Capture decran 2025 10 06 a 134715En mai 2025, la réforme des médias de proximité proposée par la ministre Jacqueline Galant (MR) annonce une reconfiguration profonde du paysage audiovisuel local. Réduction du nombre de télévisions, baisse des financements publics, incitation à la privatisation : l’esprit des télés locales est mis à l’épreuve. Derrière ces mesures, c’est une certaine idée du média libre qui vacille. Pour en comprendre les enjeux, il faut revenir à leur genèse. Toute institution porte en elle les traces de son désir fondateur – sa phase instituante. La revisiter permet d’envisager l’avenir des médias libres comme outils d’émancipation, de lien social et de démocratie culturelle.

Jacqueline FASTRÈS Réalisation Téléformation Animation (RTA)

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En mai dernier, la ministre des médias en Fédération Wallonie-Bruxelles, Jacqueline Galant (MR), a présenté son projet de réforme des «médias de proximité». Les télévisions locales, qui sont actuellement douze, devraient se réduire à huit via un système de fusions. Le financement public serait aussi réduit et les médias de proximité invités à chercher d’autres ressources, notamment dans le privé.

AKT for Wallonia, le réseau des entreprises wallonnes, propose d’ailleurs que les entreprises de Wallonie participent au financement en échange de davantage de couverture de « l’actualité » de ces entreprises1. Par ailleurs, il est question de fusions également dans la presse écrite. Cette situation apporterait des modifications substantielles au fonctionnement, au sens et aux visées des médias locaux, en bref à leur esprit. Aussi est-il nécessaire de se rappeler d’où vient cet esprit et comment il s’est construit.

Dans cette analyse, nous souhaitons refaire le point sur ce que nous appelons la « phase instituante » de toute association (en l’occurrence ici, des médias associatifs).

La phase instituante est l’expression d’un désir qui pousse des citoyen·nes à «lier leur sort » pour faire exister quelque chose qui n’existait pas : de quel désir social cette mobilisation est-elle le produit ? Comment ce désir se formule-t-il, se met-il en place ? La manière d’avoir en tête cette référence à la phase instituante est en effet déterminante pour le projet « politique » d’une association ou d’un groupe d’associations tel qu’il se déploie dans le temps.

Ce projet politique (au sens premier du terme « politique ») s’inscrit toujours dans un contexte bien particulier, qui colore ses inflexions. Il est aussi – souvent – un « modèle», un « creuset », pour d’autres, quitte à ce qu’il faille s’en distinguer.

Nous passerons par la phase instituante de trois types de médias dans trois temporalités, signifiant ainsi que des filiations existent entre ces types. Nous examinerons :

  • • d’abord comment s’est créé le premier journal ouvrier pérenne en France, en 1831, pour ses dimensions sociales et associationnistes, qui ont percolé dans d’autres médias des pays alentour, dont le nôtre ;
  • • puis nous aborderons la création des radios libres, apparues dans un contexte à la fois post-soixante-huitard de libé- ration, mais aussi de début de la crise économique des années 1970 ;
  • • et enfin celle des télévisions locales qui en sont les héritières.

Cette phase instituante est – parfois – suivie d’une phase instituée: il s’agit alors de s’organiser pour durer, ce que les télévisions locales ont vécu en obtenant législation, statut, financement. Cette phase instituée, aujourd’hui menacée par les décisions gouvernementales, est le fruit des luttes pour sa légitimité qui, pendant toute l’histoire d’une association, se mènent, à l’interne comme à l’externe, pour en déterminer l’usage, l’utilité, les effets et même l’esprit.

Naissance de la presse ouvrière en France

«C’est à Lyon, entre octobre 1831 et mai 1834, que parut le premier journal ouvrier pérenne publié en France. Là, les canuts2 créèrent leur propre organe, un hebdomadaire de huit pages sur deux colonnes, L’Écho de la Fabrique.

Durant une quinzaine de mois, les chefs d’ateliers et ouvriers en soie allaient s’entendre, s’informer, débattre, prendre voix dans leur journal, semaine après semaine, pour tenter d’adapter le régime complexe de la fabrique lyonnaise à l’évolution industrielle en cours, de manière à préserver leur autonomie et leur liberté3. »

Ce journal apparait dans une configuration très particulière, puisque l’industrie de la soie, qui a fait de Lyon une référence en la matière, se présentait là dans une organisation très morcelée, sur le modèle de la manufacture dispersée.

 «La production des tissus de soie n’est pas, comme celles des autres tissus, concentrée dans quelques grands en- sembles réunissant des masses d’ouvriers [...]. La production dont il s’agit se répartit, au contraire, entre plusieurs centaines de maisons qui reçoivent, en premier lieu, les commandes des mains des commissionnaires, leurs intermédiaires avec les pays de consommation. Elle est ensuite distribuée par chaque maison entre des chefs d’atelier qui, possédant chacun un ou plusieurs 

métiers exploités par eux-mêmes ou par des ouvriers logés chez eux, sont de fait à la tête de petites manufactures dont la réunion compose à proprement parler la fabrique de Lyon4. »

Le premier numéro du journal parait le 30 octobre 1831, au milieu du conflit qui allait culminer trois semaines plus tard dans la première insurrection des canuts (22 novembre 1831). Son prospectus de démarrage est explicite:

« Sans défense jusqu’à ce jour contre les menées du commerce, en butte aux brutalités, aux injustices criantes de certains de MM. les négocians (sic.) dont on n’ignore ni la condition primitive, ni le marchepied qui les a aidés à se hisser sur des coffres-forts immenses, les infortunés ouvriers ont choisi, pour arme défensive de leurs droits, la publicité. Par-là, ils se proposent de faire connaitre avec précision et franchise à une population de plus de 150 000 âmes, dont ils sont la majeure partie, la cause du malaise général dont souffre cette même population, et les moyens d’établir un équilibre qui, sans léser les intérêts généraux des chefs de fabrique, apporterait une amélioration dans le sort de ceux qui sont sous leur dépendance5. »

Marius Chastaing, l’un des principaux responsables du quotidien, précisera plus tard le rôle qu’il entendait faire jouer à ce journal6 : « On m’a demandé la définition d’un journal, j’ai répondu : c’est un bouclier, un javelot, un miroir, une arène, une table rase. bouclier, un journal sert d’arme défensive ; javelot, il sert à l’attaque ; miroir, il réfléchit les opinions ; arène, il leur ouvre

 

 un champ libre ; table rase, il reçoit et conserve leur expression diverse.»

Dès son premier numéro, ces divers objectifs – défensifs, offensifs, réflexifs, éducatifs, délibératifs – sont déjà concrètement décrits :

« Ce Journal (...) comprendra dans chaque Numéro un article d’historique de la fabrication de la soierie {miroir}, toutes les découvertes utiles qui y ont trait {javelot, pour mettre à disposition de tous les nouveautés et en particulier les inventions de l’intérieur dont il y a tout lieu d’être fier}, tous les griefs imputés aux divers chefs de commerce et appuyés de preuves authentiques {bouclier/javelot}, les débats détaillés de tout ce que les séances des prud’hommes offriront de plus piquant {bouclier}, quelques articles de localité, et enfin une colonne d’an- nonces pour les insertions de tout ce qui peut intéresser la fabrique des étoffes de soie (arène/table rase)7

Pour assumer tous ces rôles, les rédacteurs8 vont discuter dans les pages du journal de « l’association industrielle » et de « l’enseignement mutuel », tenir la chronique des séances du conseil des prud’hommes, développer leurs réflexions sur « l’économie sociale », présenter leurs poèmes, chansons et charades, multiplier les conseils pratiques, dans le domaine de « l’hygiène » aussi bien que dans celui de la «jurisprudence usuelle», proposer des « lectures prolétaires », croiser le fer avec les journaux rivaux, notamment le Courrier de Lyon, organe de la Préfecture.

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La phase instituante de L’Écho de la Fabrique est donc le produit de la conjonction de plusieurs éléments: une situation sociale très difficile (morcellement des unités de production, baisse des tarifs, concurrence d’autres pays, évolution du capitalisme industriel, augmentation du paupérisme), mais aussi de nouvelles expérimentations, pas seulement techniques, mais aussi sociales : le mutuellisme se développe, un système de caisse de secours se met en place, une forme de coopérative (le « commerce véridique ») se crée.

Les rôles décrits par Marius Chastaing constituent à la fois l’explicitation des principes de légitimité du journal, librement définis par ses concepteurs, et pourraient sans doute structurer un processus d’auto-évaluation d’un média libre.

En Belgique, il faudra attendre 1848 pour trouver des organes de presse solides avec des objectifs similaires (dont Le travailleur). Le journal des canuts restera un modèle à plus d’un endroit.

Le mouvement des radios libres

Pour ce qui concerne les radios dites « libres », c’est de l’Italie que viendra le modèle, au début des années 1970. Plus précisément c’est de Bologne, ville étudiante, ville communiste, où le poids de la crise économique qui suit le choc pétrolier de 1973 se mêle à de gros bouleversements politiques dans le pays (le «compromis historique »), mais où l’héritage de mai 1968 est encore très vif.

Félix Guattari, créateur de l’analyse institutionnelle en France, est impliqué dans la création de Radio Alice en 1976. Son comparse Bifo, qui fut animateur de la station, en parle de cette manière:

«Félix ne parle pas de Radio Alice comme d’un outil d’information, mais comme d’un dispositif capable de provoquer ou d’accélérer un processus de déstructuration du système médiatique, résultant de ce mouvement de réappropriation de la parole qui s’est exprimé dans les années soixante et soixante-dix, et pas seulement en Italie. Ce qui l’intéressait surtout c’était le début d’un processus de prolifération des agents d’énonciation destiné à faire exploser le modèle mass-médiatique9. »

Il nous donne une intéressante clef de compréhension de cette entreprise en discernant les concepts de dispositifs et d’automatismes. Pour lui, les mass-medias classiques sont des automatismes, ils sont tributaires d’une chaine technologique dont la fonction structurelle est d’induire la passivité de l’usager·ère, de le·la maintenir assis·e et silencieux·se devant ses appareils de réception. Au contraire, quand on agence un dispositif énonce-t-il :

« Il s’agit plutôt de court-circuiter le médium au niveau de sa structure, dans son système de fonctionnement linguistique, technologique, de s’attaquer aux agencements, aux interfaces, de réagencer et de refinaliser le dispositif, et pas seulement le contenu qu’il produit. »

Il précise également l’objectif du combat : «Il ne s’agit pas de réagir à la force du pouvoir en lui opposant une force égale, contenus contre contenus. Il s’agit au contraire d’introduire dans les interstices de la communication sociale des facteurs de déviation, d’ironie, de décloisonnement, il s’agit de trouver des lignes de fuite capables de faire “délirer” le flux dominant et de faire émerger l’obscène, ce qui reste en dehors de la scène. »

L’utilisation du téléphone en direct dans les émissions, par exemple, a été un élément de réagencement qui a cassé le caractère centralisateur du système radio et ouvert la voie à des agencements expérimentaux de diverses sortes. Pour Radio Alice, il s’agissait de « conspirer, c’est-à-dire respirer ensemble ».

Radio Alice fut considérée comme une radio subversive et la police mit fin très brutalement à ses émissions le 12 mai 1977.

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En Belgique, comme en Italie et en France d’ailleurs (on peut penser à Radio Verte), la radio libre devient très vite un moyen de lutte et d’opposition contre l’ordre établi. L’outil radiophonique est idéal pour faire circuler les idées minoritaires et contestataires variées, que des groupes défendent et qui ne trouvent pas écho sur les ondes des radios nationales, très cadenassées ou dans les émissions commerciales des médias « privés » (capitalistes).

C’est dans cet état d’esprit que voit le jour la première radio libre francophone, à Couvin en mars 1978 : Radio Eau noire.

« Tant par les circonstances de sa création que par son mode de fonctionnement, elle est représentative de la première vague des radios libres intervenue en Belgique, ces radios qui peuvent être qualifiées de militantes ou de combats, mues par des préoccupations d’ordre environnemental10. »

Elle doit sa naissance à la résistance des Couvinois·es à un projet de barrage sur la rivière Eau noire, projet annoncé par le ministre des Travaux publics en janvier 1978 et qui devait noyer une partie de la vallée. Un comité de défense se forme rapidement et crée, entre autres moyens de lutte, une radio qui émet en toute illégalité. Son organisation est digne des temps des maquisards : les rôles sont bien compartimentés, chaque maillon de la chaine ne connaissant pas le rôle du précédent et du suivant. De la sorte, le jeu de cache-cache avec les gendarmes et les voitures goniométriques tentant de localiser l’émetteur dure plusieurs mois – et offre à la radio une publicité involontaire. Radio Eau noire est un exemple de « bouclier », et même de « javelot », tels que l’Écho de la fabrique se les imaginait.

« La radio constitue un moyen de lutte qui vient s’ajouter à diverses actions sur le terrain, parfois très dures, dont le comité de défense ne manque pas d’informer la presse régionale, voire nationale: manifestation au cabinet du ministre, envahissement des bureaux de l’administration des travaux publics à Bruxelles, destructions par deux fois à Couvin des installations des ingénieurs chargés de la concrétisation du projet, impressions d’affiches et autocollants, etc.11 »

La bataille fut finalement gagnée et le barrage ne vit pas le jour.

« L’outil radiophonique est idéal pour faire circuler les idées minoritaires et contestataires variées, que des groupes défendent et qui ne trouvent pas écho sur les ondes des radios nationales, très cadenassées ou dans les émissions commerciales des médias "privés". »

Des radios libres «boucliers et javelots», il y en eut d’autres: dans le domaine de l’environnement, Radio Verte à la Roche en Ardenne lutte aussi contre un barrage ; Radio Noire à Huy, Radio Irradiée et Radio Activité à Andenne luttent contre le nucléaire, de même que Radio Tam Tam à Bruxelles, etc.

Leur phase instituante est basée sur une indignation collective face à un pouvoir excessif faisant fi des citoyen·nes. Ainsi, dans le prospectus de lancement de Radio Eau noire, on pouvait lire :

«En disant non au barrage, c’est au SYSTÈME que les Irréductibles Couvinois disent NON ! (...) Le SYSTÈME ne se caractérise-t-il pas (...) par la manière tout insidieuse dont il déprime la conscience des citoyens? Par la manière dont il les déconnecte d’avec les évènements politiques, socio-économiques dont ils devraient cependant garder constamment le contrôle12 ? »

Ces radios cessent d’émettre à la fin du combat, qu’il soit gagné ou perdu. Des questions environnementales, au sens large du terme, mobilisaient ce premier groupe, mais d’autres radios ont soutenu des combats » ordre social, voire politique, ou des objectifs plus communautaires ou associatifs. Quel que soit l’objectif, il s’agissait de donner la parole à celles et ceux qui ne pouvaient, autrement, y accéder, et de permettre à des auditeur·rices de capter d’autres propos que ceux de la ligne dominante (étatique ou commerciale), bref de faire vivre une démocratie culturelle effective, selon l’expression de Marcel Hicter13.

 

Les télévisions locales

C’est dans la droite filiation des radios libres que sont nées les télévisions locales. L’inspiration, cette fois, vient du Québec.

En 1970 débute l’histoire de la télévision communautaire, à Normandin, au Québec. Des télévisions locales desservies par câbles existaient déjà au Canada, mais n’étaient alimentées que par des professionnel·les. À Normandin, pour la première fois, ce sont des membres de la communauté desservie qui vont se saisir de la caméra et créer eux-mêmes leurs programmes à diffusion locale. L’initiative fera des petits, émigrant en France, en Grande-Bretagne, et en Belgique à partir de 1976.

«L’autre télévision» était née. Née du développement des réseaux câblés de télédistribution, de l’apparition du magnétoscope domestique. Née aussi d’un courant de revendication communautaire, de convivialité pendant et après mai 68, qui toucha de nombreuses institutions14. »

En 1977, Dorothy Todd Hainaut, productrice de projets régionaux, qui a participé à cette aventure au Québec, justifie l’accès aux moyens de communication de celles et ceux qui en sont éloigné·es par trois constats :

« • Que les citoyens ordinaires peuvent apprendre à utiliser eux-mêmes un VTR (Video tape recorder) et d’autres médias. Ils peuvent alors acquérir les aptitudes requises, tant sur le plan technique que sur le plan conceptuel15.

  • • Que l’effet de “miroir” des médias peut aider puissamment l’individu à se reconnaitre et la communauté à combler les fossés qui la divisent en groupes d’intérêts.
  • • Que le plus important facteur, dans l’utilisation des médias, est l’élément humain. Des gens apprennent à utiliser les médias plus efficacement s’ils ont avec eux quelqu’un de rompu au développement “communautaire” ou à l’animation sociale16. »

On peut reconnaitre dans cet argumentaire la volonté de mettre en place un dispositif, au sens où l’entendait Bifo, en opposition à un automatisme descendant et limitateur. On peut y reconnaitre aussi la volonté de Félix Guattari de construire des groupes-sujets plutôt que d’encadrer des groupes assujettis. Enfin, on peut y lire aussi la pensée de démocratie culturelle déjà évoquée. Nous retrouvons ici l’explicitation de principes de légitimité constitutifs du projet dans sa phase instituante.

Si l’expérience de Normandin ne dura pas très longtemps, elle fut en revanche une source d’inspiration très importante en Communauté française.

« Ainsi de nombreux groupes d’animation socio-culturelle, fascinés par la tech- nique d’expression en vidéo, ont voulu dépasser le stade de la production de vidéogrammes en accédant au câble. Une partie de ces groupes ont créé une association, Vidéoption (Vidéo St-Josse, Radio Télévision Animation Jambes...), dont l’objectif est de revendiquer la possibilité matérielle et légale d’ouvrir les réseaux de télédistribution à des télévisions alterna- tives, poursuivant les mêmes objectifs que leurs consœurs québécoises : animation sociale et participation17. »

C’est ainsi que les médias libres sortirent progressivement de l’illégalité et que le paysage actuel des télévisions locales se stabilisa.

Conclusion

Toute stabilisation correspond à la phase instituée d’un projet. Notons d’abord que la phase instituée marque une victoire: une négociation avec les autorités a porté ses fruits, une reconnaissance est acquise, un cadre est posé, des moyens sont définis. Néanmoins, d’autres défis s’annoncent dès cet instant18.

Autant dans la phase instituante, il fallait se relever les manches et aller au combat si nécessaire, autant dans la phase instituée, il s’agit de s’organiser pour durer, dans un cadre qu’il convient de respecter, mais sans se renier. Une épreuve à surmonter est de parvenir à une fidélité créatrice : ne pas renier les engagements pris dans la phase instituante, tout en s’adaptant aux évolutions nécessaires.

La phase instituée est donc traversée par des controverses et, souvent, par des dilemmes : si survivre, c’est s’adapter, s’adapter peut équivaloir à se renier.

Toute logique associative est aussi le théâtre de luttes constantes pour la légitimité. Les visées qui ont présidé à la création de l’association peuvent se heur- ter à d’autres (professionnalisme contre participation par exemple ou centralisation contre dispersion), se voir en opposer d’autres (devenir les relais du « Système » contre un financement).

Ces luttes pour la légitimité sont des luttes éthiques et politiques, que la connaissance historique peut aider à identifier : les médias « libres » pourront-ils encore être des dispositifs au service des populations, ou seront-ils condamnés à ne plus être que des automatismes? Ces luttes devraient sans doute nourrir des processus d’au- to-évaluation menés par les protagonistes du dispositif eux-mêmes.

Qu’on se rappelle, en effet, que ce n’était pas un hasard si, dans l’histoire, ont été concomitamment réprimés ET le droit d’association ET le droit de presse. Soit deux adjuvants de ce que Robert Castel nomme la propriété sociale, c’est-à-dire la propriété de celles et ceux qui ne sont propriétaires de rien19.


 

1 «Réforme des médias de proximité : AKT for Wallonia propose l’aide financière des entreprises», rtbf.be, 11 aout 2025.

2 « Canuts » était le surnom, un peu péjo- ratif au départ, assumé ensuite, des ouvriers de la soie à Lyon.

3 L. FROBERT (dir), L’Écho de la fabrique, naissance de la presse ouvrière à Lyon, Lyon, ENS édition, 2010. Outre cet ouvrage, on peut retrouver l’intégralité des publications de ce journal – et de ses avatars– sur le site http://echo-fabrique.ens-lyon.fr/

4 L’Écho de la Fabrique, 23 octobre 1831.

5 Idem, prospectus de lancement du 23 octobre 1831.

6 Idem, numéro du 29 avril 1832.

7 Idem, prospectus de lancement du 23 octobre 1831.

8 Le journal comptera quelques figures importantes dans le rôle de journalistes, mais les apports des canuts eux-mêmes sont très nombreux.

9 (Franco Berardi), « Les radios libres et l’émergence d’une sensibilité post-média- tique », Multitudes, 21, été 2006, consultable sur www.multitudes. net/les-radios-libres- et-l-emergence-d/. Les citations suivantes ont la même origine.

10 P. CAUFRIEZ, Radio Eau noire, première radio belge: la radio comme outil de lutte, villagelaforet.jimdofree. com/radio-eau-noire/

11 P. CAUFRIEZ, op.cit.

12 Ibidem.

13 M. HICTER, Pour une démocratie culturelle, édition de la Direction générale de la Jeunesse et des Loisirs du Ministère de la Communauté fran- çaise avec la Fondation Marcel Hicter, 1980. Sur ce sujet, voir aussi J. FASTRÈS et J. BLAIRON, « La démocratie culturelle aujourd’hui, pour quoi faire ? », Intermag, analyse d’éducation permanente, mars 2021, disponible en PDF. 

14 R. VAN APELDOORN, « Les télévisions locales et commu- nautaires », CRISP-CH 1075-1976, 12 avril 1985, p.3.

15 Non sans humour, elle raconte qu’elle- même dut expliquer

aux profanes la manière de se servir du matériel, et que ses collègues la raillèrent en lui reconnaissant la « compétence des nuls»: «Les gens te regardent et ils sont sûrs qu’ils peuvent faire mieux.»

16 R. VAN APELDOORN, op. cit. p. 6.

17 R. VAN APELDOORN, op.cit, p.9.

18 Quelques-uns de ces défis sont décrits par Jean Blairon, il y a 15 ans déjà, dans

« TV locales et champ médiatique, alignement ou ouverture de nouveaux possibles ? », analyse d’éducation permanente, Intermag, novembre 2021 intermag.be/images/ stories/pdf/tv_locales_ et_champ_mediatique. pdf.

19 Pour approfondir la notion de propriété so- ciale, voir les récentes analyses de RTA sur la question, liées aux décisions de l’Arizona et notamment: J. FASTRÈS, A-F FONTAINE et PH. MAHOUX, « Le programme de la coalition Arizona et des autres gouver- nements belges : des attaques inédites et cumulées contre la propriété sociale », analyse d’éducation permanente, Intermag, février 2025, disponible en PDF. 

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