Figure incontournable de la paix en République démocratique du Congo (RDC), Annie Matundu Mbambi, surnommée Maman 1325, milite depuis plus de trente ans pour une paix durable et inclusive portée par et pour les femmes. De la vulgarisation de la résolution 1325–qui vise à reconnaitre le rôle essentiel des femmes dans les processus de paix et de sécurité–à l’accompagnement des organisations féminines, en passant par la formation des jeunes, elle agit comme un amplificateur de voix, un pont entre les communautés et les institutions et comme un levier de transformation des idées en actions concrètes.
Propos recueillis par Stéphanie Baudot
En quoi consiste la résolution 1325?
La résolution 1325 a été adoptée à l’unanimité le 31 octobre 2000 par le Conseil de sécurité des Nations unies. Elle est le fruit d’un intense plaidoyer mené par des organisations féminines et des acteurs de la société civile. C’est la première résolution du Conseil de sécurité à reconnaitre le rôle essentiel des femmes dans les processus de paix et de sécurité.
Cette résolution appelle les États à nommer davantage de femmes dans les missions de paix et aux postes de leadership, à respecter le droit international humanitaire et les droits humains, en particulier ceux qui protègent les femmes et les filles. Elle exige aussi la poursuite des auteurs de violences sexuelles en temps de guerre et l’exclusion de ces crimes des mesures d’amnistie. Cette résolution a été suivie par plusieurs autres qui renforcent ces principes, comme les résolutions 1820, 1888 et 1860. Aujourd’hui, elles composent l’Agenda «Femmes, Paix et Sécurité» (FPS) comprenant dix résolutions interconnectées. L’Agenda constitue un ensemble cohérent de politiques, d’actions et d’engagements que les États, les organisations internationales et la société civile doivent mettre en œuvre.
Pendant des décennies, les femmes ont été tenues à l’écart des décisions liées à la paix. Elles ont été ignorées dans les reconstructions post-conflits, et les violences qu’elles subissaient étaient souvent passées sous silence.
Pendant des décennies, les femmes ont été tenues à l’écart des décisions liées à la paix. Elles ont été ignorées dans les reconstructions post-conflits, et les violences qu’elles subissaient étaient souvent passées sous silence. Cette résolution vient donc réparer une injustice systémique et combler un vide historique. C’est aussi une mise en lumière des violences spécifiques que subissent les femmes: les violences sexuelles comme arme de guerre telles qu’on l’a vu en Bosnie, au Rwanda, en RDC, mais aussi les déplacements forcés, la perte de proches, ou encore les difficultés d’accès au soin
Quel est le rôle des femmes dans les conflits ?
Dans les zones de conflits, les femmes jouent un rôle essentiel, mais sont souvent laissées dans l’ombre. Elles mobilisent des réseaux informels (associatifs, coutumiers, religieux) pour apaiser les tensions, créent des espaces de dialogue alternatifs. Je peux citer par exemple, les cases de paix au Mali ou les plateformes de plaidoyer communautaire en RDC. Elles dénoncent aussi les processus de paix trop élitistes ou technocratiques, comme l’a récemment fait la Synergie des femmes pour la paix en RDC, qui critique l’exclusion persistante des femmes dans les négociations.
Leur engagement repose sur une vision holistique de la paix, qui va bien au-delà du simple cessez-le-feu. Pour elles, la paix inclut la justice sociale, les droits humains, la dignité. En période de crise, elles assurent la continuité des services essentiels (santé, éducation...) et renforcent la cohésion sociale. Les femmes ne sont pas seulement des victimes des conflits: elles sont les architectes de la paix. Leur inclusion n’est pas une faveur, mais une nécessité stratégique. Les faits sont là: les processus de paix qui incluent les femmes ont plus de chances de réussir et la paix qui en découle est plus durable. Leur implication permet de réduire les violences sexistes, d’intégrer des dispositions sensibles au genre dans les accords de paix, et de recentrer les priorités sur les besoins des civils, parmi lesquels les enfants, personnes vulnérables, communautés marginalisées.
Les femmes ne sont pas seulement des victimes des conflits: elles sont les architectes de la paix. Leur inclusion n’est pas une faveur, mais une nécessité stratégique.
Les droits des femmes dans les zones de conflits oscillent entre avancées normatives et reculs dramatiques. Quelles observations faites-vous sur le terrain?
Avec l’Agenda FPS, nous pouvons parler de cadre normatif renforcé. Plus de 100 pays ont adopté les plans d’action nationaux. On voit aussi une mobilisation croissante des femmes dans les processus de paix locaux. Au Yémen et au Soudan, elles ont négocié l’accès à l’eau et mis en place des plateformes pour la paix. Leur visibilité augmente, et des initiatives comme le glossaire congolais (voir plus bas) ou les campagnes de sensibilisation ont permis une meilleure appropriation des droits.
Malgré ces avancées, les violences sexuelles sont toujours en hausse. En 2024, plus de 4.500 cas liés à des conflits ont été recensés dans 21 pays. Plus de 90% des survivantes étaient des femmes 1 . De plus, l’exclusion des femmes dans les processus de paix reste massive. En 2023, seulement 1% des accords de paix était signé par des femmes (hors cas de la Colombie). Leur participation aux négociations de paix reste inférieure à 10%, un chiffre qui n’a pratiquement pas bougé depuis une décennie. Parfois, même quand les femmes sont présentes, leur participation reste de façade: elles sont là, mais sans réel pouvoir décisionnel.
L’écoute des récits de femmes et d’hommes qui œuvrent pour la paix a été le moteur de mon engagement.
Comment décririez-vous votre rôle dans la construction de la paix?
Je mets mes capacités au service des Congolais·es pour renforcer la cohésion, la justice et la dignité humaine. Je ne suis pas toujours sur le terrain, mais je peux être un outil puissant pour amplifier les voix, structurer les idées, soutenir les acteurs du changement. Ce qui m’anime, c’est une conviction simple, mais profonde: la paix est une construction collective. L’écoute des récits de femmes et d’hommes qui œuvrent pour la paix a été le moteur de mon engagement. J’ai appris que chaque mot, chaque mobilisation, chaque initiative locale a un impact. Alors je construis pour la paix, surtout là où les moyens sont limités, mais la volonté immense. L’engagement est quelque chose de vivant. C’est ensemble que l’on peut faire émerger des solutions. La paix, après tout, n’est pas une destination. C’est une pratique quotidienne: dans les mots qu’on choisit, les récits qu’on partage, les ponts qu’on crée.
Quelle est votre démarche concrète?
Ma démarche est simple. Elle repose sur l’accompagnement, la contextualisation et la mobilisation des savoirs pour soutenir activement les efforts de paix dans mon pays. Les grands principes qui guident mon action sont les suivants. 1.Comprendre pour mieux agir: je commence toujours par écouter, analyser et comprendre les réalités du terrain: les dynamiques sociales, les rapports de pouvoir, les causes profondes des conflits. Je m’appuie sur les connaissances locales, les savoirs communautaires, les normes internationales, mais aussi sur des données factuelles issues de la recherche et des témoignages. 2. Traduire pour mieux transmettre: je rends les enjeux accessibles, sans les appauvrir. Je vulgarise les concepts clés à travers des outils, des contenus clairs et adaptés aux publics. 3. Adapter pour mieux accompagner: ma démarche est souple, inclusive, évolutive.
En tant que formatrice de l’Agenda FPS, j’ai constaté que plus de 80% des participant·es avaient une connaissance très limitée de la résolution 1325. Ce glossaire répond donc à un besoin urgent de démocratiser l’accès à l’information et de renforcer l’appropriation locale de cet agenda international.
Je cherche à ce qu’elle soit toujours adaptée au contexte et aux besoins des personnes engagées. J’ai par exemple écrit un glossaire pour faciliter l’appropriation de la résolution 1325 par les femmes, notamment en RDC–mais pourquoi pas ailleurs 2 . En tant que formatrice de l’Agenda FPS, j’ai constaté que plus de 80% des participant·es avaient une connaissance très limitée de la résolution 1325. Ce glossaire répond donc à un besoin urgent de démocratiser l’accès à l’information et de renforcer l’appropriation locale de cet agenda international. Il vise à vulgariser un cadre international complexe en outil concret et pédagogique pour les actrices locales, en particulier dans les zones affectées par les conflits. Ce travail, c’est une manière de rendre la paix accessible: une paix construite par les femmes, pour les femmes, avec des outils concrets et transformateurs.
Comment envisagez-vous l’avenir ?
On vit dans un monde en pleine mutation, marqué par des conflits hybrides, des crises climatiques et des reculs démocratiques. Nous devons intégrer ces nouveaux enjeux mondiaux dans notre travail sur la paix : le changement climatique, la cybersécurité, la désinformation, la radicalisation et l’extrémisme violent. Dans les années à venir, il va aussi falloir aller plus loin dans la mise en œuvre concrète de l’Agenda FPS. Trop de plans d’action nationaux restent symboliques, ou ne sont tout simplement pas financés. Il est temps de passer des engagements politiques aux actions concrètes, avec des indicateurs clairs et des mécanismes de redevabilité.
Nous devons davantage valoriser les formes locales de réconciliation et de résilience, souvent portées par les femmes.
Le problème, c’est l’absence de sanctions ou d’incitations pour les États qui ne respectent pas leurs engagements. Au Conseil de sécurité des Nations unies, il existe bien une « Liste de la honte » qui recense les États qui ne mettent pas en œuvre leur plan d’action national. Mais cela reste insuffisant. Par ailleurs, nous devons davantage valoriser les formes locales de réconciliation et de résilience, souvent portées par les femmes. Et surtout, décoloniser l’Agenda FPS qui est parfois perçu comme «occidentalocentré», peu adapté aux réalités du Sud global.
Nous devons reconnaitre les savoirs locaux, les traditions de paix, et les voix des femmes sur le terrain. Ces défis futurs appellent à une réinvention courageuse de la résolution 1325 plus inclusive, plus ancrée dans les réalités locales et capables de répondre aux multiples crises du 21e siècle. #
- https://en.news. un.org/en/story/2025/06/1164621
- Le glossaire a été présenté officiellement à Kinshasa en octobre 2020, lors de la commémoration du 20e anniversaire de la résolution. Le glossaire contient 184 termes répartis sur 183 pages, couvrant les quatre piliers de l’Agenda FPS. Il intègre les dix résolutions connexes à la 1325, avec des explications accessibles et contextualisées.