L’étude des victoires des luttes écologistes pendant une période politiquement morose peut paraitre décalée, voire naïve. Pourtant, comprendre ces victoires peut fournir des informations essentielles sur des formes d’organisations, des tactiques et des stratégies qui ont fait leurs preuves. Avec l’association française Terres de Luttes et la revue Silence, nous avons donc conduit une enquête sociologique ( disponible intégralement sur https://terresdeluttes.fr/) auprès de 42 collectifs ayant obtenu une victoire entre 2014 et 2024
Gaëtan RENAUD, Auteur du rapport «Quand la lutte l’emporte: une décennie de victoires des luttes locales» (2024)
Si nous qualifions ici la victoire comme l’abandon d’un projet imposé et polluant, les luttes écologistes participent surtout à renforcer un réseau décentralisé d’entraide et de résistance. Derrière des victoires emblématiques comme le Larzac ou Notre-Dame-des-Landes, des centaines font avancer la cause de l’écologie: au moins 162 rien que les dix dernières années! Ces fins heureuses existent, à toutes les échelles et dans tous les domaines. Nos analyses révèlent une diversité significative des secteurs impactés par les mobilisations environnementales, chacun·e présentant des dynamiques distinctes. La construction et les zones d’activités dominent le paysage des contestations, avec une multiplication des victoires contre les centres commerciaux, plateformes logistiques et autres projets d’artificialisation d’espaces naturels.
Cartographie des projets abandonnés par secteur et temps de lutte (1972-2024)
Dans le domaine énergétique, la résistance s’étend désormais au-delà des énergies fossiles pour englober certains projets d’énergies «renouvelables» considérés comme mal intégrés. Les infrastructures de transport, particulièrement routières et aéroportuaires, se distinguent par des périodes de contestation particulièrement longues. Le secteur industriel connait une montée des oppositions, notamment concernant l’extraction de ressources et la gestion des déchets, tandis que les projets de loisirs maintiennent un niveau constant de contestation, ciblant principalement les aménagements touristiques et sportifs jugés excessifs tant sur le plan environnemental que financier.
Ancrage territorial et émergence des luttes
Réagir face à l’adversaire
Goliath: un conquérant
C’est de loin le résultat de notre enquête le plus saisissant: à la question «avezvous pu établir un dialogue avec le porteur de projet?», il n’y a aucune réponse positive des collectifs rencontrés. Si, dans certains cas, un dialogue a pu se nouer, celui-ci est vite écourté et devient rapidement «une joute verbale interposée par les journaux». Dans la majorité des cas étudiés, le projet a été pensé comme «une conquête», avec une étude du territoire par le porteur de projet, de sa résistance potentielle, des arguments qui pourront y être développés, et une forme de «recette» censée permettre l’implantation facile du projet. Cette pratique s’inscrit dans une logique de maximisation du rapport cout-bénéfice où les faiblesses territoriales deviennent des atouts pour l’implantation.
Les projets ciblent particulièrement les zones combinant plusieurs caractéristiques favorables: une gouvernance locale jugée conciliante, voire complaisante, des prix fonciers modérés, une faible densité démographique limitant les oppositions potentielles et des besoins économiques locaux rendant le territoire plus enclin à accepter des compromis. En parlant de sa lutte contre l’exploitation de nouveaux forages de gaz de houille en Moselle (région Grand Est), une militante explique: «Ils sont arrivés dans une région qui était en décroissance industrielle... Ce projet n’aurait jamais vu le jour dans l’ouest de la France». La puissance du conquérant et de ses promesses est particulièrement prégnante. Les engagements sont multiples : plus d’emplois, peu d’impacts environnementaux, une attractivité accrue et toujours la promesse de s’y tenir. Engagements qui seront pourtant remis en cause, diminués, mal évalués et bien rarement soutenus dans la durée. Une fracture sociale, économique et environnementale se révèle systématiquement tout comme une réelle déconnexion entre le projet et le territoire.
Il s’agit à chaque fois de puiser dans le territoire des ressources naturelles ou de l’espace et d’y imposer une vision économique qui pille et détruit.
Un Goliath aux multiples visages
Dans les 42 victoires étudiées, on peut compter 12 projets portés par le secteur public, 16 par le secteur privé (dont 6 par des multinationales), et 14 pour le secteur «mixte» (public/privé). Sans pouvoir en tirer une conclusion quantitative globale au vu des milliers de luttes locales menées, on peut en tout cas noter que les collectifs en lutte arrivent à remporter des victoires contre tous types d’acteurs, qu’il s’agisse de l’État, un maire, une multinationale, ou un portage mixte. En fonction des porteurs, les leviers de luttes vont parfois varier, l’acteur public ayant des intérêts souvent électoralistes, le privé économiques, et l’alliance des deux pouvant être fragilisée par une remise en question de l’intérêt public du projet.
Des projets qui piétinent la démocratie
Il y a toujours une désinformation ou une minimisation des impacts qui se joue sur les mots, ce qui explique la difficulté des militant·es à récolter des informations sur les projets et mobiliser en conséquence. Les porteurs de projet parlent de «contournement» pour une autoroute, de «grisou» pour du gaz de couche, de «retenue d’eau» (eau de ruissèlement) alors qu’il s’agit d’une bassine (eau potable), «d’énergie locale» alors qu’il s’agit de projets industriels, de «hangar» pour parler de zones logistiques, ou de «souveraineté alimentaire» pour accueillir une méga-sucrerie de betteraves portée par une société dubaïote.
Ce processus révèle une asymétrie informationnelle significative entre les parties prenantes. Cette absence d’information est vécue par les habitant·es comme un réel déni de démocratie. En réaction, un noyau d’habitant·es vigilant·es se constitue.
S’allier et s’opposer
Les personnes mobilisées contre ces projets inutiles et imposés sont avant tout des citoyen·nes, des habitant·es, des riverain·es. C’est ainsi qu’elles se décrivent lorsqu’on les interroge. Souvent, de petits groupes de 4 à 15 personnes se constituent d’abord, puis les groupes s’élargissent à plusieurs dizaines de personnes sur de l’aide ponctuelle et enfin un cercle plus grand de sympathisant·es fait réseau.
Au sein des collectifs rencontrés, on retrouve une grande pluralité de sensibilités politiques, de milieux sociaux et de niveaux d’expérience militante, «des gens issus de l’écologie, des gens engagés globalement», mais aussi «des riverains» et «des citoyens lambdas», où les «néo-militants» travaillent aux côtés de militant·es plus aguerri·es.
Pour fédérer ces profils hétéroclites, les collectifs optent pour une gouvernance très participative, basée sur l’intelligence collective. Concrètement, cela implique «un ordre de prise de parole», «quelqu’un qui anime la réunion», «quelqu’un qui réalise le compte-rendu» et une validation par consensus de la synthèse des échanges. Cette volonté d’horizontalité se traduit aussi par une organisation en petits «groupes de travail» plus autonomes, chargés de sujets spécifiques. Ce mode de fonctionnement permet une gestion très souple des priorités.
Autre dénominateur commun des collectifs ou associations: le choix assumé de se positionner en dehors des partis politiques. S’ils nouent des alliances ponctuelles avec certain·es élu·es, c’est toujours dans une logique transpartisane: «On a toujours fait attention, surtout en période électorale, de ne pas s’engager politiquement, de faire abstraction des positions politiques des uns et des autres.» L’objectif est d’éviter d’être «catalogué» et de pouvoir s’adresser à tous les publics. Enfin, il apparait que la «victoire» dépend fortement de la résilience d’un groupe face à des stratégies de dissuasion, de décrédibilisation et d’intimidation de la part des «adversaires», mais aussi face à l’épuisement militant. Ainsi, la question du «soin» apporté aux relations humaines apparait comme un élément central dans la réussite des collectifs. Cela passe par une grande attention portée aux émotions, aux besoins et au bien-être de chaque membre. Concrètement, cela se traduit d’abord par un effort constant de convivialité.
Toutes ces pratiques créent un climat de confiance et de bienveillance propice à l’engagement sur la durée. Ils permettent aussi de prévenir l’épuisement militant et de gérer les inévitables conflits qui traversent tout collectif. C’est finalement un véritable travail de «maintenance» des relations qui se joue là, sans lequel aucune victoire politique ne parait possible.
Des collectifs experts
Comme il y a systématiquement une invisibilisation, une désinformation ou une minimisation du projet et de ses impacts, une compréhension technique du projet est le premier axe de travail pour les collectifs et associations. «L’une des choses qui font que la lutte a été difficile, de mon point de vue, c’est qu’on est parti·e sans rien connaitre de ce qu’on pouvait faire pour lutter. Rien. On ne connaissait pas le code minier. On ne savait pas ce qu’était une enquête publique. On a vraiment réinventé l’eau froide (sic) pendant les deux, trois premières années.»
Un travail colossal
Dans toutes les victoires étudiées, il y a un travail méticuleux de construction d’un argumentaire qui permet de prouver le caractère «non essentiel» d’un projet. Face aux postures des institutions étatiques qui se veulent «impartiales», cet argumentaire des opposant·es se construit de la manière la plus systémique possible, c’est-à-dire en prenant en compte tous les éléments environnementaux (sols, eaux…), sociaux (emplois dégradés), économiques (faibles retombées, endettement…), ou politiques (devoir de cohérence des élu·es).
Reprise de savoir
« On était très nombreux·ses à se sentir dépossédé·es du vivant qui nous entoure. Et là, on redonnait une place à tous·tes les citoyen·nes. Ils avaient des clés de compréhension pour pouvoir méditer. Le fait qu’on redonne accès à des connaissances qui étaient réservées à des professionnel·les. Ça, je pense que c’était hyper important.» La montée en compétences va bien au-delà d’une délégation du travail d’expertise aux scientifiques. Le collectif s’approprie ces savoirs, les traduit en arguments compréhensibles, les met en relation avec la réalité locale. Un véritable dialogue s’instaure entre savoirs scientifiques et connaissances de terrain.
La montée en compétences n’est pas qu’un outil dans la lutte: elle est aussi une victoire en soi, qui transforme durablement les capacités d’action collective des habitant·es. Au-delà des cas cités, elle est quasi toujours observable, quoiqu’avec une diversité de méthodologies.
Traduire et diffuser l’information
Suite à la construction d’une expertise technique approfondie, souvent grâce à l’appui d’organisations spécialisées comme des collectifs naturalistes ou scientifiques, l’enjeu est ensuite de diffuser ces informations pour les transformer en savoir populaire. La mobilisation contre le projet mine d’or en Guyane en est l’exemple le plus parlant (voir encadré ci-contre).
Détrôner Goliath
Si les grands projets d’aménagement sont perçus comme portés par des acteurs économiques puissants aux moyens considérables, leur analyse du terrain s’avère souvent bâclée, tronquée, fausse ou falsifiée. C’est précisément la constitution d’une opposition structurée et argumentée qui permet de mettre en lumière ces faiblesses et d’obtenir l’abandon des projets. Sans cette mobilisation, ces projets mal ficelés auraient pu voir le jour malgré tout, avec des conséquences environnementales désastreuses.
Par ailleurs, cette fragilité des porteurs de projets ne doit pas masquer la puissance des soutiens institutionnels dont ils bénéficient souvent, notamment de la part des élu·es locaux et des préfectures.
Comme le résume un préfet cité par un des militants: «Ce projet c’est une bêtise et juridiquement vous aurez raison, mais moi politiquement je ne peux pas ne pas l’autoriser.» Face aux postures d’État, la victoire nécessite donc toujours une mobilisation déterminée, même face à des porteurs de projets défaillants.
Cette analyse invite finalement à repenser la figure du «Goliath». Elle suggère que l’enjeu n’est peut-être pas tant de s’opposer à un «Goliath» que de déconstruire un modèle de développement territorial porté collectivement par différents acteurs: le véritable soutien venant de tout un écosystème d’acteurs (élu·es locaux·ales, services de l’État, investisseurs...). Il s’agira dès lors de mobiliser habilement un panel de moyens larges.
Synchroniser les tactiques et allié·es de la lutte
De nombreuses tactiques sont employées par les collectifs: le levier juridique comme médiatique, la mobilisation de rue comme le développement d’argumentaires techniques, et bien d’autres. Néanmoins, nous observons que pour beaucoup de collectifs, la coordination de la stratégie se fait plutôt à postériori et qu’ils mobilisent des trésors d’ingéniosité pour synchroniser ce qui existe déjà, les forces en présence et leurs actions. Il ne s’agit pas d’imposer une direction centralisée–qui nierait la richesse de la diversité tactique–mais de créer les conditions d’une intelligence collective.
L’arme des recours juridiques
Le recours juridique est utilisé dans 80% des cas, faisant de cet «outil» une véritable arme des luttes locales. Ce travail juridique permet aussi systématiquement d’alimenter la lutte sur d’autres aspects, la crédibilité auprès des institutions, le développement de l’expertise technique, l’utilisation des recours comme stratégie de feuilleton médiatique, la levée de fonds ou le simple fait de gagner du temps. Concrètement, dans les 34 cas d’études ayant porté un recours, l’expertise technique et l’analyse minutieuse des dossiers sont d’abord réalisées par les militant·es, l’avocat·e n’ayant plus qu’à «traduire» ces éléments en langage juridique.
Occupations et blocages
Comment articuler le temps long des procédures administratives et juridiques avec l’urgence d’empêcher des travaux qui, une fois réalisés, rendraient toute victoire illusoire? En effet, le blocage intervient dans 30% des cas étudiés comme une réponse à l’avancée inexorable des procédures administratives. La menace d’une possible installation de zone à défendre (ZAD) joue un rôle particulier dans la temporalité des luttes, notamment en pesant sur les décisions politiques.
Le cas de l’A45 révèle comment la menace d’une ZAD a été reprise après une mobilisation de 9.000 personnes. Le moment clé s’articule autour d’un article du journal Le Progrès qui annonce qu’une ZAD va s’installer sur le tracé. L’origine de cette information reste mystérieuse, mais face à cet article, les opposant·es adoptent une posture sophistiquée de non-dénégation. Plutôt que de démentir, ils et elles choisissent de maintenir une forme d’ambigüité stratégique. Comme l’explique un militant: «[...] après cet article-là, il y a plein de journalistes qui m’appellent […] Je dis, écoutez, je crois qu’on a fait une démonstration les 7 et 8 juillet. Maintenant, la balle, elle n’est plus dans notre camp.» Cette réponse illustre parfaitement l’art de maintenir une menace sans jamais l’expliciter, sans avoir pour un collectif à s’engager formellement dans cette voie, là où le collectif contre l’A45 aurait pu le faire. La non-dénégation permet ici de maintenir une pression maximale avec un minimum d’engagement.
La médiatisation, un passage obligé
La presse quotidienne régionale est systématiquement sollicitée et utilisée par les luttes étudiées. Les militant·es développent des relations suivies avec les correspondants locaux, à travers des communiqués réguliers et l’organisation d’évènements médiatiques. La mobilisation de médias plus indépendants et critiques s’envisage aussi, notamment quand il y a collusion entre presse et défenseurs de projets. Le feuilleton médiatique est utilisé en fonction des besoins du collectif, que ce soit pour faire venir des militant·es d’autres régions pour une manifestation ou maintenir une pression médiatique sur la durée et lors de moments clés.
Des contre-argumentaires et contre projets de territoires
La plupart des collectifs ont eu à cœur de proposer des alternatives et des solutions, pour répondre aux argumentaires les taxant d’anti-tout… avec parfois de l’inventivité. Autre tactique visible et efficace dans de nombreux cas ces dernières années : la démonstration de la non-viabilité économique du projet.
Synchroniser, clé majeure des victoires
Jongler entre les modes d’action pour tenir sur la durée est une stratégie quasi toujours observée et conscientisée par les collectifs victorieux. La répartition des rôles constitue un autre aspect crucial de cette synchronisation. Chaque groupe peut se concentrer sur ce qu’il fait le mieux –, expertise technique pour certaines associations, mobilisation locale pour d’autres, actions médiatiques pour d’autres encore – tout en s’assurant que ces différentes interventions s’articulent de manière cohérente. La synchronisation implique également une attention particulière à la communication entre groupes.
Au-delà des espaces formels de coordination, des canaux de communication fluide doivent permettre des ajustements rapides. C’est donc un des résultats les plus marquants de cette étude: toutes les luttes victorieuses interrogées ont vu émerger une confluence entre différentes tactiques qui, sans être nécessairement coordonnées à priori, se sont renforcées mutuellement. Les collectifs, conscients de ces interdépendances, ont su maintenir une souplesse organisationnelle permettant à la fois des actions planifiées et des réponses spontanées aux opportunités. Cette synchronisation n’est pas tant le fruit d’une stratégie délibérée que d’un ajustement constant entre différentes temporalités et différents modes d’action.
Tisser des alliances insolites et maitriser les rapports de forces
Si chaque collectif ou association a des ressources mobilisables différentes et que les outils de luttes possibles ont des liens stratégiques dans le temps, alors les réseaux créés par la mobilisation amplifient la portée et l’efficacité des actions entreprises.
La formation initiale des coalitions suit généralement deux modèles distincts, mais non exclusifs :
Le premier, que nous qualifierons d’«opportuniste-tactique», se caractérise par la recherche pragmatique d’alliés disposant de ressources complémentaires. Par exemple, le cas de la méga scierie de Lannemezan où l’alliance avec la CGT a tout de suite permis un saut logistique pour le collectif qui s’est retrouvé avec un local et du matériel lui permettant d’envisager de grandes manifestations.
Le second modèle, que nous nommerons «affinitaire-idéologique», se fonde sur des proximités politiques et des visions partagées de la lutte. Par exemple, la mobilisation contre l’implantation du golf à Fontiers, où «on essaye de faire le lien avec la question de l’appropriation capitalistique». Cette articulation entre enjeux environnementaux et sociaux a permis de mobiliser des acteurs variés comme la CGT, la confédération paysanne ou les partis politiques (LFI et EELV).
Ces alliances sont souvent des «surprises» qui vont pouvoir apporter beaucoup à la lutte. Comme dans le cas du méthaniseur de Corcoué où l’étude de terrain imprévue d’un étudiant en sociologie va montrer que le projet reposait sur une forme de bluff et qu’une partie des agriculteurs censément concernés ne l’étaient pas ou n’étaient pas spécialement favorables.
Ces liens se voient renforcés dans les moments forts des occupations ou des mobilisations collectives : les organisations appellent en renfort leurs réseaux au-delà du territoire, chaque tendance de la lutte vient apporter du soutien, matériel, juridique, de présence… et un effort particulier est fait de pédagogie sur place avec des balades naturalistes explicatives ou des débats de fond. Au-delà des résultats immédiats, les coalitions produisent des effets durables sur le territoire et les acteurs impliqués. Elles créent des réseaux de solidarité qui peuvent être réactivés pour d’autres luttes et contribuent à la diffusion des savoir-faire militants–même si les collectifs peinent parfois à maintenir la dynamique de coalition une fois l’objectif initial atteint. Les coalitions qui perdurent sont celles qui parviennent à structurer leurs relations, à organiser des démarches d’éducation populaire internes tout en maintenant une souplesse d’action.
Conclusion
La victoire est une notion vague, qui prend des formes et des chemins différents selon les collectifs. Sans pouvoir édicter ici une recette de lutte victorieuse, nous pouvons néanmoins conclure sur les points que partagent ces victoires.
Il apparait qu’il n’y a pas de victoire solitaire, que les collectifs lors de la construction de leur lutte ont activement cherché des allié·es, que les liens qu’ils nouent sont de nature fonctionnelle, sur des sujets très précis, ou des alliances politiques plus larges avec des groupes militants. Ces alliances en elles-mêmes supposent un travail lourd et constituent déjà une victoire, celle d’une composition à l’échelle territoriale qui va rarement de soi.
Les collectifs que nous avons interviewés sont, dans l’immense majorité, devenus de réels experts de leur sujet. Si l’expertise et sa diffusion semblent la pierre angulaire de la lutte, cela s’accompagne toujours d’une multitude d’autres actions: les recours juridiques, les mobilisations, la communication, les pétitions.
Nous observons que les collectifs vont au-delà et composent avec l’existant pour que les tactiques soient les mieux synchronisées possible. Pour que cela marche, les diverses composantes de la lutte et leurs actions se doivent d’être bien sûr complémentaires, mais aussi au service les unes des autres pour que chacune soit la plus impactante possible.
Cette synchronisation n’est pas une partition parfaitement réglée à l’avance, elle émane d’un dialogue fluide entre les acteur·rices de la lutte et de la capacité de réaction d’un groupe soudé de coordination, mais aussi parfois de la chance, de l’opportunité et de l’ingéniosité dont font preuve les collectifs. Cette synchronisation fluide est souvent déterminante dans la victoire.
La victoire obtenue n’est pas vécue uniformément par les collectifs. Mais tous ont obtenu des victoires incidentes, une expérience forte et largement partageable, des réseaux plus solides, parfois des changements profonds du territoire, une forme de légitimité ou simplement la profonde conviction qu’il est possible de gagner face à Goliath. C’est en cela et non seulement par l’abandon d’un projet que la lutte est une victoire. Le mouvement social que constituent les collectifs ne s’ignore plus non seulement sur ces territoires, mais il a conscience qu’il peut renverser Goliath, que les moyens matériels et surtout immatériels qu’il a acquis durant la lutte sont un héritage précieux à partager pour renforcer les luttes et transformer durablement le territoire.#