est-à-dire selon les principales fonctions que la commune exerce, et selon une classification économique, c’est-à-dire distinguant le budget ordinaire qui concerne les recettes et dépenses courantes et le budget extraordinaire qui concerne les investissements. Ces règles donnent un cadre général commun à toutes les communes belges et permettent, notamment, d’effectuer des comparaisons entre communes (4).

Obligatoire ou facultatif ?
La Loi communale prévoit explicitement (5) que la commune doit porter au budget les sommes nécessaires pour faire face à diverses dépenses appelées obligatoires. On peut, à titre d’exemple, citer les dépenses suivantes : personnel communal, y compris les pensions à charge de la commune, frais de bureau de l’administration communale, entretien et loyer des bâtiments communaux, l’intervention dans les fabriques d’église, dépenses électorales, dotations aux CPAS, dépenses de la voirie communale, etc. Les autres dépenses sont des dépenses facultatives qui pourront toujours être remises en cause par la commune, notamment quand celle-ci éprouvera des difficultés financières. Il en est ainsi de tous les subsides aux associations.
Le budget doit être voté en équilibre comme le prévoit la Loi communale (6) : "En aucun cas, le budget des dépenses et des recettes d’une commune ne peut présenter (…) un solde à l’ordinaire ou à l’extraordinaire en déficit ni faire apparaître un équilibre ou un boni fictifs". Cette règle est donc clairement explicitée même s’il faut savoir que le budget ordinaire peut atteindre l’équilibre en utilisant un fonds de réserve (constitué des bonis des exercices antérieurs) que la commune aurait créé pour ce faire; de même, il faut se rappeler que le budget extraordinaire est essentiellement équilibré par le produit d’emprunts que la commune prend pour effectuer ses investissements, le remboursement des emprunts figurant lui dans le budget ordinaire.
La lecture du budget et de ses annexes permet également de disposer d’autres informations : les emprunts et l’évolution de la dette communale, les investissements programmés, les propriétés de la commune et leurs locataires, le cadre du personnel communal et le personnel effectivement en activité, etc. Pour connaître et pour comprendre l’ensemble des questions qui sont du ressort communal, il importe souvent d’analyser en outre d’autres institutions et associations. En effet, le CPAS, les régies communales, diverses intercommunales et asbl permettent à la commune de remplir l’ensemble des tâches qui sont de sa compétence. Ainsi, si vous êtes intéressé par des questions culturelles, l’analyse du budget du centre culturel communal qui prend souvent la forme d’une asbl sera indispensable. Les intercommunales, particulièrement dans les grandes agglomérations, remplissent souvent une partie des fonctions essentielles de la commune : la protection contre l’incendie, le développement économique, le traitement des déchets, etc.
Le budget est un outil de prévision montrant, pour le futur, ce que la commune escompte comme recettes et les dépenses qu’elle estime devoir engager. La réalité n’est donc pas toujours celle qui est présentée dans le budget. Ce sera le compte communal (souvent nettement moins médiatisé) qui permettra d’évaluer la situation réelle de la commune. Celui-ci est présenté au vote du conseil communal, en principe au cours du trimestre qui suit la fin de l’année. Les documents présentés au conseil communal comporteront le compte budgétaire, le compte de résultat et le bilan.

Structure fondamentale
Le budget ordinaire est le budget qui permet à la commune de faire face à ses dépenses de fonctionnement au sens large du terme. Les principales recettes ordinaires d’une commune sont les recettes fiscales (taxes communales et additionnels), les subsides affectés à des dépenses précises (comme les subsides pour l’enseignement, le service incendie, etc.), les transferts généraux (principalement le fonds des communes), les recettes de la dette (participation au bénéfice d’entreprises publiques et d’intercommunales et remboursements d’emprunts et d’intérêts par l’autorité subsidiante), les redevances et prestations (recettes prévues en contrepartie d’un service fourni par la commune). L’évolution des recettes des communes durant les années montre que ce sont les taxes qui ont augmenté le plus et le fonds des communes le moins; cela traduit sans doute un transfert de charges des autorités (fédérales ou régionales) vers les communes. L’évolution des principales recettes communales (au niveau de la Belgique) est synthétisée, pour l’année 1998, dans le tableau ci-contre (7).
Les principales dépenses ordinaires dans les communes, en 1998, si on les analyse d’un point de vue fonctionnel, concernent (8) l’enseignement (17,2% des dépenses), l’administration (16,7%), la sécurité (13,7%), le secteur social et la santé (12,6%), les communications (12,2%), la culture et les cultes (11,3%), la salubrité publique et l’urbanisme (9,4%) et l’économe (2,2%). Si on analyse ces dépenses d’un point de vue économique, on obtient le tableau ci-dessus (9).
Le budget extraordinaire reprend quant à lui l’ensemble des investissements réalisés par la commune. La structure de ce budget diffère donc fondamentalement de celle du budget ordinaire. On retrouvera en recettes essentiellement des emprunts (augmentant ainsi la dette de la commune), des transferts (venant notamment d’une autorité subsidiante), des recettes d’investissement (notamment la vente de possession communale). On retrouvera en dépenses les divers investissements programmés, classés selon les fonctions.
Il est important, pour comprendre correctement l’évolution des investissements d’une commune, de ne pas se cantonner à une seule année : en effet, les efforts d’investissements d’une commune et leur répartition entre différentes fonctions ne peuvent se juger qu’après un certain nombre d’années.

Pour analyser un budget
On peut tout d’abord analyser une politique communale particulière en lisant de manière systématique tout ce qui la concerne dans le budget. On peut ainsi choisir la politique de l’enseignement communal dans l’enseignement primaire ou la politique concernant les voiries. Une lecture attentive du budget (ordinaire et extraordinaire, du tableau des emprunts, des investissements prévus, etc.) permet de comprendre (surtout si on connaît bien le secteur en question) l’évolution de ce secteur. On peut ainsi voir évoluer concrètement une politique communale. Pour que cette analyse soit la plus intéressante possible, il faut la mener sur plusieurs années (budgets) en vue de voir se dessiner des changements éventuels. Cette analyse particulière peut s’appliquer à des questions plus pointues comme l’endettement de la commune, l’évolution des recettes structurelles les plus importantes.
Il est également intéressant de voir l’évolution des grandes masses de recettes et de dépenses d’une commune au travers de plusieurs exercices. Cela permet de mettre en lumière les changements les plus importants dans la structure financière communale, de voir les évolutions en termes de dette communale, de fiscalité, de politique du personnel ou de transfert.
Comparer une commune avec une autre de taille et de population relativement semblable est un exercice très utile, car il permet de découvrir les politiques différentes menées face à des réalités similaires. Ainsi, comparer Liège à Charleroi ou Schaerbeek et Anderlecht est très instructif. Cette analyse doit bien mettre en lumière les grandes masses budgétaires des communes comparées et peut également faire une analyse plus pointue dans un domaine particulier. Il faut cependant veiller à intégrer dans l’analyse comparative des pratiques qui peuvent varier en ce qui concerne le recours à des organismes extérieurs : une commune qui a son propre service d’incendie a d’autres types de dépenses qu’une commune qui participe à une intercommunale.

Un budget, des enjeux
Analyser un budget c’est sans doute vouloir vérifier si des marges existent en vue de mener une autre politique. On constatera souvent que les marges de modification sont assez faibles dans le court terme mais que des modifications plus importantes sont possibles à moyen terme. Analyser un budget, c’est également voir comment les mécanismes de solidarité s’exercent entre communes riches (où les recettes sont plus importantes et les dépenses moindres) et communes pauvres, entre communes des centres urbains et communes des périphéries, entre communes urbanisées et communes rurales; c’est réfléchir aux enjeux globaux d’une région. Analyser un budget c’est distinguer de nouvelles initiatives, de nouveaux besoins, de nouvelles voies. Analyser un budget c’est participer à un débat démocratique sur les choix politiques fondamentaux d’une commune, c’est exercer ses droits fondamentaux de citoyen.

Jean-Marie Schreuer

Pour en savoir plus :
- Mémento communal 1999 (édité par Kluwer).
- Dossier du CRISP n° 42 : "La commune", rédigé par Michel Collinge.

1. L’article 241 de la Loi communale précise que "Le conseil communal se réunit chaque année le premier lundi du mois d’octobre pour délibérer sur le budget des dépenses et des recettes de la commune pour l’exercice suivant".
2. Cela est prévu à l’article 242 de la Loi communale.
3, Il faut cependant noter que le pouvoir fédéral prévoit un financement propre pour Bruxelles, capitale du Royaume.
4. Citons à titre d’exemple : recettes et dépenses générales, dette générale, fonds, impôts et redevances, prélèvements, patrimoine privé, justice et police, communications, voirie et cours d’eau, enseignement gardien et primaire, éducation populaire et arts, aide sociale et familiale, etc.
5. Article 255.
6. Article 252.
7.Tableau extrait de l’article de Jean-François Husson, "Mini-guide des finances communales pour citoyens intéressés", in Cahiers pour demain, août 2000.
8. Ibid.
9. Ibid.

 

 

Les taxes communales

Les communes peuvent bénéficier de recettes provenant de taxes. Celles-ci peuvent être classées en deux grandes catégories. Les taxes complémentaires et les centimes additionnels sont des taxes qui complètent des impôts levés par d’autres pouvoirs publics. Les additionnels les plus célèbres sont les additionnels sur l’Impôt des personnes physiques (qui est un pourcentage, généralement entre 6 et 8%, qui s’applique sur l’IPP) et sur le précompte immobilier (qui est un pourcentage qui s’applique sur l’impôt déjà perçu sur le revenu cadastral). La loi peut interdire aux communes d’appliquer un additionnel comme c’est le cas sur les impôts sur les sociétés.
Deuxième grande catégorie : les taxes spécifiques. Le conseil communal peut établir une large gamme d’impôts qui lui sont propres et qui sont indépendants des autres pouvoirs publics. Ce seront donc les services communaux (et le receveur) qui en assureront le recouvrement. Cependant, la loi peut interdire certains impôts ou en limiter le montant ; ainsi les communes ne peuvent par exemple pas établir d’impôts sur les jeux de casino ou les permis de pêche.
La lecture du budget permet de connaître (dans la partie "Impôts et redevances") l’ensemble des impôts qui sont appliqués dans la commune ; à titre d’exemple, on peut ainsi voir une taxe sur la force motrice, sur les agences de paris, sur les terrasses, sur les pompes à essence, sur les logias, sur le raccordement aux égouts, sur la délivrance de documents administratifs, sur les surfaces de bureau, sur les chiens, etc.

 

 

Le Fonds des communes

Une des principales recettes d'une commune est la dotation qu'elle reçoit du Fonds des communes. Comme ce sont les Régions qui sont compétentes dans cette matière, cette dotation est calculée d'une manière différente dans la Région wallonne et dans la Région bruxelloise.

Dans la Région wallonne, les communes sont classées en trois catégories et se partagent globalement 32,5 milliards.
Dans une première catégorie, les Villes de Charleroi et Liège reçoivent approximativement 32,5% de la dotation générale répartie proportionnellement à ce que chacune d'elle a reçu l'année passée avec une répartition égale entre elles pour l'augmentation éventuelle. Dans une deuxième catégorie se trouvent 22 communes particulières (*) et dans la troisième catégorie se trouvent les autres communes. La répartition du montant à affecter entre les communes de 2e et 3e catégorie se fait selon un certain nombre de mécanismes complexes basés principalement sur les critères suivants : population (dont population de nationalité étrangère), coefficient fiscal favorisant les communes demandant de leurs habitants un effort fiscal plus important, densité de la population défavorisant les communes avec une densité moyenne. Notons qu'une part du Fonds des communes tient compte des difficultés sociales et économiques des communes (pertes d'emploi et pauvreté).

Dans la Région bruxelloise, le montant global du Fonds des communes (7,2 milliards en 1999) est réparti en trois parts:
- une dotation de base (8% du Fonds) est répartie en fonction de la population et de la superficie totale bâtie
- une dotation de recettes (42% du Fonds) est répartie en fonction de ce que les communes perçoivent comme additionnel à l'Impôt des personnes physiques et au précompte immobilier
- une dotation de dépenses (50% du Fonds) est répartie selon divers critères : élèves inscrits dans l'enseignement, densité, chômeurs de plus d'un an, nombre d'ayant droit au minimex, superficie communale comprise dans l'espace de développement renforcé du logement.


*Arlon, Ath, Bastogne, Dinant, Eupen, Huy, La Louvière, Marche en Famenne, Mons, Mouscron, Namur, Neufchâteau, Nivelles, Ottignies Louvain-la-Neuve, Philippeville, Seraing, Soignies, Thuin, Tournai, Verviers, Virton et Waremme.