reforme apeL'actualité des ASBL se caractérise par une nouvelle réforme du dispositif APE (Aides à la promotion de l'emploi) en Wallonie. Au moment d'écrire les présentes lignes, le texte est en examen au Parlement : on ne peut dès lors pas exclure que des contenus puissent encore changer. Mais les éléments de philosophie et de processus politique ne bougeront plus – c'est sur ceux-ci que nous concentrons l'exposé 1.

La réforme ne sort pas de nulle part : elle était déjà reprise dans l'accord de législature 2014-2019 de la coalition PS-cdH. La ministre Tillieux (PS) s'y était attelée, en concertation avec les partenaires sociaux et en dialogue avec les différentes fédérations associatives concernées. On approchait du dénouement lorsque la coalition a bougé au détriment du PS et au profit du MR. Malgré le changement, un élément de diagnostic est partagé, ainsi qu'un « cœur de solution », cependant appliqué plus radicalement avec le nouveau ministre, Pierre-Yves Jeholet.
Facteur clé de tensions : le nouveau est pressé et y va « à la hussarde ». Ce type de posture fait fi de la tradition réformatrice dans notre pays, qui passe par des formes de négociations, de compromis, de co-construction avec les parties prenantes. Certes, le processus est souvent lent, mais à l'arrivée il y a suffisamment de consensus pour que les choses puissent se mettre en œuvre dans la sérénité. Cette sérénité est d'autant plus nécessaire que le dispositif APE pèse près d'un milliard d'euros, concerne 60.000 emplois, répartis auprès de 4.000 employeur.euse.s 2, touchant des publics énormes, eu égard à la grande dispersion des emplois dans tous les secteurs et sous-secteurs des services non marchands sociaux et culturels.

Deux objectifs qui peinent à se rencontrer 

Le point de diagnostic commun entre l'ancienne et le nouveau consiste en ce constat selon lequel un programme initialement conçu pour rencontrer deux objectifs n'en rencontre en définitive qu'un seul, qui a par ailleurs pleine légitimité : on prend acte du fait sans spécialement le remettre en question. En l'occurrence, la plupart des programmes successifs de résorption du chômage, et ce depuis la fin des années 70, ont voulu tout à la fois offrir une expérience professionnelle à des demandeur.euse.s si possible éloigné.e.s de l'emploi et contribuer à rencontrer des besoins sociaux avérés. Le premier objectif (la mise à l'emploi de personnes qui en sont éloignées) part de l'hypothèse qu'une réelle expérience professionnelle améliorera le positionnement des personnes concernées sur le marché de « l'emploi normal » (ce qui, par ailleurs, est objectivement vrai : il vaut mieux déposer un CV avec du contenu que sans !) ; il y a donc aussi un filigrane qui est que de la rotation doit pouvoir s'organiser sur les postes subventionnés. Le second objectif (rencontrer des besoins sociaux avérés) nécessite souvent pour les employeur.euse.s de pouvoir compter sur du personnel stable et compétent : à supposer que vous fassiez une télévision locale, l'essentiel du personnel nécessaire doit être qualifié – journaliste, caméraman, technicien.ne du son ; les emplois pour des petites mains non qualifiées sont rares.
In fine, le constat partagé est : le dispositif APE correspond à l'objectif de soutien aux initiatives de rencontre des besoins sociaux ; il rencontre aussi un objectif de mise à l'emploi mais force est de constater que celui-ci ne s'opère pas dans un cadre rotatif pour des peu ou non qualifié.e.s. Autrement formulé : le budget APE vient en renfort d'assez nombreux budgets sectoriels consacrés au social et au culturel, tant dans les matières régionales wallonnes que dans les matières communautaires de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Le dispositif APE concerne pour partie les pouvoirs locaux, pour autre partie les ASBL. L'exposé qui suit s'attachera au volet associatif de la réforme. 

Le cœur de la réforme

 La clé du bouleversement annoncé consiste en des transferts budgétaires APE vers les différent.e.s ministres fonctionnel.le.s. Ce point correspond à une demande formulée de longue date par les différentes fédérations associatives dont l'UNIPSO est la porte-parole vis-à-vis des pouvoirs publics wallons 3. Pas de problème sur la philosophie de base. À la double condition cependant : il ne doit pas y avoir du budget qui se perd en cours de route ; il ne doit pas y avoir de situations qui deviennent inextricables faute d'avoir été identifiées et réfléchies à temps.
L'idée de transférer les budgets vers les ministres fonctionnel.le.s concerne aussi ceux de la Fédération Wallonie-Bruxelles : ainsi est-il clairement question d'organiser un important transfert budgétaire de la Wallonie vers la Fédération. Cela passera par un accord de coopération entre les deux entités. C'est évidemment délicat : à supposer que le budget finalement transféré n'organise pas la neutralité et/ou ne prévoit pas une indexation suffisante, il y a renvoi d'un problème et de sa gestion vers une série de tiers qui ne feront pas systématiquement des bonds de joie. À cette base, on peut rajouter une série de problèmes. À titre exemplatif, en voici deux.
Premièrement, comment gère-t-on la situation des associations polyagréées bénéficiant de personnels APE affectés à ces différents agréments ? On suit « l'agrément principal » (ce qui revient à modifier les équilibres actuels de financement des secteurs) ? Ou on splitte le budget APE de l'ASBL entre les secteurs concernés ? Réponse : on est plutôt sur la formule « un projet = un transfert ». Auquel cas, comment gère-t-on les situations assez fréquentes où une personne, par exemple à l'accueil ou l'administration, occupe en réalité une fonction transversale aux différents secteurs agréés ?
Deuxièmement, quid des APE relevant d'une ASBL ayant son siège ou une unité d'établissement en Région de Bruxelles-Capitale ? Si l'association peut se prévaloir d'une unité d'établissement sur « le territoire de langue française » 4, elle peut s'autoriser à ne pas angoisser pour les travailleur.euse.s qui y sont attaché.e.s, mais c'est plus incertain pour ceux.celles qui relèvent de l'unité d'établissement en Région bruxelloise : le cadre légal actuel fait que les réductions de cotisations sociales de ces travailleur.euse.s sont pris en charge par ... la Région bruxelloise ! Ledit cadre légal disparaissant, qu'est-ce que ça devient ? Une probabilité existe que, pour ces cas spécifiques, la Wallonie se limite à transférer l'équivalent budgétaire actuel de ses points tandis que la Région bruxelloise continue à prendre à sa charge la réduction des cotisations sociales. Pour organiser cela, il faudra que les postes concernés restent rattachés à un dispositif d'aide à l'emploi, même résiduaire 5.
Le projet de décret prévoit que tout cela soit bouclé pour le 31 décembre 2020/1er janvier 2021. 

Une période transitoire

Pour les associations cependant, l'impact devrait être plus rapide : l'idée est de fixer plus vite l'enveloppe budgétaire précise affectée à chacune d'entre elles. In fine, les transferts budgétaires vers les ministres fonctionnel.le.s ne devraient être que l'addition des budgets particuliers des ASBL relevant de leurs champs de compétence.
En même temps que les budgets seraient fixés pour les associations, elles bénéficieraient d'une totale autonomie de gestion, avec pour effet collatéral une (bienvenue) simplification administrative.
Initialement, les années 2019 et 2020 devaient servir de transition pour implémenter cette partie de la réforme. Mi-juillet cependant, le ministre a annoncé le report de la période transitoire, en même temps que son raccourcissement, car l'objectif de boucler le tout reste toujours fixé au 1er janvier 2021. En l'occurrence, la période transitoire démarrera le 1er janvier 2020 au lieu de la même date en 2019. Sans surprise, c'est sur la formule de calcul des budgets concrets à dédicacer à chaque ASBL que se jouent les empoignades. Le gouvernement ne cesse de proclamer sa volonté de neutralité budgétaire. Si, au fil des trois versions successives de l'avant-projet, les variables de la formule de calcul ont bougé et qu'objectivement, la situation s'est améliorée, force est de constater que de sérieuses difficultés subsistent !
La neutralité budgétaire pour les acteurs n'est en effet pas si simple à établir. Pour preuve, voici quelques éléments, sans exhaustivité :
D'abord il faut additionner deux budgets différents : celui des « points » que la Wallonie finance de longue date auquel s'ajoute celui correspondant aux importantes réductions de cotisations sociales auxquelles donnait droit le statut APE. Ce second budget longtemps assumé par le fédéral (d'ailleurs sans visibilité aucune puisqu'il était dépendant de décisions prises aux niveaux fédérés) a été transféré vers les Régions en même temps que la sixième réforme de l'État ; il a un côté très « volatil » selon l'affectation des points, au jour le jour, à des personnes concrètes qui ont des profils successifs différents.
Ensuite, chaque personne a une carrière qui évolue : la prise en compte des augmentations barémiques liées à l'ancienneté doit être ajoutée à l'indexation. Si, dans les grosses associations, il est imaginable de compter sur une certaine neutralisation de la hausse des coûts par des arrivées de plus jeunes au fur et à mesure de départs de plus ancien.ne.s (et encore, tant chaque cas est particulier !), un tel raisonnement ne tient absolument pas la route dans les petites !
Enfin, il faut fixer un repère de référence pour l'établissement du budget. Une année ? Alors certain.e.s peuvent se retrouver gravement lésé.e.s tout simplement parce que des travailleur.euse.s ont été malades de longue durée ou qu'un poste a été inoccupé pendant plusieurs mois. Plus l'association est petite, plus catastrophiques peuvent être les effets. Un lissage sur deux ans ou plus ? On atténue le problème sans le supprimer. Les points reçus lors des décisions originelles ? Le choix finalement fait, comment fixe-t-on le coefficient d'indexation qui permet de ramener le montant identifié à ce qu'il devrait être en 2020 en sorte que l'association ne perde rien ?
Signalons enfin que le sort des APE à durée déterminée, qui a pu être incertain à un moment donné, est désormais solidaire de celui des autres 6. #

Pierre GEORIS : Secrétaire général du MOC


 

1. Le présent article reprend en l'actualisant « Réforme des APE wallons : les méandres d'un processus réformateur » paru dans le mensuel ASBL Actualités, n°271, août 2018, édité par SYNECO agence-conseil en économie sociale.
2. Le.la lecteur.rice aura compris que les chiffres sont des arrondis !
3. Aussi vis-à-vis des organisations syndicales toutes les fois où il s'agit de traiter des questions transversales à tout le non marchand wallon. Par exemple les « accords du non marchand », dans leurs volets wallons.
4. Ce qui correspond à la Wallonie à l'exception des neuf communes germanophones.
5. Tant qu'à discuter entre Wallon.ne.s et Bruxellois.es, on pourrait en profiter pour traiter des ACS bruxellois ex-TCT dont les réductions de cotisations sont prises en charge par la Wallonie : ces affaires ne sont pas unilatérales !
6. La grande majorité des postes APE a fait l'objet d'attribution à durée indéterminée. Mais le Plan Marshall a dégagé les budgets pour de nouveaux postes à durée déterminée. Ainsi, des ASBL ont-elles introduit des demandes et obtenu des nouveaux personnels à durée déterminée, pour soutenir des projets qui, quant à eux, sont à durée indéterminée : plus précisément, avec les APE « Plan Marshall », une conjonction s'est opérée entre les nouveaux projets du gouvernement, par exemple en matière d'intégration de personnes étrangères ou d'origines étrangères et le financement des appels à projets auxquels ont répondu des associations. Cette conjonction s'est perpétuée simplement : par reconduction systématique des postes à durée déterminée à chaque échéance.

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