AIFM 2048x1365L’utilisation des technologies d’intelligence artificielle, notamment par les entreprises, progresse à très grande vitesse. En 2024, 24,7% des entreprises implantées en Belgique indiquaient utiliser au moins une technologie d’intelligence artificielle (IA) soit une augmentation de 10,9% par rapport à l’année précédente. La plus grande augmentation a été enregistrée dans les entreprises occupant au moins 250 travailleur·ses où l’utilisation de l’IA est passée de 47,9% à 66,3%1. Mais quels impacts l’IA a-t-elle sur l’emploi, la nature du travail et les conditions de travail? Et quels sont les risques et défis posés par ces évolutions technologiques? Ceux-ci ne pourront pas être abordés sous le seul angle de la législation. La concertation sociale autour de l’introduction de l’IA en entreprise devra aussi s’imposer

 

Par Manon Van Thorre, Service entreprise de la CSC 

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De manière générale, il y a un lien entre la taille de l’entreprise et son degré d’utilisation des technologies, et cette tendance se retrouve dans le niveau d’adoption de technologies liées à l’IA. Les entreprises les plus exposées à l’IA sont les plus grandes. Selon une étude réalisée par Statbel, l’intelligence artificielle est actuellement principalement utilisée par les entreprises pour analyser ou générer du langage et automatiser des flux de travail ou d’aide à la décision. L’enquête fait la distinction entre l’utilisation de systèmes d’IA via des logiciels (ex.: chatbots, assistants virtuels s’appuyant sur le traitement du langage, systèmes de reconnaissance faciale ou de reconnaissance vocale, logiciels de traduction automatique), et des systèmes d’IA intégrées à des appareils (ex.: robots autonomes pour l’automatisation des entrepôts ou des travaux de production ou d’assemblage, drones autonomes pour la surveillance de la production ou le traitement de colis).

Les résultats de l’enquête révèlent que 43,8% des entreprises de 250 travailleur·ses et plus utilisent des technologies d’IA pour analyser le langage écrit. 29,4% les utilisent pour convertir la langue parlée en un format lisible par une machine, 39,4% pour générer un langage parlé ou écrit, et 25% pour identifier des objets ou des personnes à partir d’images. En outre, 38,7% des grandes entreprises utilisent des IA qui permettent l’apprentissage automatique pour l’analyse de données, 40,1% utilisent des IA qui automatisent différents flux de travail ou aidant à la prise de décision, et 17,8% utilisent des IA qui permettent la circulation physique de machines au moyen de décisions autonomes. Les chiffres sont beaucoup plus faibles pour les entreprises de moins de 250 travailleur·ses pour lesquelles l’utilisation de ces technologies reste largement minoritaire2.

Plus concrètement, les exemples d’applications recourant à l’IA sont de plus en plus nombreux et couvrent des secteurs de plus en plus divers. Ainsi, dans le secteur de la logistique, il existe par exemple des systèmes de gestion automatisée des entrepôts. Dans le secteur du transport, on peut citer les systèmes de navigation ainsi que les applications de prédiction du trafic, des logiciels d’analyse de la conduite ou encore les véhicules autonomes. Dans le domaine financier, de nombreuses banques ont désormais des assistants personnels numériques (chatbots) et disposent de logiciels d’analyses de données qui fonctionnent à l’aide d’IA. Il existe également des algorithmes qui évaluent les emprunteurs ayant peu ou pas d’antécédents de crédit. Dans le secteur du commerce, des applications permettent une gestion et une optimisation automatiques des stocks et de l’inventaire, et on recourt à l’IA pour des opérations de service à la clientèle et pour faire de la publicité ciblée. Dans les soins de santé, l’IA est utilisée pour poser des diagnostics et réduire les erreurs. Le secteur du journalisme est également concerné par les possibilités d’automatisation de la rédaction du contexte pour des articles ou même la génération d’articles à partir de données brutes. Enfin, le secteur des ressources humaines a la possibilité de recourir à l’IA, notamment dans le cadre du recrutement, afin de classer automatiquement les candidat·es à un poste, par exemple3.

Impact sur l’emploi et la nature du travail

Une étude menée par le Forum économique mondial4 affirme que les nouvelles technologies liées à l’IA impacteraient substantiellement le marché du travail au niveau mondial : les tendances en matière d’IA et de technologies de traitement de l’information devraient créer onze millions d’emplois, tout en en déplaçant neuf millions d’autres, alors que la robotique et les systèmes autonomes occasionneraient un déclin net de cinq millions d’emplois.

D’autres études montrent que l’IA aura un impact nuancé sur le volume d’emploi: de nouveaux emplois émergeront, mais certains disparaitront probablement. Selon une étude de l’OCDE5, peu d’éléments attestent d’un effet négatif de l’IA sur le volume d’emploi à ce jour.

Jusqu’à présent, la réorganisation des emplois semble plus répandue que le déplacement ou la perte d’emplois. On observe donc plutôt une stabilité des emplois, bien qu’il existe des preuves d’un ralentissement de la croissance de l’emploi: il y aurait peu de preuves de licenciements liés à l’IA, mais plutôt des réaffectations et non-remplacements de personnes quittant l’entreprise (suite à une démission ou à un départ à la retraite). Par ailleurs, on constate la création de nouveaux emplois dans le domaine de l’IA. La demande de compétences en matière d’IA se traduirait donc dans la croissance des emplois liés à l’IA. Toujours d’après l’OCDE, si l’on tient compte de l’ensemble des technologies d’automatisation, IA comprise, 27% des emplois correspondent à des professions fortement exposées au risque d’automatisation. Les professions très qualifiées seraient les plus exposées aux progrès de l’IA.

L’IA aurait trois différents effets sur l’emploi: un effet de déplacement, de productivité et de réintégration. L’effet de déplacement désigne le remplacement du travail humain par l’IA, l’effet de productivité serait induit par un accroissement de la demande de main-d’œuvre en raison des gains de productivité générés par l’IA, et enfin l’effet de réintégration désigne la création de nouvelles tâches qui créeront de nouveaux emplois, en particulier pour les travailleur·ses doté·es de compétences complémentaires à l’IA.

Une étude de l’OIT6 se penche sur les effets de l’IA sur les tâches de différents groupes de professions, en se concentrant plus précisément sur les effets de l’IA générative. Selon cette étude, c’est, de loin, le personnel de soutien administratif qui serait le plus exposé à une automatisation des tâches : 58% des sous-tâches sont exposées à une probabilité moyenne d’automatisation et 24% à une probabilité élevée d’automatisation. Dans tous les autres groupes professionnels analysés dans l’étude, moins de 30% des sous-tâches sont exposées à une probabilité moyenne ou élevée d’automatisation. L’étude met en évidence un écart important entre les genres : le risque d’automatisation concerne 8,5% des tâches effectuées par des femmes et 3,2% de celles effectuées par des hommes dans les pays à revenu élevé. Le potentiel d’augmentation du volume d’emploi est également plus élevé pour les femmes : 14,7% des emplois occupés par des femmes pourraient augmenter, contre 11,9% de ceux occupés par des hommes.


Définition de l’intelligence artificielle

Le Règlement européen sur l’IA (IA Act) définit un système d’intelligence artificielle comme « un système automatisé qui est conçu pour fonctionner à différents niveaux d’autonomie et peut faire preuve d’une capacité d’adaptation après son déploiement, et qui, pour des objectifs explicites ou implicites, déduit, à partir des entrées qu’il reçoit, la manière de générer des sorties telles que des prédictions, du contenu, des recommandations ou des décisions qui peuvent influencer les environnements physiques ou virtuels. » 1 Une IA fonctionne à l’aide d’algorithmes, qui reproduisent une certaine séquence afin de pouvoir faire des prédictions ou générer un contenu sur base des données introduites dans le système. Un système d’IA est donc capable d’effectuer des tâches sans intervention humaine, mais pour cela, il a besoin de grandes quantités de données. En outre, dans certains cas, les systèmes d’IA sont capables d’auto-apprentissage et peuvent s’améliorer au fil du temps à partir des données. Cette capacité d’apprentissage leur permet d’améliorer leurs performances, d’identifier des modèles complexes dans différents ensembles de données et de générer des décisions plus précises ou plus nuancées. On distingue l’IA prédictive de l’IA générative. L’IA prédictive analyse les tendances passées afin de faire des prédictions, tandis que l’IA générative crée de nouveaux contenus (images, textes, musique, vidéos) à partir de données existantes. 1. Règlement (UE) 2024/1689 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle (règlement sur l’intelligence artificielle).


L’étude de l’OIT distingue l’automatisation des tâches et l’«enrichissement» des tâches. L’automatisation suppose la réalisation de toutes ou une partie des tâches par une machine, et mènerait à des pertes d’emploi, et l’«enrichissement des tâches» désignerait le fait que le travail en tant que tel ne peut pas être automatisé, mais que certaines soustâches peuvent l’être, ce qui permet d’effectuer le travail plus rapidement et de consacrer plus de temps à l’amélioration de la qualité. Ainsi, selon l’étude, les professions des groupes «techniciens et spécialistes», «professions intellectuelles, scientifiques et artistiques» et «prestataires de services et vendeurs» sont les plus susceptibles de connaitre un «enrichissement» de l’emploi.

La probabilité d’automatisation ou d’enrichissement des tâches dépend non seulement des caractéristiques de l’emploi, mais aussi de l’environnement. Le degré de pénétration de la numérisation dans l’économie (infrastructure de réseau, compétences numériques, etc.) détermine en partie la probabilité qu’une sous-tâche en principe automatisable le soit effectivement. Ainsi, les emplois dans les pays à haut revenu sont plus exposés à l’automatisation. 

L’OCDE a mené une vaste enquête qualitative7 auprès d’employeurs et de travailleur·ses du secteur manufacturier et financier afin de recueillir des données sur l’impact de l’IA au niveau des emplois, de la composition des tâches, des exigences en matière de compétences et de la qualité des emplois.

Les résultats confirment que l’IA bouleverse la nature des tâches effectuées. En effet, l’IA favorise l’automatisation des tâches routinières, mais gagne aussi du terrain en ce qui concerne l’automatisation des tâches non routinières. On peut en déduire que l’IA peut avoir un impact sur les travailleur·ses de tous les niveaux de compétences dans de nombreuses entreprises et secteurs. 

Les changements dans la composition des tâches prennent le plus fréquemment la forme d’une automatisation partielle (l’IA accomplit des tâches simples, le travailleur prend en charge les tâches complexes) ou totale des tâches (déplacement total des tâches vers l’IA). Très fréquemment aussi, mais un peu moins, il s’agit de changement partiel des tâches (le travailleur reste responsable de l’ensemble de la tâche, l’IA augmentant sa capacité à la réaliser). C’est le cas de figure le plus fréquent dans l’industrie manufacturière. Enfin, la création de nouvelles tâches concerne essentiellement des tâches qui nécessitent des compétences en IA et sont donc liées aux nouveaux emplois directement liés à l’IA.

Dans la majorité des cas, les compétences requises sont restées inchangées après l’introduction de l’IA. Soit les tâches n’ont pas été modifiées suite à l’arrivée de l’IA, soit il y a eu des réorganisations, mais qui ont réaffecté les travailleur·ses à d’autres tâches déjà existantes, ne nécessitant pas de nouvelles compétences. Dans une partie importante des cas, néanmoins, les exigences en matière de compétences ont changé et sont devenues plus étendues. Le cas le moins observé a été la réduction des compétences demandées.

Impact sur les conditions de travail

On l’a vu, certaines technologies d’IA permettront une automatisation (totale ou partielle) de certaines tâches, ce qui promet un bouleversement de l’organisation du travail et une modification importante des compétences demandées aux travailleur·ses afin d’effectuer différemment leur travail, ou pour effectuer de nouvelles tâches.

Si l’on s’intéresse à l’impact de l’IA sur les conditions de travail, il convient de distinguer l’automatisation des tâches (et/ou des emplois), qui suppose, quand les humains ne sont pas complètement remplacés par des machines, de travailler avec des systèmes d’IA; de l’utilisation de l’IA pour la gestion des ressources humaines. En effet, les conséquences ne seront pas identiques si l’on travaille avec une IA, ou si une IA se substitue (au moins en partie) au manager.

Les entreprises adoptent massivement des technologies d’IA pour une raison principale: la promesse de gains de productivité importants. Plusieurs enquêtes ont fait beaucoup de bruit, en promettant des gains de productivité substantiels (voir notamment l’enquête de McKinsey selon laquelle la croissance de l’intelligence artificielle pourrait amener à une croissance de la productivité de 0,2% à 3,3% par an)8. Mais à l’heure actuelle, il n’existe pourtant encore aucune preuve que des effets ponctuels sur la productivité, observés pour certaines tâches ou fonctions se traduiront par des gains de productivité à l’échelle de l’entreprise ou de l’économie dans son ensemble.

Le but principal quand on implémente des systèmes d’IA est donc l’augmentation de la productivité pour les entreprises, mais à quel prix? Sans se limiter aux seules technologies d’IA, une enquête de l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail réalisée en 20229 révèle que pour 52% des travailleur·ses interrogé·es, l’utilisation des technologies numériques détermine la vitesse ou le rythme de travail. Pour 33%, elle entrainerait une augmentation de la charge de travail. 19% estiment qu’elle réduit l’autonomie au travail. Elle provoquerait un accroissement de la surveillance des travailleur·ses, selon 37% des répondant·es, et entrainerait un travail solitaire pour 43,5% des répondant·es. De manière générale, l’utilisation des technologies numériques, contrairement à ce que l’on pourrait penser, a plutôt tendance à provoquer une augmentation des risques psychosociaux au travail, plutôt que de les réduire10.

Quand il s’agit de l’automatisation, réalisée avec ou sans l’aide de l’IA, on peut relever comme avantages possibles pour les travailleur·ses une amélioration ergonomique et des conditions physiques de travail, une réduction de ’effort physique, et une diminution des risques pour la santé-sécurité au travail. En ce qui concerne les risques, on peut citer un accroissement de l’intensité de travail et une diminution de la barrière entre vie privée et vie professionnelle11.

L’utilisation de l’IA pour les ressources humaines mérite une attention plus particulière parce qu’elle touche directement l’organisation du travail, et peut concerner toutes les étapes allant du recrutement du travailleur ou de la travailleuse, à son licenciement. Ce qu’on appelle le «management algorithmique» peut être défini comme l’utilisation de systèmes numériques qui utilisent des données provenant de l’espace de travail, des travailleur·ses et des tâches. Les données introduites dans des systèmes algorithmiques ou d’IA permettent de prendre des décisions automatisées ou semi-automatisées sur les équipes de travail, la répartition des tâches, la supervision des travailleur·ses et l’évaluation de leurs performances. Des outils fondés sur l’IA sont également utilisés pour prendre des décisions relatives à l’embauche, à l’orientation et à l’évaluation des travailleur·ses, ainsi que pour décider de la prise de sanctions.

L’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail s’est intéressée à ce type d’utilisation de l’IA et à son impact sur la sécurité et la santé au travail12. Ces systèmes sont utilisés afin d’automatiser des tâches de management et permettraient d’optimiser l’organisation du travail. Ces systèmes peuvent collecter et analyser de grandes quantités de données, souvent en temps réel et sont donc, par exemple, capables de fournir aux travailleur·ses des alertes et des avertissements précoces concernant les risques liés à la santé et à la sécurité au travail, d’analyser l’efficacité de différentes solutions liées à la santé-sécurité, et de proposer des interventions possibles, ou des formations, pour améliorer la sécurité et la santé au travail. En outre, les systèmes basés sur l’IA peuvent également être utilisés pour personnaliser les postes de travail et les routines de travail en fonction des besoins des travailleur·ses, individuellement, pour mieux planifier et concevoir les tâches et les horaires des travailleur·ses afin de minimiser les risques. L’IA peut également être utilisée pour détecter si un travailleur porte l’équipement de protection adéquat, réduisant ainsi le risque d’accident. Si l’intention semble bonne, il s’agit tout de même in fine de contrôler si le travailleur respecte les procédures, et ce n’est pas de la prévention. Le port de l’équipement de protection nécessite un travail important de sensibilisation des travailleur·ses et découle des obligations de l’employeur. Or, ici, l’employeur délègue cette responsabilité à une machine, et responsabilise individuellement les travailleur·ses.

L’utilisation de l’IA pour gérer les travailleur·ses présente cependant de nombreux risques pour la santé-sécurité. L’intensification du travail est l’un des risques les plus fréquemment signalés. Pour accroitre la productivité au maximum, les entreprises peuvent mettre en œuvre des systèmes de management par IA qui obligent les travailleur·ses à travailler sans pauses, minimisent le temps consacré à certaines procédures et les obligent à travailler à grande vitesse. Les risques liés à la perte de contrôle et d’autonomie sont également fréquemment signalés. Certains systèmes peuvent prendre le contrôle du travail (par exemple, le contenu, le rythme, le calendrier) et peu de choses seront laissées à la décision du travailleur. En outre, la plupart de ces systèmes dictent au travailleur la manière d’effectuer son travail, ce qui peut entrainer une perte de maitrise sur son travail. La perte de contrôle et d’autonomie au travail est souvent associée à des niveaux élevés de stress.

Lorsque les travailleur·ses savent qu’ils·elles sont constamment surveillé·es et que leurs performances sont évaluées, ils·elles peuvent refuser de prendre des pauses lorsque cela est nécessaire et négliger les interactions sociales avec leurs collègues afin de rattraper le temps « perdu » ou de suivre les instructions fournies par la machine. Certains systèmes qui permettent de visualiser l’ensemble des « performances » des membres d’une équipe sont particulièrement propices à créer un environnement de travail malsain et compétitif, ce qui engendre du stress, de l’anxiété et de l’épuisement. Des recherches révèlent que la surveillance et l’évaluation constantes des travailleur·ses facilitées par l’IA augmentent l’épuisement, le stress, l’anxiété et la peur de perdre son emploi et, par conséquent, la probabilité de troubles de la santé mentale.

Qu’il s’agisse d’automatisation ou de gestion par les IA, la formation continue des travailleur·ses est indispensable afin de maintenir leurs compétences à jour, c’est d’ailleurs une autre préoccupation majeure des travailleur·ses amené·es à travailler avec ces systèmes. Une autre crainte majeure est la crainte de perdre son emploi, en tant qu’impact potentiel de l’utilisation des technologies numériques13.

Enfin, le manque de transparence est un problème fréquemment signalé. La plupart des travailleur·ses ne savent pas comment fonctionnent les systèmes de management algorithmique, et certain·es travailleur·ses ne sont même pas conscient·es d’être contrôlé·es ou surveillé·es par des systèmes basés sur l’IA. Or, les travailleur·ses doivent être formé·es et clairement informé·es du fonctionnement des systèmes utilisant l’IA, des données collectées et du pourquoi elles sont collectées. Ils·elles doivent également pouvoir faire confiance à leur employeur pour mettre en œuvre ces systèmes pour de bonnes raisons, ce qui nécessite une transparence au sein de l’organisation ainsi qu’une consultation et une participation adéquates des travailleur·ses.

En résumé, si l’intelligence artificielle ne créera probablement pas de nouveaux risques (notamment psychosociaux) supplémentaires, on peut cependant s’attendre à une augmentation des risques déjà présents, qui varieront en fonction du secteur d’activité. La majorité des entreprises qui utilisent actuellement des systèmes d’intelligence artificielle le font dans l’unique but d’accroitre la productivité des travailleur·ses et d’augmenter les bénéfices, plutôt que pour agir sur la sécurité et la santé14.

L’IA comme objet majeur de la concertation sociale

L’adoption à grande échelle de l’intelligence artificielle par un nombre croissant d’entreprises impactera inévitablement le volume d’emploi, la nature du travail et les tâches effectuées, mais aussi les conditions de travail, et probablement la manière dont on envisagera le travail à l’avenir. C’est un défi majeur qui attend les organisations syndicales et les délégué·es en entreprise: négocier l’adoption de l’IA. Lors de l’introduction de systèmes d’IA sur le lieu de travail, il est primordial d’appliquer le principe de précaution. Les systèmes doivent être conçus, mis en œuvre et gérés d’une manière fiable, transparente, et compréhensible, garantissant la consultation, la participation et l’égalité d’accès à l’information des travailleur·ses, tout en mettant l’humain aux commandes et en veillant à ce que l’IA soit utilisée de manière responsable, non pas pour remplacer les travailleur·ses, mais pour les soutenir.

Ce n’est qu’en intégrant les travailleur·ses aux discussions que l’on parviendra à saisir les avantages liés à l’IA tout en évitant les écueils. Des lignes rouges doivent être tracées, les droits fondamentaux des travailleur·ses respecté·es, et l’impact sur les conditions de travail aussi limité que possible.

Les risques et défis posés par les systèmes d’IA ne peuvent pas être abordés par le seul angle de la législation, soit encadrant l’IA ou la protection des données. La négociation collective et les initiatives syndicales sont une composante essentielle des efforts visant à garantir la protection des droits des travailleur·ses et une répartition plus équilibrée des avantages des nouveaux outils de gestion basés sur l’IA15. Une bonne utilisation des CCT existantes, des analyses de risques, et de certains articles du RGPD et du Règlement sur l’IA sont autant d’opportunités à exploiter16.

Au plus les travailleur·ses sont consulté·es et (à fortiori) participent au déploiement de ces technologies, au plus ils·elles gagneront en confiance vis-à-vis des technologies avec lesquelles ils·elles seront amené·es à travailler. Les représentants des travailleur·ses peuvent également fournir aux dirigeant·es de meilleures informations concernant le lieu de travail, notamment sur la manière dont les travailleur·ses perçoivent l’introduction d’une nouvelle technologie et sur les difficultés qu’ils·elles décèlent17.

Par conséquent, les entreprises devraient privilégier l’expérimentation avant toute mise en œuvre. Cela permettra de tester la technologie et d’en faire l’évaluation avec les travailleur·ses et leurs représentants. L’information et la consultation doivent commencer le plus tôt possible, idéalement lorsque les options en matière de choix technologique sont encore ouvertes, et au moment de l’expérimentation. Ces processus d’information et de consultation doivent être adaptés en cas d’introduction de nouveaux outils d’IA afin de tenir compte de l’évolution continue de la technologie, et le dialogue social à ce sujet doit être mené en continu18.#


1. Enquête Statbel, « Utilisation des TIC et commerce électronique dans les entreprises», 2024.
2. Enquête Statbel, idem, 2024.
3. Exemples issus de la publication PONCE DEL CASTILLO –ETUI, «IA : les multiples visages d’une technologie dénuée de visage, Guide de l’intelligence artificielle», 2023.
4. World Economic Forum , «The Future of Jobs Report 2025», 2025.
5. OECD Employment Outlook ,« Artificial Intelligence and the Labour Market», 2023.
6. ILO, « Generative AI and jobs: A global analysis of potential effects on job quantity and quality», 2023.
7. A. MILANEZ , «The impact of AI on the workplace: Evidence from OECD case studies of AI implementation », documents de travail de l’OCDE sur les questions sociales, l’emploi et les migrations, n°289, Éditions OCDE, 2023.
8. McKinsey Global Institute , «Investing in productivity growth», 2024.
9. EU-OSHA , « OSH Pulse–Occupational safety and health in post-pandemic workplaces», 2022.
10. EU-OSHA , « Artificial intelligence for worker management: implications for occupational safety and health », 2022.
11. EU-OSHA, « Digitalisation and workers wellbeing: The impact of digital technologies on work-related psychosocial risks», JRC Working Papers Series on Labour, Education and Technology 2024/03, 2024.
12. EU-OSHA , «Artificial intelligence for worker management: implications for occupational safety and health », Report EU-OSHA 2022.
13. EU-OSHA, idem, 2024.
14. EU-OSHA, idem, 2024.
15. V. DE STEFANO et S. TAES , « Algorithmic management and collective bargaining», Transfer: European Review of Labour and Research, vol 29, n°1, pp. 21-36, 2023. URL: https://journals.sagepub. com/doi/full/10.1177/10242589221141055
16. Pour plus d’informations sur la concertation sociale sur l’IA, voir M. VAN THORRE-UCL CIRTES, «Intelligence artificielle et dialogue social», et Brochure CSC «Intelligence artificielle au travail. Guide à destination des militants».
17. S. CAZES , «Le dialogue social et la négociation collective à l’heure de l’intelligence artificielle», dans OCDE, OECD Employment Outlook 2023: Artificial Intelligence and the Labour Market, 2023.
18. S. CAZES, idem, 2023.

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