mars photo interview 2Forte de ses dizaines de milliers de membres, la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés est devenue un acteur incontournable dans le débat sur l’accueil des migrants. Du parc Maximilien au domicile du citoyen lambda, en passant par la Porte d’Ulysse, elle a mis en place un système d’hébergement remarquable. Auquel tout le monde peut participer. Rencontre dans le « hub humanitaire » avec Mehdi Kassou, porte-parole d’une Plateforme qui a entre-temps remporté le prix de Bruxellois de l’année.



Comment s’est créée la Plateforme ?

Elle a vu le jour il y a deux ans, d’une impulsion citoyenne. À l’époque, de nombreuses personnes se sont retrouvées autour du parc Maximilien où se trouvaient de plus en plus de futurs demandeurs d’asile. Car ceux-ci devaient attendre entre trois et cinq semaines pour pouvoir introduire leur demande. Pour leur venir en aide, certains arrivaient avec des sacs de couchage, d’autres avec des vêtements, de la nourriture, des tentes... La Coordination des sans-papiers était déjà présente au parc. Puis sont arrivés des juristes ; une école pour enfants, une autre pour adultes ont également été créées. La Plateforme est née à la suite des nombreuses réunions de coordination entre les personnes à l’initiative de ces différents projets.



Quels sont les services qu’offre aujourd’hui la Plateforme ?

Au-delà de l’hébergement chez les citoyens et à la Porte d’Ulysse qui propose aujourd’hui 200 lits à Haren, il y a l’accompagnement social et administratif, l’école pour enfants, l’école pour adultes, la distribution de vêtements, de kits d’hygiène... La Plateforme constate les manquements et y pallie. Par exemple, quand un demandeur d’asile se rend à l’Office des étrangers, on ne lui explique que très brièvement les démarches qu’il doit entreprendre. On a donc mis en place un pôle qui vise à accompagner la personne dès son arrivée jusqu’à son intégration socioprofesionnelle. Au total, ce sont sept pôles qu’organise la Plateforme et qui fonctionnent grâce à plusieurs dizaines de bénévoles.



Quand est-ce que l’hébergement a commencé ?

L’hébergement a pris différentes formes. Tout d’abord via l’apport de petites tentes, qui se sont avérées de plus en plus grandes, notamment pour accueillir des familles. Certains citoyens se sont ensuite proposés pour héberger les plus vulnérables. Il y a aussi eu la mise à disposition de différentes salles de sport et universitaires. Mais l’hébergement tel qu’on le connait aujourd’hui est né de la politique migratoire de plus en plus stricte du gouvernement : les arrestations ciblées, les rafles... Au départ, elles étaient espacées dans le temps, avant de devenir de plus en plus fréquentes. Nous avons alors lancé l’hébergement de l’ensemble des migrants car il fallait les protéger des interventions policières. Un pari un peu fou car contrairement aux premiers migrants qui n’étaient hébergés que le temps d’introduire leur demande avant d’être pris en charge par Fedasil, ceux que nous accueillons aujourd’hui sont majoritairement des migrants en transit qui cherchent à rejoindre l’Angleterre. Le temps qu’ils passent en Belgique est donc indéterminé... D’autant que certains prennent le temps de réfléchir à finalement rester en Belgique.



Combien de familles hébergent-elles chez elles ?

Environ 3.500 familles hébergent régulièrement dans toute la Belgique. Le groupe Facebook pour l’hébergement comprend plus de 38.000 personnes. Cela représente environ 450 personnes hébergées chaque soir depuis fin novembre.



Arrivez-vous à loger tout le monde ?

Il y a toujours quelques personnes qui restent hors circuit, qui ne veulent avoir affaire à aucune aide. Au parc Maximilien, dans 95 % des cas, on héberge tout le monde tous les soirs. Nous tentons d’héberger également les SDF qui viennent chercher un refuge car les dispositifs habituels sont remplis.



Qui sont les hébergeurs ?

Ce sont des humains. Littéralement. Il n’y a pas de profil type. Les seules valeurs qui caractérisent et fédèrent tout le monde, ce sont l’humanité et l’hospitalité. Il y a des jeunes koteurs, des personnes âgées – la doyenne a 89 ans – des gens de droite, de la Haute, toutes les religions sont représentées, des athées, la classe moyenne, ouvrière... C’est assez impressionnant et très rassurant à la fois. Tout le monde peut devenir hébergeur ! Il suffit d’en avoir envie. Pas besoin d’un lit : un matelas à terre suffit amplement. Très concrètement, nous sommes confrontés à un besoin et nous cherchons des gens qui peuvent répondre à ce besoin. Il suffit de nous contacter !



Que répondez-vous à ceux qui craignent un appel d’air créé par les initiatives d’accueil comme la vôtre ?

C’est absurde. Ce n’est jamais une tartine ou la qualité du matelas dans lequel on va se coucher qui va attirer plus de gens en Belgique. Nous sommes sur un chemin entre les pays d’origine de ces migrants et l’Angleterre. Les seuls qui connaissent l’appel d’air ce sont les Anglais. En Afrique et au Moyen-Orient, il y a l’idée depuis bien longtemps que l’Angleterre est un véritable eldorado. Chez nous, il suffit de comparer les chiffres de recensement des autorités. Au mois d’août, il y avait 760 migrants à Bruxelles. Avec les rafles, 130 personnes ont été envoyées en centres fermés. Aujourd’hui, nous ne sommes toujours pas aux chiffres de l’été dernier. Nous sommes pourtant dans une offre d’accueil exceptionnelle. Car il n’y a rien de tel qu’être hébergé chez le citoyen. Sans compter l’accompagnement social et administratif individuel. Force est de constater que l’appel d’air n’est toujours pas là. Pourtant, très honnêtement, cela ne me dérangerait pas de voir le chiffre augmenter. Sans cela, la Belgique remplira-t-elle ses engagements ? Elle a annoncé qu’elle allait relocaliser 3.900 personnes. Aujourd’hui, on n’est même pas à 1.000 ! Cela forcerait aussi la Belgique à appeler l’Europe à prendre une position plus claire. Car le problème est qu’aucun pays n’ose faire mieux que l’autre de peur que le flux se dirige vers lui...



Que pensez-vous du rapport du CGRA sur les risques de torture au Soudan ?

Je pense qu’il est incomplet. Le témoignage recueilli, sur WhatsApp, par Koert Debeuf, le directeur de l’institut Tahrir, avec une personne qui témoigne des sévices subis quand il est retourné au Soudan n’est pas mentionné. Je trouve également un peu lamentable la position du gouvernement, en particulier celle du Premier ministre et d’Olivier Chastel qui s’annoncent comme victorieux. Comme si, finalement, ce rapport leur avait donné raison. Alors qu’il pointe de sérieux manquements dans l’analyse de l’étude des risques. Je pense que la meilleure réaction à avoir est celle de la Ligue des droits de l’Homme. À savoir demander une enquête indépendante au rapporteur des Nations Unies. Il faut, quoi qu’il en soit, continuer à geler ces expulsions.



Pensez-vous que ce rapport va influencer la politique du gouvernement ?

Dans sa politique migratoire globale, non. Ils annoncent d’emblée que les expulsions vont reprendre, en tenant compte des remarques du CGRA. Ce qui me choque dans cette politique migratoire soi-disant ferme et humaine, au-delà d’avoir collaboré avec une dictature, c’est cette volonté de renvoyer des gens vers des zones en conflits armés. Il n’y a pas plus d’humanité en vue. Contrairement à la partie ferme qui, elle, est bien là.



Quel regard portez-vous sur les visites domiciliaires ?

Il ne faut pas les appeler des visites domiciliaires. D’un point de vue juridique, ce sont des perquisitions. À partir du moment où un policier a un mandat, qu’il peut fracturer la porte et qu’une fouille peut avoir lieu, il s’agit clairement d’une perquisition. C’est une criminalisation de personnes qui n’ont rien commis d’autre que ne pas avoir de papiers. Je pense également que c’est une atteinte violente à nos droits fondamentaux. Il s’agit aussi d’une tentative de briser cet élan de solidarité avec une communication très cynique. La solidarité et les hébergeurs ne sont pas ciblés ? Leurs portes sont pourtant visées, leurs tiroirs pourront être fouillés, leurs enfants en seront témoins. Le gouvernement sous-estime le choc que peut représenter une perquisition.



Avez-vous peur que cela effraie l’enthousiasme des hébergeurs ?

Pas du tout. Il y a évidemment toujours une petite appréhension. Mais l’annonce de ces « visites » a fait exploser le nombre de membres de la Plateforme sur Facebook. La réponse des hébergeurs ? « Ils n’ont qu’à venir ! »



L’aspect politique n’a-t-il pas supplanté l’aspect citoyen de la Plateforme ?

Non. Pour être récupéré politiquement, il suffit que je prenne mon téléphone. Mais cela ne m’intéresse vraiment pas. Il y a tellement de ramifications et de facteurs qui vont influencer une politique... Le gouvernement Di Rupo était très à droite pour un exécutif dirigé par un homme de gauche. D’ailleurs, en termes de politique migratoire, Maggie De Block ne faisait pas mieux. Aujourd’hui, c’est facile pour l’opposition de tacler le gouvernement. C’est sûr qu’avoir un Theo Francken en son sein, cela n’aide pas. Mais je ne suis malheureusement pas certain qu’une autre coalition aura une position bien différente...



Êtes-vous plus revendicateur aujourd’hui qu’à la création de la Plateforme ?

Pas du tout. À l’époque, il y avait le Collectif des Sans-Papiers qui avait des revendications politiques. Moi, ce que j’ai vu et ce qui m’a convaincu de me lancer avec cette Plateforme, c’est un gamin de l’âge de mon fils qui dormait sur une bâche en plastique. J’ai voulu l’aider, puis aider un maximum de personnes autour de lui. Il fallait trouver des solutions. En tant que tel, nous ne voulons pas faire de politique. Mais, évidemment, cela devient de la politique car on réagit aux conséquences d’une politique gouvernementale.



Comment réagissez-vous au « conseil » de Charles Michel incitant les migrants à demander l’asile ?

Nous nous alignons sur les propos d’Alexis Deswaef 1. Et pourquoi la Belgique n’activerait-elle pas la clause de souveraineté sur base d’un critère particulier ? En l’occurrence, la Belgique pourrait choisir de ne pas appliquer la clause de Dublin pour les personnes présentes sur son territoire pour une période donnée. C’est une proposition qui a été envoyée aux présidents de partis, au ministre de l’Intérieur et au secrétaire d’État à l’Asile. La réponse de Charles Michel ? Cela provoquerait un appel d’air. Mais ça n’a pas de sens. Si on annonce clairement que tous les migrants qui étaient sur le territoire belge entre, par exemple, le 1er septembre et le 31 décembre 2017, peuvent demander l’asile sans être « dubliné », cela ne veut pas dire que les personnes à travers le reste de l’Europe décideront de venir en Belgique aujourd’hui...



Avez-vous tout de même un espoir de faire évoluer la politique migratoire de la Belgique ?

Notre véritable volonté, c’est de retourner à nos vies. C’est pouvoir dormir, partir en vacances... L’idéal ce serait d’avoir une Europe qui se rend bien compte qu’elle ne pourra pas continuer dans cette direction ad vitam eternam, qui ferait par exemple des centres d’accueil et d’orientation sur le parcours migratoire, qui créerait des voies sûres et légales pour les personnes qui voudraient la traverser.



La Plateforme tiendra-t-elle sur la durée ?

Dès qu’il y a de l’indignation, il y a de la mobilisation. Quand le gouvernement sort une absurdité ou qu’il commet une horreur, nous voyons le nombre de nos membres augmenter de manière considérable. C’est notre meilleur chargé de communication ! #

Propos recueillis par Léopold Darcheville

1. Le président de la Ligue des droits de l’Homme a tweeté ceci suite aux propos de Charles Michel : « Mon message aux migrants : demandez l’asile. Comme ça, on vous renvoie tous en Italie. » Il n’y comprend vraiment rien ou il fait semblant ? #RèglementDublin »


 Solidarité avec Mounir et Jihed 

Un pas de plus dans la criminalisation des sans-papiers a été franchi le 9 février dernier. Ce jour-là, prétextant une opération liée à Belfi (le plan de lutte contre le radicalisme du fédéral, en étroite collaboration avec les polices locales), des policiers en nombre sont intervenus au sein de l’ASBL Globe Aroma, un centre culturel qui travaille avec des artistes migrants. Suite à cette intervention particulièrement violente, sept sans-papiers ont été interpellés. Deux d’entre eux sont encore détenus au centre fermé 127 bis. Il s’agit de l’artiste mauritanien Jihed et de Mounir, un militant syndical du Comité des travailleurs avec et sans-papiers de la CSC. 

Le MOC et la CSC ainsi que de très nombreuses associations réclament leur libération immédiate ! Et rappellent la nécessité d’introduire dans la loi de 1980 une procédure de régularisation avec des critères clairs et objectifs.

Le hub humanitaire : un centre névralgique

L’ouverture du hub humanitaire date du 29 septembre 2017. Il était situé à l’époque aux numéros 31, 33 et 35 de la rue Frontispice, non loin du parc Maximilien, dans un bâtiment mis à disposition par la Ville de Bruxelles. Il se trouve depuis le 8 janvier 2018 à la Gare du Nord, dans un espace de 800m² prêté gratuitement par AXA jusqu’à la fin de ce mois de septembre. Au total, ce sont sept organisations (cfr ci-dessous) et la Commission d’aide juridique française de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles (CAJ) qui délivrent aide et services aux quelque 200 migrants qui y passent chaque jour. Outre la coordination de l’hébergement et la distribution de nourriture, la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés oriente les personnes vers les différentes organisations en fonction des besoins.

•La Croix-Rouge de Belgique : rétablissements des liens familiaux, wi-fi, recharge de téléphones...

•Oxfam-Solidarité : tri et distribution de vêtements, mais aussi des kits d’hygiène, de sacs de couchage, de téléphones,...

•Médecins Sans Frontières : expertise psychologique.

•Médecins du Monde : soins de santé, médicaments, orientation vers des services de soins spécialisés.

•Ciré et Vluchtelingwerk Vlaanderen : information concernant les droits, les procédures d’asile...

•           CAJ : information juridique de première ligne.