Scurit -copyright Miguel DiscartLes attentats de Paris ont considérablement renforcé la ligne sécuritaire du gouvernement Michel, déjà enclin à user de l’appareil répressif. Au point de mettre à mal certaines libertés individuelles. Ces mesures, qu’une bonne partie de la population semble soutenir, posent néanmoins de nombreuses questions en termes de coût, d’efficacité et de droits fondamentaux.

Dimanche 22 novembre 2015, un peu moins de dix jours après les attentats de Paris, l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (OCAM) pousse le curseur au maximum en Région de Bruxelles-Capitale, estimant le danger à quatre... sur une échelle de quatre. La menace est « imminente ». Dans la foulée, le Conseil national de sécurité, présidé par le Premier ministre, décide un renforcement de la capacité policière et militaire, la limitation du nombre d’événements publics, la fermeture du métro... La peur s’installe sur la capitale belge. Et sur le pays. Par la suite, le niveau est redescendu à trois. De nombreuses perquisitions ont été menées, parfois suivies d’arrestations. Aucun attentat n’a eu lieu.
Depuis, la vie a repris son cours. Presque normalement. Seul signe visible de tension : les militaires en armes sont toujours bien visibles dans les rues de la capitale. Un dispositif censé rassurer la population. Mais qui pose de multiples questions. Dont celles de son coût. Naïma Regueras, présidente de la Coordination nationale d’action pour la paix et la démocratie (CNAPD) s’interroge : « À la fin de l’année dernière, le gouvernement a décidé de débloquer 400 millions d’euros supplémentaires pour assurer la sécurité et lutter contre le terrorisme en plus des 200 millions déjà prévus à cet effet dans le budget 2015. Sans compter les 40 millions pour la Sûreté de l’État et les 100 millions pour la Défense. Dans le contexte actuel d’austérité, est-ce pertinent de dégager autant d’argent pour des mesures qui ont pour but de lutter contre les conséquences du terrorisme et de la radicalisation et non contre les causes du phénomène ? » Outre le déploiement de 500 militaires dans les rues, d’autres mesures annoncées interpellent : renforcement des contrôles policiers aux frontières, perquisitions 24 heures sur 24 et garde à vue étendue à 72 heures (au lieu de 24) dans le cadre des actes de « terrorisme », prison pour les djihadistes qui reviennent en Belgique, bracelet électronique pour les personnes fichées par l’analyse de la menace, etc.

Une vision à court terme

S’il n’est pas question, dans le chef de la CNAPD, de nier la nécessité de renforcer temporairement certaines mesures de sécurité, c’est le peu de vision de l’exécutif qui est montré du doigt. « Avec tous ces moyens, le gouvernement cherche à montrer qu’il prend le problème à bras le corps pour répondre aux craintes d’une partie de la population. Pour donner l’impression qu’il maîtrise la situation. Mais ce sont des mesures de court terme, qui ne résoudront en rien les problèmes de base. On peut entendre qu’il faut tout faire pour limiter le départ des jeunes vers la Syrie, mais est-ce vraiment utile d’envoyer en prison ceux qui reviennent quand on sait que c’est l’un des premiers lieux de radicalisation ? Ce type de mesure ne fait que renforcer le sentiment d’exclusion et de discrimination. A contrario, on ne nous annonce pas un grand plan qui s’attaquerait en profondeur aux racines du phénomène : la ségrégation sociospatiale, le dialogue interculturel, l’éducation... »
Même son de cloche chez Alexis Deswaef, président de La Ligue des droits de l’Homme : « Rappelons qu’après les événements de Verviers, le gouvernement a pris 12 mesures dans les heures qui ont suivi. Puis, dans la foulée des attentats de Paris, il en adopte 18 nouvelles... Est-ce que cela signifie qu’il y avait déjà des manquements dans la première salve ? Ne serait-ce pas le signe que cet exécutif n’est capable d’agir que sous le coup de l’émotion et de la précipitation ? On est majoritairement dans une posture de communication qui vise à rassurer la population. Mais s’interroge-t-on sur l’efficacité de ces mesures ? Où en est leur évaluation ? »

Tous concernés

Alexis Deswaef s’inquiète aussi, et surtout, de l’impact de ces politiques sécuritaires sur nos libertés individuelles. « Pour le gouvernement, il faut répondre à une ‘‘situation exceptionnelle’’ par des ‘‘mesures exceptionnelles’’. Mais on voit bien que ce caractère exceptionnel va durablement impacter la vie en société et porter atteinte à tous les citoyens. Ceux-ci sont poussés à accepter de sacrifier leurs droits et libertés pour ce qui s’avère n’être qu’une illusion de sécurité. » Et de relever que, d’après de nombreux magistrats, l’arsenal législatif pour lutter contre le terrorisme est amplement suffisant. « Ce qui manque, ce sont les moyens humains et financiers », enchaîne-t-il.
Pour Manuela Cadelli, présidente de l’Association syndicale des magistrats, « au nom d’une pseudo-efficacité, le gouvernement nous livre une série de régressions. Grâce aux nouvelles lois, il sera possible de surveiller un très grand nombre de citoyens, y compris ceux qui n’ont rien à voir avec le terrorisme ! Soyons clairs : nous sommes tous concernés par ces lois d’exception. Ce type d’arsenal finit toujours par s’installer durablement. Il est donc de notre devoir de conscientiser la population sur cette situation ». L’enjeu, pour Alexis Deswaef, est donc de mieux cibler la surveillance des personnes potentiellement dangereuses. « Visiblement, toutes les personnes impliquées dans les attentats étaient connues des services de renseignement ou des services judiciaires, mais les données n’étaient pas suffisamment croisées. Dans un système où les moyens financiers et humains sont limités, ne serait-il pas plus opportun de se concentrer sur ces données disponibles en les approfondissant éventuellement plutôt que de surveiller 11 millions de personnes ? »

« Toutes les données liées à la vie privée des plus faibles de notre société valent visiblement moins que celles des nantis qui, eux, sont à l’abri. »

Droit à la vie privée

Plus grave encore est que la problématique de l’atteinte aux droits individuels déborde largement du cadre de la lutte contre le terrorisme. Selon le président de la Ligue des droits de l’Homme, la protection de la vie privée est mise à mal sous la justification de bon sens : « on vous dit que si vous n’avez rien à vous reprocher, vous n’avez rien à craindre. De nombreux citoyens tombent dans le piège ! Car cette approche est tout à fait contraire au droit à la vie privée, telle que définie dans l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme. » Les exemples ne manquent pas, notamment en ce qui concerne la lutte contre la fraude sociale : « Toutes les données liées à la vie privée des plus faibles de notre société valent visiblement moins que celles des nantis qui, eux, sont à l’abri. Pour lutter contre la fraude sociale, il n’y a pas de limites quand il s’agit de la vie privée des personnes ciblées, alors que pour lutter contre la fraude fiscale, cela semble beaucoup plus compliqué. Quand on voit que le portefeuille du secrétaire d’État Bart Tommelein (Open VLD) regroupe la lutte contre la fraude sociale et la protection de la vie privée, on ne croit plus au hasard... Et on ne peut que constater que le secrétaire d’État malmène constamment une de ses compétences pour servir l’autre. »
Alexis Deswaef n’hésite pas à franchir un pas supplémentaire dans la critique. Pour lui, la politique sécuritaire du gouvernement Michel se traduit également au niveau de la criminalisation des mouvements sociaux : « Il y a une volonté de s’attaquer de manière frontale au droit de grève, au droit de manifester. L’idée est clairement de prendre des mesures qui les rendent ineffectifs. Et la manière dont sont traités les manifestants pacifiques démontre que le gouvernement opte, sous couvert d’une politique sécuritaire, pour la voie répressive au détriment du droit des personnes. »
Au final, ce qui surprend le plus notre interlocuteur, « c’est que toutes ces atteintes aux libertés individuelles sont prises par un gouvernement... libéral. Doit-on leur rappeler que la protection de la vie privée et des libertés individuelles sont des valeurs qu’ils sont censées chérir ? » #

credit photo : Miguel Discart