Press Release FinderAprès la 1G (voix), 2G (SMS), 3G (web mobile), 4G (vidéo), nous voici à l’aube de la 5G pour le meilleur, mais aussi pour le pire... Les impacts de cette nouvelle technologie sont multiples et les choix politiques derrière ce « processus d’innovation » ne sont pas neutres. Ils visent avant tout l’optimisation du système socio-économique actuel de nature néolibérale. Il y a urgence pourtant à prendre en considération les nouvelles études qui soulignent les divers effets néfastes de la 5G sur la population, mais aussi sur l’environnement. C’est une question sanitaire, mais aussi démocratique. Explications.

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Avant toute chose, de quoi parlons-nous ? La 5G est l’acronyme pour la 5e génération des standards pour la téléphonie mobile. Elle s’inscrit dans la logique du toujours plus et toujours plus vite. Elle donnera accès à des débits 10 à 100 fois plus importants que la 4G (l’équivalent d’un gigabit par seconde) avec des temps de latence environ dix fois plus courts (de l’ordre de la milliseconde), tout en augmentant le nombre de connexions simultanées par surface couverte. La 5G supportera jusqu’à un million d’objets connectés mobiles au kilomètre carré (soit dix fois plus que la 4G) ! Sur base de ces spécifications techniques, les promoteurs de la 5G mettent toujours en avant les mêmes exemples d’applications, comme la télémédecine, la voiture autonome, l’automatisation des procédés dans l’industrie (industrie 4.0), la ville intelligente, etc. Face à ce nouveau coup d’accélérateur technologique, des mouvements de contestation composés de citoyen·nes et de scientifiques fleurissent un peu partout 1. Les arguments avancés sont d’ordre sanitaire (électrosensibilité du vivant), écologique (pollution numérique), et politique (absence de démocratie).

Impacts environnementaux

Afin d’évaluer les impacts environnementaux des technologies numériques, nous devons parler de l’invisible ; de cette infrastructure, indispensable au bon fonctionnement du réseau mobile, mais aussi du cycle de vie/de la durée de vie des différentes composantes qui constituent ce réseau. Derrière nos écrans, nous avons l’impression de vivre dans un monde dématérialisé, où tout est rapide, propre, et reconfigurable. Plusieurs acteurs économiques agissent sciemment pour renforcer en nous cet imaginaire. La réalité est toute autre. La société numérique dans laquelle nous vivons n’a jamais été aussi énergivore et extractiviste. L’ensemble des ressources naturelles sont sous pression. Aujourd’hui, les technologies de l’information et de la communication consomment près de 5 % de la production mondiale d’électricité ! Cela vous semble peu ? Elles sont aussi responsables d’environ 4 % des gaz à effet de serre, un niveau équivalent à celui du transport aérien. Étant donné que la 5G travaille à d’autres bandes de fréquence que la 4G, son déploiement nécessite la fabrication et l’installation d’une nouvelle infrastructure et plus particulièrement d’un nombre très élevé de nouvelles antennes. Il faudra également envoyer en orbite basse une quantité importante de satellites (près de 50.000 d’entre eux sont déjà programmés), multiplier les centres de stockage de données, et bien entendu, concevoir de nouveaux terminaux (smartphones). D’après le think tank The Shift Project 2, les infrastructures 5G consommeront 2,5 fois plus d’énergie que les mêmes sites en 3G ou 4G avant même de transmettre la moindre donnée.

Notre smartphone renferme en lui des circuits électroniques qui nécessitent plus 60 matériaux différents. Nous parlons de pratiquement tous les éléments du tableau périodique de Mendeleïev à l’exception des matériaux radioactifs ! Quand on sait que 80 % de l’énergie consommée sur tout le cycle de vie du smartphone correspond à sa fabrication, il est évident que la mise en place de ce nouvel écosystème technologique va se traduire par une augmentation accrue des besoins en énergie et matériaux. En fin de vie, le taux de recyclage des équipements électroniques est très faible (moins de 15 %). C’est extrêmement difficile de séparer les 60 matériaux composant les circuits électroniques. Umicore, l’une des sociétés les plus avancées dans le domaine du recyclage de matériaux électroniques, parvient à extraire 17 éléments sur les 60. La récupération de matériaux à partir d’équipements obsolètes n’est pas rentable vu le faible coût des matières premières importées des pays des Suds. On oublie de comptabiliser les coûts environnementaux et sociaux dans cet extractivisme sauvage. C’est la double peine pour les pays des Suds. Ils subissent les pollutions environnementales (perte de biodiversité, pollution de l’air et des nappes phréatiques...) lors de l’extraction des matières premières et réceptionnent 75 % de nos déchets électroniques.

Mais ce n’est pas tout : l’arrivée de la 5G va s’accompagner d’une poursuite de l’augmentation annuelle du trafic de données sur les réseaux (35 % par an) et même sans doute d’une accélération vu ses capacités affichées et son ambition de créer auprès des consommateur·rices de nouveaux besoins.

Impacts sociaux

Les mots utilisés dans notre société numérique à l’égard des employé·es sont assez évocateurs. Il·elles doivent désapprendre, devenir agiles, être réactif·ves en temps réel... Quand vous y pensez, c’est le vocabulaire d’usage pour les machines apprenantes. Autrement dit, le·la travailleur·se idéal·e à l’ère du numérique doit devenir lui·elle-même une machine, et une machine plus performante sinon elle devient obsolète. Dans l’industrie 4.0, ce n’est plus l’homme qui commande la machine, mais bien la machine qui pilote les actions de l’homme. Où sont les bienfaits du déploiement d’une technologie dont l’objectif n’est clairement pas de soutenir les plus vulnérables de notre société, mais au contraire d’appauvrir encore plus la qualité de notre environnement socioprofessionnel ? Il faut découpler les mots innovation et progrès. Les gagnants potentiels de la 5G sont continuellement présentés par les investisseurs, mais aucun effort n’est consacré à l’identification des perdants. Or, la technologie n’est pas neutre, toute innovation doit, de manière transparente, définir les gagnants et les perdants. La crise sanitaire du Covid-19 a révélé la fracture numérique bien réelle au sein de notre société belge. La 5G risque grandement d’exacerber la fracture sociale entre les Belges et, de manière plus globale, entre les peuples des Nords et des Suds.

L’hyperconnectivité promise par la 5G va accentuer durablement le narcissisme des selfies, le repli dans sa bulle lors des repas familiaux ou entre amis, dans les transports en commun, etc., et la peur viscérale de rater quelque chose si on ne regarde pas le flot continu des notifications.

Dans certains États ou sociétés privées, la 5G risque d’encourager encore plus les techniques de surveillance et de prise de données personnelles avec son lot de dérives connues.

Craintes sanitaires

Il est important de souligner que la 5G ne va pas remplacer la 4G, comme la 4G n’a pas remplacé la 3G, etc. Le comble, c’est que la 4G va même continuer son expansion ! Nous parlons ici de technologies additives. Notre exposition aux rayonnements électromagnétiques va donc augmenter... Les opérateurs ont dès lors introduit une demande d’assouplissement des normes relatives aux antennes émettrices pour la Région bruxelloise. Aujourd’hui, les normes établies par l’ICNIRP 3 ne tiennent compte que des effets thermiques immédiats et non pas des effets biophysiques à long terme. Dans le cas de la 5G, contrairement à la 4G, les antennes ne vont pas émettre les ondes de manière isotrope dans l’espace, mais bien de manière directionnelle vers les utilisateur·rices. Les méthodes d’évaluation de l’exposition de la population aux ondes doivent donc être revues urgemment.

Le CIRC 4 a classifié les champs électromagnétiques radiofréquence comme « agents cancérigènes possibles ». En mai 2019, le CSS 5 a établi pour la première fois le lien entre rayonnements non ionisants que sont les ondes 4G ou 5G et les effets biologiques. L’utilisation de GSM est associée à un risque accru de cancers de type gliome (tumeur cérébrale) et neurinome (tumeurs dans l’oreille). 5 % de la population est électrohypersensible et donc victime directe de la pollution électromagnétique qui engendre toute une série de souffrances physiques (insomnies, maux de tête, nausées, vertiges, problèmes de concentration...) au quotidien.

Au-delà des impacts thermiques et biologiques sur l’humain, les ondes 5G ont des effets sur l’ensemble de la faune et la flore. Plusieurs études scientifiques commencent à sortir et indiquent des effets sur les populations d’insectes comme la perturbation du système naturel d’orientation des abeilles.

Un grand nombre d’études sociologiques et psychologiques ont démontré l’impact grandissant et néfaste des écrans sur la santé mentale des personnes, comme l’isolement, la dépression, la perte de concentration, l’appauvrissement de notre esprit critique, la chute de notre coefficient intellectuel, la perte de l’orientation dans l’espace, etc. Les algorithmes nous cloisonnent, nous ne sommes plus confronté·es à des choix ni à d’autres opinions.

À la vue de tous ces éléments, comment accepter que le principe de précaution ne soit pas appliqué alors que des décisions sont prises tous les jours pour restreindre les libertés de chacun·e, et cela au niveau mondial dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19 ?

Enjeux économiques

La croissance encore et toujours… Au-delà des quelques applications relatives à la santé ou la sécurité mentionnées plus haut, les États et les entreprises voient en la 5G une possibilité de relancer une consommation un peu moribonde en intégrant une myriade de fonctions en lien avec la connectivité dans les smartphones bien sûr, mais aussi l’automobile, l’électroménager, les loisirs... Le réfrigérateur connecté qui envoie la liste des courses à votre magasin en ligne préféré, votre brosse à dents qui sort tous les mois vos statistiques de soin buccal, votre lit vous informant de l’intensité de vos rapports sexuels, etc. Le gain à très court terme pour les États est la vente de licences d’exploitation des bandes de fréquences aux opérateurs. En Belgique, cette vente aux enchères devrait rapporter au moins 800 millions d’euros dans les caisses de l’État. Vu l’ampleur des investissements, il est évident que les opérateurs ne limiteront pas leurs offres de service à quelques entreprises ciblées nécessitant vraiment cette technologie pour assurer leur compétitivité. Nous pouvons compter sur la créativité et le marketing des entreprises pour le déploiement d’une offre qui répondra aux besoins induits auprès du grand public par ces mêmes firmes.

Choix politique

La technologie n’est pas neutre. C’est un choix politique. La 5G s’inscrit dans la droite ligne des innovations précédentes. D’ailleurs, ses défenseurs parlent des capacités d’optimisation du système socio-économique actuel. L’idée n’est pas de changer la trajectoire de nos sociétés occidentales néolibérales. La 5G risque même d’accentuer les différences socio-économiques ici et ailleurs. Face aux défis de notre temps, que ce soient les changements climatiques, la lutte contre la faim, la pauvreté, les discriminations raciales et de genre, etc., la population attend autre chose des processus d’innovation. Pour ce faire, l’innovation doit s’inscrire dans une approche critique et holistique dépassant les seuls critères de performance et de rentabilité. D’autres voies sont possibles. Il faut innover en tenant compte de la notion des ressources naturelles limitées, être capable de définir les impossibles et de développer des technologies appropriées et appropriables s’intégrant en harmonie avec la biosphère et dans le but de réduire les inégalités sociales. Il est temps de réenchanter les technologies. 

Jean-Pierre Raskin Professeur à l’école Polytechnique de Louvain à l’UCLouvain

1. grONDES (www.grondes.be), STOP 5G (www.stop5g.be).

2. The Shift Project est un think tank qui œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone. Association loi 1901 reconnue d’intérêt général et guidée par l’exigence de la rigueur scientifique, notre mission est d’éclairer et influencer le débat sur la transition énergétique en Europe. https://theshiftproject.org/
3. International commission on non-ionizing radiation protection.
4. Centre international de Recherche sur le Cancer, agence spécialisée sur le cancer de l’OMS (Organisation mondiale de la Santé).
5. En Belgique, le Conseil supérieur de la Santé est l’organe d’avis scientifique du Service public fédéral Santé publique, Sécurité de la Chaîne alimentaire et Environnement.