novembre article 1En Belgique, 13,1 % des 20-34 ans sont considérés comme NEET ou « Not in Education, Employment or Training », à savoir des jeunes hors des radars du système éducatif et du monde du travail. Le concept se voudrait plus performant que celui de taux de chômage des jeunes en ce qui concerne l’analyse et l’implémentation des politiques de jeunesse en Europe. Certains auteurs dénoncent cependant le biais de cette catégorie unique et générale qui ne favorise donc pas des politiques ciblées et efficaces.

Depuis une dizaine d’années, une nouvelle catégorie sociale a fait son apparition dans le jargon politique, médiatique et associatif. Les « NEET » désignent ces jeunes qui ne travaillent pas, ne font pas d’études et ne suivent pas de formation (formelle ou informelle). Le concept, aujourd’hui internationalement utilisé, témoigne de l’étendue de la problématique.

Dans quel contexte cette classification sociale émerge-t-elle ? Que nous apprend-elle sur ces jeunes NEET qui sont éloignés tant du marché de l’emploi que de la société ? Dans quel cadre institutionnel les acteurs sociaux agissent-ils pour lutter contre ce phénomène et à quelles difficultés sont-ils confrontés sur le terrain ? Ce sont là quelques-unes des questions auxquelles tente de répondre cet article afin de donner un aperçu de la situation actuelle des jeunes européens et de jauger par là même le concept de NEET dans les politiques à destination de la jeunesse.

Les jeunes et la crise




L’augmentation de la précarité est une réalité qui frappe l’ensemble de l’Europe. Le monde du travail n’est pas épargné par cette précarisation accrue avec notamment une proportion de plus en plus grande de travailleurs – parmi lesquels de nombreux jeunes – engagés dans des temps partiels, des contrats temporaires et occasionnels (du type zero hour contract1). Le sociologue et philosophe Robert Castel2 propose une distinction au sein du monde du travail actuel entre trois fractions : des travailleurs « intégrés » qui sont insérés de manière stable et durable dans l’emploi et les réseaux de relations sociales ; des travailleurs « vulnérables », placés en situation d’insécurité voire de précarité permanente face à l’emploi, qui vont et viennent sur le marché du travail ; des travailleurs « désaffiliés », éloignés des réseaux de relations sociales, distanciés très significativement voire irrémédiablement de l’emploi. Ces réalités, que Robert Castel décrivait déjà en 1995, n’ont pris que plus d’ampleur 20 ans plus tard. Et les jeunes sont parmi les plus susceptibles de remplir les rangs de la troisième catégorie. Le marché du travail est en effet plus instable pour les jeunes que pour les travailleurs d’âge mûr. Le chômage des jeunes est habituellement plus sensible aux fluctuations de la croissance économique que le chômage en général, ce qui les rend particulièrement vulnérables en période de récession 3. On constate ainsi que la proportion de NEET a augmenté durant la crise financière et économique que l’Europe a traversée, passant de 16,5 % de NEET en 2008 à 18,5 % les années suivantes. Sur le plan social, ces jeunes vivent une série de difficultés les rendant fragiles, ce qui laisse présager pour une partie d’entre eux une génération « perdue », sans repère ni projet de vie commun.

Pour une meilleure surveillance



Face à l’importance et à l’étendue de cette crise du chômage des jeunes en Europe et des conséquences qu’elles charrient, le concept de NEET a émergé, en vue notamment de fournir un indicateur plus performant que le taux de chômage des jeunes. Actuellement, plus de 17 millions de NEET sont ainsi recensés à travers l’Europe 4, dans la tranche des 20-34 ans, la plus concernée par la problématique. En Belgique, le taux des jeunes NEET est de l’ordre de 13,1 % (2016) réparti différemment entre les trois régions du pays. Bruxelles se taille la part du lion avec 19,8 % suivie par la Wallonie (16,4 %) et la Flandre (9,8 %). Depuis 2005, la Belgique affiche un taux légèrement inférieur à la moyenne européenne.

Ce nouvel indicateur est censé permettre une meilleure analyse et surveillance des vulnérabilités des jeunes, qu’elles concernent leur participation au marché de l’emploi ou leur inclusion sociale. Sur base des données statistiques qu’il fournit, il aide les États membres à élaborer leur stratégie politique envers la jeunesse.

Les résultats statistiques relatifs aux NEET mettent en évidence plusieurs constats. Ils montrent ainsi, sans surprise, le fait que le niveau de formation des jeunes a une forte influence sur leurs chances d’obtenir un travail et de rester dans l’emploi. En 2015, le taux de NEET âgés de 20 à 24 ans dans l’Union européenne (UE) était trois fois plus élevé parmi les jeunes avec un faible niveau d’éducation. Les données statistiques indiquent aussi que les jeunes femmes sont plus susceptibles de devenir NEET (notamment pour des raisons familiales) que les jeunes garçons et sont plus concernées par l’inactivité économique (ne pas chercher activement un emploi) alors que les garçons sont, quant à eux, plus concernés par le chômage. Outre le sexe et le niveau de formation, d’autres facteurs de risque sont pointés par les recherches sur les NEET tels que le fait d’être porteur d’un handicap, d’être issu de l’immigration, d’habiter dans une région reculée, de provenir d’une famille avec de faibles revenus, d’avoir des parents qui ont connu le chômage, ont un faible niveau d’éducation ou ont divorcé.

L’Europe à l’assaut du phénomène



Dans le contexte rapidement esquissé et au regard des chiffres globaux amenés par l’indicateur NEET, les enjeux de l’intégration sociale et professionnelle des jeunes revêtent un caractère particulièrement essentiel et stratégique, tant au niveau européen qu’au sein même des États membres de l’Union. C’est pourquoi, depuis 2010, l’Europe a fait de la problématique des NEET une priorité majeure. Dans le volet « Lutter contre l’exclusion sociale » de sa stratégie Europe 2020, l’UE promeut l’inclusion sociale et la lutte contre la pauvreté, pour que 20 millions de personnes au moins cessent d’être confrontées au risque de pauvreté et d’exclusion au cours des dix prochaines années. La Garantie pour la jeunesse (et son corollaire Initiative Emploi Jeunes – IEJ) est l’un des outils mis en place par la Commission depuis 2014 afin de contrer le chômage et l’exclusion des jeunes. Il s’agit d’un engagement pris par l’ensemble des pays de l’UE de veiller à ce que tous les jeunes âgés de moins de 25 ans puissent bénéficier d’une offre d’emploi de qualité, d’une formation continue, d’un apprentissage, ou d’un stage dans les quatre mois qui suivent la perte de leur emploi ou la fin de leurs études.

L’IEJ constitue l’une des principales ressources financières de l’UE (6,4 milliards d’euros pour la période 2014-2020) pour mettre en œuvre les dispositifs de la Garantie pour la jeunesse. Elle a été lancée afin d’aider les jeunes vivant dans des régions enregistrant un taux de chômage des jeunes supérieur à 25 % en 2012 (le Hainaut, Liège et Bruxelles pour la Belgique). Elle vise uniquement les NEET ainsi que les jeunes chômeurs de longue durée et ceux qui ne sont pas inscrits en tant que demandeurs d’emploi (les désaffiliés au sens de Castel). L’objectif de cet outil financier est d’apporter une aide ciblée aux jeunes vivant dans les régions d’Europe confrontées à de lourdes difficultés. L’initiative soutient les apprentissages, les stages, la recherche d’emploi, les formations qualifiantes. Pour la Belgique, l’objectif est d’atteindre un taux de NEET de 8,2 % d’ici 2020 au lieu des 13,1 % aujourd’hui.
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NEET, un concept imparfait ?


Contrairement au taux de chômage qui enregistre le pourcentage de la population qui ne trouve pas d’emploi dans la population active, la définition des NEET enregistre donc quant à elle la part de la population représentée par l’ensemble des jeunes qui ne sont ni engagés sur le marché du travail ni dans le système éducatif (Eurofound 2012). Entrent donc dans cette catégorie sociale des jeunes dont les réalités de vie sont très diverses. L’écart est immense entre ceux qui maîtrisent leur situation (car liée à un choix de vie, tel que les jeunes qui voyagent en attendant de s’engager dans la vie professionnelle), ceux qui sont temporairement dans la catégorie (pas encore d’emploi après leur parcours de formation) et ceux qui, au contraire, sont dans un état de très grande vulnérabilité et de désaffiliation professionnelle et sociale (malade, au chômage, handicapé...). C’est pourquoi certains auteurs considèrent que cette catégorie est imparfaite et qu’il devrait apparaître plus clairement que différentes ressources et opportunités sont à la disposition des différents groupes5.

Selon Furlong, le fait d’avoir remplacé le concept de taux de chômage des jeunes par celui des NEET pour orienter les politiques a conduit à une situation où l’agrégation de catégories d’expérience distinctes en une seule et unique catégorie générale (NEET) oblige, paradoxalement, à « désagréger » pour comprendre ou pour cibler efficacement les politiques6. Cela risque également de limiter la mesure de la vulnérabilité à l’emploi et à la formation, et de ce fait de masquer d’autres paramètres de vulnérabilité, pas moins importants, de nature sociale et collective. De plus, la segmentation administrativo-statistique du concept de NEET risque d’installer des cloisons entre les différents dispositifs et politiques. Cette imperméabilité des dispositifs les uns par rapport aux autres pourrait présenter des effets pervers sur les parcours d’intégration conçus de manière linéaire, empêchant (ou à tout le moins n’encourageant pas) les dispositifs (et organisations) à collaborer entre eux, au détriment des jeunes7.

Outre l’hétérogénéité qu’englobe le concept de NEET et les conséquences de la segmentation administrative qui est opérée, la conception linéaire des trajectoires d’insertion professionnelle et d’intégration sociale qu’il sous-tend, alors que dans la réalité les parcours peuvent être (sont) discontinus et erratiques, est une autre critique qui lui est adressée.

Et sur le terrain, quels constats ?


De nombreuses associations, ONG, organisations sociales et syndicales ont répondu aux appels à projets lancés par l’Europe à destination des NEET, parmi lesquelles plusieurs fédérations du Mouvement ouvrier chrétien. Le CIEP Communautaire a mené, en 2016, un projet avec les NEET en collaboration avec les fédérations de Charleroi, Verviers et Liège. Le projet visait la réalisation d’une production culturelle et artistique exposable dans l’espace public sur le thème « vouloir sa ville » avec trois groupes de jeunes. Les jeunes se sont formés à des outils-métiers (la vidéo, la photo, la planification d’évènements culturels), se sont mis en relation avec des partenaires culturels (centres culturels, théâtres, cinémas) et ont bénéficié d’un accompagnement individuel en vue de définir avec chacun d’entre eux, leurs attentes professionnelles. La démarche était basée sur les besoins des jeunes eux-mêmes en reconnaissant l’existence de leurs demandes et de leurs réelles expertises individuelles.

À Charleroi, par exemple, l’objectif consistait à sonder les participants sur leur vision de la ville par la réalisation d’une vidéo et de découvrir les métiers liés au monde de la culture. La mise en place des projets a rencontré quelques écueils qui mettent en lumière les difficultés potentielles à travailler avec le public des NEET. La première consistait à les localiser. Par définition, ces jeunes sont éloignés du marché de l’emploi et de la formation. C’est donc en dehors de ces sphères qu’on peut les rencontrer. Si par le passé, les jeunes en rupture avec la société étaient facilement localisables dans les quartiers, c’est nettement moins le cas aujourd’hui. Avec le développement des réseaux sociaux, un nombre important d’entre eux restent chez eux et leur mode de communication avec le monde extérieur passe principalement par l’intermédiaire de la toile. La prise de contact avec ces jeunes par les acteurs de terrain en devient donc plus complexe et nécessite le recours à des partenaires qui sont mieux outillés pour les identifier (CPAS, services sociaux, écoles, AMO 8, centres de décrochage scolaire, services d’aide à la jeunesse, etc.).

Une autre difficulté du projet consistait à maintenir les jeunes accrochés au dispositif. Les menaces d’abandons (fluctuation de la motivation, difficultés de déplacement, difficultés psychologiques...) ont constamment plané sur les projets et se sont finalement concrétisées pour une majorité d’entre eux. Les effets d’un tel désengagement dans la formation peuvent s’avérer dévastateurs pour ces jeunes confrontés une énième fois à l’échec et, dès lors, se révéler totalement contreproductifs par rapport aux objectifs visés par les dispositifs en faveur des NEET.

Bien que nous n’ayons pas encore tout le recul nécessaire pour évaluer pleinement le concept de NEET, il apparaît tant à la lumière de la littérature sur le sujet qu’au niveau de la mise en place des projets à destination de ces jeunes, que des améliorations devront être apportées pour que les défis relatifs à la jeunesse en Europe puissent être pleinement relevés dans les années à venir. L’enjeu est de taille si on ne veut pas voir ces jeunes en très grande difficulté s’engager davantage encore sur le chemin de l’exclusion et de la désaffiliation. #




1. Un contrat sans aucune indication d’horaires ou de durée minimum de travail. Le travailleur est payé pour les heures prestées.

2. R. CASTEL, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Librairie Arthème Fayard, 1995.

3. Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, Les jeunes et les NEET en Europe : premiers résultats, 2010.

4. Chiffres d’Eurostat 2016.

5. V. CUZZOCREA, « La catégorie des NEET : quel avenir ? », Point de vue sur la jeunesse. 2020, quelles perspectives ?, 2013.

6. A. Furlong, « Not a very NEET solution : representing problematic labour market transitions among early school-leavers », Work, employment and society, vol. 20, no 3, 2006, p. 553-569 cité par Valentina Cuzzocrea

7. Dans les programmes mis en place, la notion des NEET est appréhendée de façon statique et intemporelle, c’est le statut « administratif » du bénéficiaire au moment de sa demande qui prévaut et non plus son « histoire » et sa « condition » sur un horizon temporel raisonnable (6 mois à 1 an). Par exemple, un NEET qui bénéficie d’un suivi dans le cadre d’un dispositif d’insertion de type NEET perd son statut de NEET dès le premier jour et ne pourrait en aucun cas être repris dans des actions concomitantes et/ou de type « filière » organisée par d’autres opérateurs bénéficiant du même financement « NEET ». Une telle situation crée de la concurrence entre opérateurs au détriment d’un accompagnement efficace et efficient du bénéficiaire.

8. Aide en milieu ouvert.