DSC 9175 25 juin 2020 web Lara Herbinia 1Début 2020, le confinement s’est abattu sur une grande partie du monde, figeant tout ou presque sur son passage. Le secteur culturel, et la musique plus particulièrement, n’ont pas été épargnés : en quelques jours à peine, le coronavirus a provoqué un impact durable sur le monde musical. Quel(s) rôle(s) la musique a-t-elle joué(s) pendant la pandémie du Covid-19 ? Et quelle sera sa place dans ce monde post Covid-19 qui se dessine tout doucement à l’horizon ? Décryptage.

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En 1940, pendant sa captivité dans un camp de prisonniers en Allemagne, le compositeur français Olivier Messiaen a créé la pièce « Quatuor pour la fin du Temps ». La première audition fut donnée dans le Stalag VIII le 15 janvier 1941 par un quatuor de musiciens prisonniers 1. Cet exemple, parmi tant d’autres, est là pour nous rappeler que la musique a toujours été à nos côtés pour nous aider à surmonter des moments difficiles.

Musique et Covid-19

La crise sanitaire secoue la planète est sans précédent. Le confinement s’est abattu sur de nombreux pays et la musique n’a pas été épargnée : report de toutes les manifestations musicales, fermeture de salles de concert, annulation des festivals prévus cet été... Mais la musique ne s’est pas arrêtée pour autant. Elle s’est réinventée et a endossé plusieurs rôles pendant ces longues semaines de privation de liberté.
Un rôle pédagogique, avec des apparitions de chansons et comptines pour expliquer la situation aux enfants 2 ou encore leur apprendre les gestes barrières. Au Vietnam, le ministère de la Santé a carrément opté pour la diffusion d’une chanson de prévention de V-pop 3 à la mélodie entraînante et avec une chorégraphie reprenant les gestes barrières.
Un rôle plus politique, comme en Chine où la musique a été utilisée comme outil de propagande par le gouvernement pour étouffer toute remise en question de sa gestion de la crise du Covid-19. Comme le pointe l’artiste et chercheur Luis Velasco-Pufleau dans son article « Amour, musique et coronavirus » 4, le régime chinois a diffusé massivement dès février 2020 la chanson « Believe Love Will Win » 5 pour soutenir les travailleur·euses qui se battaient en première ligne contre l’épidémie. Par cette manœuvre, les autorités chinoises ont cherché à dépolitiser la pandémie en transformant les enjeux politiques en questions morales.
Mais la musique a surtout joué un rôle social majeur par cette recherche de maintien de liens même dans un contexte de privation de liberté imposé à toutes et tous. La musique nous a aidé·es à répondre à des besoins primaires : nos besoins d’expression. Les salles de concert et musicien·nes se sont adapté·es. Et la façon de faire de la musique également, quitte à investir des lieux inédits ou de nouveaux médias de diffusion.

Musique au balcon

Les images de gens à leur fenêtre ou sur leur balcon en train de faire de la musique ont fait le tour du monde. Chant d’opéra, quatuor à cordes ou DJ amateur·e, cette tendance est apparue tout d’abord en Italie puis s’est répandue dans de nombreux pays. Le balcon s’est transformé en un véritable symbole de résistance face au coronavirus 6. Convivialité et proximité sont les maîtres-mots de ces échanges spontanés. C’est ce rapport direct entre les musicien·nes (professionnel·les ou amateur·es) et les spectateur·rices qui crée ce lien, cette énergie vitale de socialisation disparue pendant le confinement.
Le pianiste Stéphane Ginsburgh et la chanteuse lyrique Sarah Defrise lancent les « concerts sur le toit » à Forest. Ils ont joué quatre concerts gratuits pour leur voisinage. « Nous n’exercions pas du tout notre métier en jouant sur la terrasse, nous voulions juste entrer en contact avec nos voisins. Les retours étaient d’ailleurs incroyables ! Cela a permis de créer une belle dynamique de quartier » précise Stéphane Ginsburgh.

Musique virtuelle

D’autres musicien·nes se sont tourné·es vers la technologie pour partager leur art en direct, de leur propre initiative ou dans le cadre de festivals en ligne. Des concerts retransmis depuis un salon ou une salle de concert vide, où le·la musicien·ne joue seul·e, face à une caméra qui fait office de porte d’entrée vers un public virtuel anonyme. Pauline Leblond, musicienne de jazz, a joué un concert depuis chez elle dans le cadre du « Stay Home Festival » début mai. « Techniquement tout d’abord, la mise en place de ce concert virtuel a été très longue et laborieuse. Ensuite, jouer face au mur de mon salon sans personne, c’est une sensation bien étrange que je n’ai pas du tout aimée. C’est important pour moi de ressentir l’énergie du public et de leur retransmettre sinon tout ça n’a pas beaucoup de sens. »
Même la musique d’ensemble s’est prêtée au jeu. De nombreux orchestres ont joué « ensemble, mais séparément ». C’est le cas de l’Orchestre National de France qui a interprété le Boléro de Ravel en utilisant la technique du re-recording 7 dans une vidéo publiée sur YouTube fin mars 8.
Concernant ces prestations virtuelles, Michel Stockhem, musicologue et directeur de l’École Supérieure des Arts ARTS2, pointe deux dangers. « Il y a eu beaucoup d’inventivité de la part des musiciens et musiciennes pendant ce confinement et la musique a pu continuer à s’exprimer. Tout ça pour dire que “c’est possible”. Le clin d’œil était sympathique, mais, en même temps, tout cela est extrêmement dangereux. Un premier danger, c’est d’envoyer le message au public et aux politiques que techniquement, artistiquement c’est possible de faire de la musique à distance. Or dans le meilleur des cas, le résultat obtenu est potable ». Le musicologue pointe ici particulièrement le cas des musiques d’ensemble. « On ne peut tout simplement pas faire de la musique d’orchestre ou de la musique de chambre à distance : c’est impossible ». Le deuxième danger est la gratuité des prestations musicales. « C’est une problématique qui existait déjà avant le Covid-19, mais cette crise a donné un coup d’accélérateur à la gratuité de la musique. On pointera quelques tentatives de mise en place d’un ticket à prix libre, sorte de chapeau virtuel qui passe entre les internautes. Mais on sait tous bien que ce n’est pas en jouant un peu de Bach devant sa petite caméra chinoise et en l’envoyant à ses mille amis Facebook qu’un musicien va remplir son caddy ».

Musique post Covid-19

Le déconfinement s’organise doucement, mais quelle place sera réservée à la musique dans le monde d’après ? Dans un sondage publié par le Singapore’s The Sunday Times le 14 juin dernier, les artistes étaient classés en tête du palmarès des « jobs non-essentiels » 9. En Belgique, l’économie musicale est toujours grandement à l’arrêt et les signaux (ou plutôt l’absence de ceux-ci) envoyés par les politiques sont pour le moins inquiétants.
Mais en réaction à cet immobilisme politique, le monde musical et culturel se mobilise et se fédère. Le Collectif Artistes Affilié·e·s 10 s’est formé avec pour vocation d’être un lieu de réflexion collective pour dégager des perspectives et des actions concrètes. L’objectif de ce collectif est d’apporter un soutien et surtout une mise en valeur des travailleur·euses du secteur des arts, de la culture et de l’événementiel.
Une mobilisation nationale a également vu le jour derrière le nom de code #StillStanding : des centaines de professionnel·les de la culture se sont immobilisé·es à travers tout le pays pendant plusieurs minutes pour dénoncer l’inaction des politiques. Avec un message clair : le monde recommence à bouger, la culture reste à l’arrêt, mais nous restons debout ! 11
Quelle sera la place pour la musique dans ce monde post Covid-19 ? Nous ne pouvons qu’espérer qu’elle soit exactement la même qu’avant : centrale, essentielle, nécessaire. #

1. O. MESSIAEN, Quatuor pour la fin du temps, Paris, Éditions Durand & Cie, 1942.
2. « La chanson d’une famille stabuloise pour expliquer le coronavirus aux enfants », consulté le 03/06/2020 https://www.lavenir.net/cnt/dmf20200325_01460643/video-la-chanson-d-une-famille-habaysienne-pour-expliquer-le-coronavirus-aux-enfants
3. Musique pop vietnamienne.
4. L. VELASCO-PUFLEAU, « Amour, musique et coronavirus », consulté le 11/06/2020 https://msc.hypotheses.org/3281
5. https://www.youtube.com/watch?v=Wmrp9BTLOJ0
6. « Le balcon, ce lieu de résistance face au coronavirus », consulté le 03/06/2020 https://www.lalibre.be/planete/sante/le-balcon-ce-lieu-de-resistance-face-au-coronavirus-video-5e71e475f20d5a29c678f9a8
7. Technique d’enregistrement qui consiste à superposer successivement des couches sonores enregistrées par une seule ou plusieurs personnes.
8. https://www.youtube.com/watch?v=Sj4pE_bgRQI
9. J. TAI, « 8 in 10 Singaporeans willing to pay more for essential services : Survey », consulté le 16/06/2020
https://www.straitstimes.com/singapore/manpower/8-in-10-singaporeans-willing-to-pay-more-for-essential-services
10. https://www.facebook.com/artistesaffilie.e.s/
11. « Le monde culturel manifeste contre l’inaction du gouvernement face à la crise sanitaire », consulté le 29/06/2020 https://www.lalibre.be/culture/politique/le-monde-culturel-manifeste-contre-l-inaction-du-gouvernement-face-a-la-crise-sanitaire-5ef4d19b7b50a66a59c20ec5

Elodie Jiménez Alba

© Lara Herbinia