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Menaces sur les missions d’éducation permanente, glissement vers la privatisation, conséquences néfastes sur l’action locale, mais aussi l’emploi... La réforme des médias de proximité annoncée par la ministre des Médias, Jacqueline Galant, suscite des inquiétudes. Analyse.

 

 

 

 

Manifestation du personnel des Médias de proximité devant le cabinet de la ministre Jacqueline Galant.. ©Pablo Berckmans, militant CNE

Julien GRAS, Secrétaire politique MOC

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Les premières initiatives des « télévisions locales et communautaires», comme on les appelait alors, ont émergé dans les années 1970-1980, encadrées et soutenues par la Fédération Wallonie- Bruxelles (FW-B). Jusqu’à la création de TV Lux en 1996, un maillage de télévisions locales s’est formé, couvrant toutes les communes de la Fédération.

On compte aujourd’hui douze médias de proximité (MDP) – dénomination officialisée par le décret de 2021. Ils ne constituent pas un service public comme la RTBF. Il s’agit d’asbl de droit privé bénéficiant de divers financements publics1 en échange de la réalisation de certaines missions d’intérêt public. Le décret évoque «la production et la réalisation de programmes d’actualités, d’animation, de développement culturel et d’éducation permanente », selon le décret, dans la zone de couverture les concernant et dans un rapport de grande proximité avec leurs publics2.

En 50 ans d’existence, les MDP ont fortement évolué au gré de différents d crets, du développement des nouvelles technologies, des réseaux sociaux, mais aussi en fonction des besoins et usages du public. Ils regroupent des centaines d’employé·es et de pigistes et une grande diversité de métiers (journalistes, réalisateur·rices, technicien·nes, documentalistes, etc.). Au fil du temps, les MDP ont aussi fédéré davantage leurs ressources, à travers notamment le Réseau des médias de proximité (RMDP)3.

« Aujourd’hui, la politique de la ministre semble davantage vouloir imposer plutôt que valider des fusions "volontaires". Avec le risque de diviser les opérateurs dans un premier temps pour affaiblir structurellement leur capacité de résistance. »

Une réforme inquiétante

Jacqueline Galant (MR, ministre des Médias en FW-B) a la volonté de réduire de douze à huit le nombre de médias de proximité4. La libérale justifie sa réforme par le contexte budgétaire très compliqué de la FW-B. Son objectif : « rationaliser » et optimiser le secteur des MDP «en concentrant les moyens sur un nombre réduit d’acteurs, mieux structurés et géographiquement cohérents » en donnant aux MDP « un cadre pour leur permettre de survivre ». Un discours aux accents de novlangue qui imprègne d’autres textes et déclarations du gouvernement Arizona5.

Concrètement, l’idée est de ne plus subsidier à partir de janvier 2031 qu’un média de proximité par province seulement, à l’exception du Hainaut et de Liège qui pourraient « encore » disposer de deux MDP chacune. Le Hainaut, qui compte aujourd’hui quatre médias de proximité6, serait particulièrement touché, ainsi que les trois acteurs établis en province de Namur7. La ministre entend laisser un délai maximum d’un peu plus de cinq ans aux opérateurs pour préparer les éventuelles fusions.

La note Galant – présentée comme une « pièce à casser », ce dont on peut douter au vu de la vision de la concertation défendue par la ministre sur d’autres sujets8 – prévoit aussi de mettre fin dès 2026 à l’indexation des subventions al- louées aux MDP, comme cela a déjà été décidé pour la RTBF. Par ailleurs, l’enveloppe d’aides à la promotion de l’emploi (APE) – 8,4 millions d’euros octroyés en 2023 – serait réduite de 10 % annuelle- ment jusqu’au terme des conventions qui les lient avec la FW-B. Le texte signale également qu’une répartition des moyens APE serait «rééquilibrée entre les différents médias de proximité ». Les MDP seront également encouragés à chercher des financements auprès de partenaires privés.

La Déclaration de politique communautaire (DPC) annonçait que « pour stimuler leur vitalité, en concertation avec les acteurs concernés, le Gouvernement incitera les synergies intégrées entre les médias de proximité et avec la RTBF, sur base d’accords garantissant une juste réciprocité et la valorisation des économies ainsi réalisées. Un cadre permettant des fusions volontaires sera établi. Le Gouvernement évaluera les possibilités d’alléger les contraintes administratives pesant sur les médias de proximité ».

Aujourd’hui, la politique de la ministre semble davantage vouloir imposer plutôt que valider des fusions «volontaires». Avec le risque de diviser les opérateurs dans un premier temps pour affaiblir structurellement leur capacité de résistance. On peut légitimement supposer que les fusions imposées ne pourront avoir que des conséquences négatives concernant l’emploi, mais aussi sur la couverture locale de différentes actions. Les communes déjà délaissées aujourd’hui le seront encore plus demain. En lien avec la DPC, le projet de la ministre intègre également un important volet de simplification administrative.

L’idée est notamment de réduire ou de supprimer une série d’éléments en termes de production (en matière d’éducation permanente notamment). Deux missions principales sont en revanche réaffirmées : l’information et la promotion de la culture. Autre inquiétude : la privatisation des services publics. Ce risque concernant une série de missions de service public était déjà clairement identifié dans la DPC. La réforme de la fonction publique présentée ce 1er septembre par la ministre Galant confirme la tendance9. On observe avec beaucoup de méfiance ce même glissement pour les MDP « encouragés à chercher davantage de financements auprès de partenaires privés », voire, s’ils veulent continuer à exister (pour ceux qui n’auront plus de soutien public en Hainaut et dans la province de Namur), de pérenniser leur existence exclusivement à travers un soutien privé.

Aussi, cette « réforme » doit s’analyser dans un contexte médiatique inquiétant. La fusion des deux groupes de presse IPM-Rossel en juin dernier (lire interview dans ce numéro) fait resurgir les menaces qui pèsent sur le pluralisme des médias.

Enfin, il est difficile de ne pas s’inquiéter d’une offensive générale plus large contre l’indépendance des médias10, (la ministre Galant s’étant elle-même fait remarquer pour une interférence avec la RTBF) en visant à terme la négation du rôle de contrepouvoir de certaines institutions ou associations. On a déjà pu observer les attaques contre le monde de la culture par le président du MR11 ou encore la non-indexation de l’enveloppe de la RTBF parmi différents exemples.

Articulée à ce contexte plus global, la réforme des «télévisions locales» doit donc susciter toute notre vigilance.


 

1 Fédération Wallonie- Bruxelles, Région wallonne, provinces, communes... En 2023, ce sont 36 millions d’euros qui ont été octroyés en subsides aux médias de proximité, dont 16 millions d’euros provenant de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Chacun dispose d’une convention avec le Gouvernement de la FW-B d’une durée de 9 ans. Les dernières conventions ont pris cours le 1er janvier 2022 pour se terminer le 31 décembre 2030. Ces conventions doivent faire l’objet d’une évaluation à mi-parcours, soit au plus tard le 30 juin 2026.

2 « Les médias de proximité, des médias qui s’adaptent, évoluent, innovent, échangent et mu- tualisent au bénéfice des citoyens », carte blanche de J-F. FURNÉMONT, Directeur général du Réseau de Médias de proximité, 28 juin 2023. En ligne sur regulation.be

3 Il peut s’agir de ressources humaines et administratives, de la programmation com- mune, de la commer- cialisation au-delà des zones de chacun, de ressources techniques, d’obligations en termes d’accessibilité, d’archivage du patrimoine, de la communication et d’initiatives numériques.

4 « Passer de douze à huit médias de proximité en 2013 : la proposition de réforme de la ministre Galant », rtbf.be/Belga, 27 mai 2025.

5 Avec par exemple l’usage fréquent de la « simplification administrative » ou de « l’évaluation ». Qui peut s’opposer en soi à l’évaluation ou à la simplification administrative ?

6 Notélé (Hainaut- occidental), Télé MB (Mons-Borinage) Antenne Centre (La Louvière & Région du Centre) et Télésambre (Charleroi).

7 Bouké (Namur), Matélé (Rochefort/ Dinant) et Canal Zoom (Gembloux). Cette dernière couvrant une commune namuroise (Gembloux) et trois communes braban- çonnes (Chastre, Walhain et Perwez).

8 « Passer de douze à huit médias de proximité en 2013 : la proposition de réforme de la ministre Galant », rtbf.be/Belga, 27 mai 2025.

9 « Marek Hudon, avec la réforme Galant, le risque de politisation de la fonction publique s’accroit », Le Soir, 2 septembre 2025.

10 « Jacqueline Galant accuse la RTBF de diffuser “une opinion culpabilisante” dans un article sur le racisme et se brouille avec le fédéral », lalibre.be, 22 septembre 2024.

11 « Les déclarations de Georges-Louis Bouchez sur l’utilité d’un ministre de la Culture agitent le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles », rtbf.be, 8 janvier 2025.

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