Si la variété façon Céline Dion, Lara Fabian, Moos, si la soul et le R&B (1) formatés Mariah Carey, TLC, Whitney Huston et le rock/pop comme peuvent en faire Garbage, Texas, Smashing Pumpkins, Lenny Kravitz, Robbie Williams, dEUS, Indochine ou encore Marylin Manson... remportent toujours un énorme succès auprès des jeunes, on observe toutefois un engouement croissant pour des tendances musicales à l’histoire plus récente et par conséquent plus difficiles à déchiffrer pour les enfants du rock. Parmi ces mouvances qui ont le vent en poupe, nous avons choisi d’en pointer trois en raison du succès colossal qu’elles remportent et du phénomène qu’elles constituent auprès des ados. Décryptage de la techno, du rap et des boys band.

 

 

Techno... logie

Au milieu des années 80, comme bon nombre de cités occidentales, Detroit (Michigan) cafarde sur le sinistre sort de son industrie. Une ruine sociale d’où surgissent trois jeunes DJ (2) et musiciens noirs, Juan Atkins, Derrick May et Kevin Saunderson. Ensemble, ils partagent une vision du monde fondée sur la non-violence, le pacifisme, l’écologie... Bercés par les musiques soul et funk mais aussi par la musique électronique de Kraftwerk (groupe mythique allemand des années 70), ils vont sans le savoir créer un nouveau style musical qui se fonde sur le recyclage de sons au moyen de samplers, de synthétiseurs et de platines. La techno est née. Si ce nouveau courant musical doit beaucoup à l’évolution des technologies, à l’utilisation et à la facilité d’accès aux ordinateurs, aux synthétiseurs et enfin à l’apparition du numérique, c’est surtout au climat de deuil industriel qui règne en Occident que l’on doit son ascension fulgurante. Les gestes répétitifs des travailleurs à la chaîne, le bruit assourdissant des turbines, le chant torrentiel des coulées de métal en fusion, les sirènes d’alerte, les allées et venues des ouvriers, les pauses... L’industrie avait imposé un rythme effréné et codé au monde du travail et à l’environnement, le vide qu’il a laissé ne pouvait se réduire à un brutal silence. La techno ressuscite la vie d’alors, la contourne et lui donne une dimension créative nouvelle. C’est dans ce sens qu’on peut voir en la musique électronique une sorte de médecine, un art aux vertus thérapeutiques capable de panser nos blessures et de bercer les jeunes générations de sa rassurante musique. Aujourd’hui, la désignation "techno" a deux sens. Au sens large, techno englobe un vaste ensemble de musiques électroniques comme la house, l’ambient, la dance, le dub, le garage, la jungle, la drum’n bass ou le trip-hop... ayant chacune sa spécificité et ses représentants. De manière plus stricte, techno désigne le style musical né à Detroit décrit plus haut. Dépassant désormais la simple mouvance musicale, la techno est devenue une culture populaire, un hymne à la fête, rassemblant des centaines de milliers d’adeptes lors de ses grandes festivités comme les raves et les parades à Paris, Berlin, New York mais également de nombreux jeunes fêtards du samedi soir habitués aux clubs, discothèques et autres bars branchés. Look coloré, exubérant, mêlant les tendances psychédéliques, les couleurs fluo des années 80 et les accessoires les plus incongrus, le but étant de se sentir à l’aise pour danser toute la nuit. Quelques grands noms de la scène techno (au sens large): Prodigy, The Chemical Brothers, Fatboy Slim, Underworld, Carl Craig, Jeff Mills, Laurent Garnier, Cassius, DJ Cam, Dimitri from Paris...

 

La déferlante rap

Aux USA, on cite: Wu Tang Clan, Ice T., Gang Starr, Public Enemy... En France: MC Solaar, NTM, Doc Gyneco, IAM, Manau... En Belgique: Starflam, De Puta Madre, Defi J... Le rap a traversé l’Atlantique et conquis l’Europe dans les années 80. Aujourd’hui, le rap est devenu un phénomène musical de grande ampleur qui touche une jeune génération qui se montre préoccupée par les problèmes sociaux, le racisme, la paupérisation urbaine, la montée de l’extrême droite et le fossé qui sépare l’État et les citoyens. Une situation que l’on retrouve à la source de ce mouvement musical né pendant l’été 1976 dans le Bronx, quartier noir et pauvre de New York. C’est là que s’organisent des Block Parties, d’immenses fêtes à ciel ouvert qui se déroulaient dans des rues fermées par des barrières et un service de sécurité. Pour l’animer, un DJ et un MC (maître de cérémonie). Remarquant que c’est le break (partie instrumentale du morceau) qui fait danser les gens, le DJ mixe les breaks de différents morceaux au moyen de platines, le MC se charge de faire monter l’ambiance en parlant sur la musique. Le rap est né. C’est communément le tube mondial Rapper’s Delight du groupe Sugarhill Gang en 1979 qui sera retenu comme point de départ de l’histoire du rap. Au cours des années 80 aux

États-Unis, la situation sociale et économique des Noirs devient de plus en plus difficile. Le rap se radicalise et des groupes comme Public Enemy à New York deviennent des porte-parole de la cause noire. Sur la côte Ouest, dans les quartiers chauds de Los Angeles, les rappers comme ceux du groupe NWA lancent ce qu’on appelle le “gangsta rap”, autrement dit le rap de gangster. Meurtres, trafic de drogue, prostitution en sont les thèmes récurrents. En 1993, le gangsta rap de Snoop Doggy Dog rencontre un succès planétaire avec son album "Doggystyle".

C’est par la télé, les radios et le cinéma (comme Beat Street ou Break Street 84) que les Français et les Belges découvrent le rap et le breakdance. Benny B. et MC Solaar deviennent populaires au début des années 90. Mais en Europe, le rap ne revêt pas les mêmes caractéristiques que le rap US. Décrivant une réalité sociale différente, le rap européen est un rap métissé qui appelle davantage à une solidarité entre les différentes communautés et à un engagement des jeunes dans la société. Ici comme ailleurs, le rap n’échappe pas au tourbillon de la mode et à la commercialisation de son art: baskets, casquettes, vêtements de sport comme parties visibles de l’iceberg Hip-Hop.

 

Les boys et girls bands

Personne n’a pu échapper à la déferlante surmédiatisée des boys et girls band. Le public essentiellement préadolescent et adolescent (3-16 ans) et essentiellement féminin n’en peut plus de se pâmer devant ces groupes recrutés par castings au look apprivoisé. Jeunes gens aux corps athlétiques, jolis minois soumis aux régimes draconiens fondés sur quelques principes comme: séance de musculation quotidienne, défense de s’afficher avec un ou une partenaire, couvrir le plus grand nombre d’interviews et de shows afin d’assurer une visibilité maximale. On a beau faire la moue, afficher un air dédaigneux, il faut se rendre à l’évidence: ça marche! Principale raison de cet engouement, le caractère merveilleux qui colle à l’image de ces groupes. Leurs histoires sont travaillées sur le canevas des contes de fées. Ils sont clean, ne se droguent pas, ne boivent pas, ils sont sportifs, n’ont aucun discours revendicatif, ils sont pleins aux as et, en plus, ils ont un grand cœur: de quoi amadouer plus d’une fille et de quoi également rassurer tous les parents inquiets de voir leurs enfants hypnotisés par des groupes au caractère bien trempé.

Côté filles, les Spice Girls sont largement en tête. Côté garçons: Backstreet Boys, 2be3, Boyzone, Alliage, Another Level... se partagent le gâteau. Des noms aux contours propres et lisses qui sonnent comme des formules magiques et surtout qui alimentent un incroyable business: des millions d’albums vendus, des tournées de concerts dans d’immenses salles aux places très chères. À cela s’ajoutent les répercussions en espèces sonnantes et trébuchantes pour de nombreux magazines ados, des émissions télé commerciales et de manière indirecte sur de nombreux sitcoms bâtis sur le même univers. Une véritable industrie aux rouages aussi bien huilés que les corps des Filip, Adel, Frank, Nick, Gerald, Andrew et autres héros des podiums. Point de départ du phénomène boys band actuel: la constitution en 1989 à Boston du groupe New Kids On the Block par un producteur. Cinq bons petits boys qui auraient pu être vos voisins de palier, qui savent danser et chanter sur du rap, de la soul et de la dance. Chacun se voit attribuer un rôle fédérateur: le tombeur, le romantique, le voyou, le sportif, le rêveur. En cinq ans, ils vendent 18,5 millions d’albums. C’est le jackpot. L’Europe applique à son tour la recette miracle et c’est d’abord aux Take That puis aux Worlds Apart de lancer la déferlante boys band sur les rails.

Sylvie Bourguignon

 

  1. R1B pour Rhythm ans Blues.
  2. DJ pour Disc-Jockey, anglicisme qui désigne une personne qui passe de la musique de variétés à la radio ou dans une discothèque, un animateur de soirée.