Obama2 The City Project

 Il y a six ans, l’élection de Barack Obama suscitait une vague d’espoir au niveau international et en particulier en Amérique latine. Après les années Bush, la région espérait des relations basées sur le respect mutuel. Barack Obama semblait initialement disposé à inscrire sa politique étrangère dans cette dynamique. Mais ce changement de cap ne s’est pas concrétisé. Déçus, les pays latino-américains ont été contraints de reconnaître la justesse de l’aphorisme de l’historien de la Grèce antique Thucydide : « Les grandes nations font ce qu’elles veulent, tandis que les petites nations acceptent ce qu’elles peuvent ».



Pendant tout le 20e siècle, les intérêts de Washington en Amérique latine ont été guidés par trois exigences : les contraintes de sa politique intérieure, la nécessité de préserver sa sécurité et la promotion de ses intérêts économiques. Or, avec la fin de la guerre froide, la structure du système international a fortement évolué passant d’une architecture unipolaire avec hégémonie étasunienne à une architecture multipolaire, avec distribution du pouvoir entre différentes aires géographiques. En outre, les conséquences de la disparition de l’Union soviétique se sont également faites ressentir en Amérique latine où des pays comme Cuba et le Nicaragua ont perdu un allié politique de taille. L’élection de George W. Bush (suivie des attentats du 11 septembre 2001) et, surtout, l’invasion de l’Irak en 2003 vont commencer à miner l’image des États-Unis. Le reproche principal concerne leur vision unilatéraliste des relations internationales et leur propension à contourner le droit international. La Maison-Blanche manifeste en effet une indisposition à s’inscrire dans une logique de coopération internationale dans des domaines comme le contrôle des armes, le changement climatique ou la reconnaissance de la nouvelle Cour pénale internationale.

L’héritage de George W. Bush

En arrivant à la Maison-Blanche, George W. Bush se montre plutôt bien disposé vis-à-vis de l’Amérique latine. Lors de son intervention au sommet des Amériques en 2001, il évoque « une nouvelle aire de relations », « une amitié durable » et « un dialogue constructif ». Il se montre également favorable à la signature d’accords de libre-échange et s’engage à consolider la démocratie dans la région. Mais son ambition phare est la création d’une grande zone de libre-échange allant de l’Alaska à la Terre de Feu : la ZLEA1. Le président américain renforce par là un processus initié à la fin de la guerre froide au sein duquel les questions de géopolitique et de sécurité nationale ont laissé place à un agenda davantage commercial.
Les attentats du 11 septembre 2001 vont néanmoins modifier la direction de la politique étrangère des États-Unis et générer de grandes transformations au sein des relations interaméricaines. L’attention de Washington va désormais se porter essentiellement vers le Proche-Orient, ce qui se traduira par un espace beaucoup plus réduit pour l’Amérique latine dans l’agenda américain.
Si la plupart des pays latino-américains soutiennent l’intervention en Afghanistan, il n’en va pas de même avec celle en Irak. Le Chili et le Mexique, membres du Conseil de sécurité en 2003 n’appuient pas l’entrée en guerre des États-Unis. Cette opposition laissera des traces d’autant plus que de nouveaux chefs d’État de gauche arrivent au pouvoir en Amérique latine. Ceux-ci contestent les orientations économiques néolibérales en vigueur depuis les années 80 et 90 et adoptent un discours à la rhétorique souvent anti-impérialiste. Le principal fait d’armes de ces nouveaux pouvoirs de gauche concerne le rejet catégorique de la ZLEA lors du sommet des Amériques à Buenos Aires en 2005. C’est un tournant dans les relations interaméricaines. De plus, l’appui tacite de Washington à la tentative de coup d’État contre Hugo Chavez en 2002 et les désignations successives d’Otto Reich et Roger Noriega - deux vétérans de la guerre froide proche des milieux anticastristes - en charge des affaires latino-américaines pour la Maison-Blanche ont renforcé la conviction des pays latino-américains qu’il était sans doute nécessaire de se distancier des États-Unis et de renforcer un processus d’intégration régionale alors moribond.

Un commencement prometteur

Une fois élu, Barack Obama s’attèle à refaçonner l’image des États-Unis au niveau international. Il inscrit sa politique extérieure dans une logique de coopération tout en maintenant l’hégémonie de son pays dans toute une série de domaines. Dès lors, la nouvelle doctrine de politique étrangère américaine va se formuler autour du concept de « smart power ». Pour le politologue Sebastian Santander, « ce pouvoir de l’intelligence fut défini comme le résultat du mariage productif entre le hard et le soft power américain. Alors que le premier type de pouvoir est incarné par celui de la coercition physique du Pentagone, le deuxième renvoie au pouvoir d’attraction que peut exercer la culture américaine au travers de la cinématographie hollywoodienne, des centres universitaires d’excellence (Ivy League), des innovations technologiques ou l’alimentation du fast-food. Le concept de smart power exprime la volonté des États-Unis d’amener le reste du monde à partager leur point de vue, en recourant d’abord à la carotte et de manière secondaire au bâton » 2.
Stratégiquement, Obama entame un processus de rééquilibrage (rebalancing) de sa politique étrangère du Moyen-Orient vers l’Asie, mais aussi des anciennes puissances européennes vers les pays émergents et de l’unilatéralisme vers le multilatéralisme.
Lorsque Barack Obama prend ses fonctions à la Maison-Blanche en 2008, les relations interaméricaines sont encore marquées par l’attitude indifférente, mais paternaliste de l’administration Bush. Ce comportement de Washington pour la région a favorisé l’émergence de deux puissances régionales, le Brésil et le Venezuela, toutes deux prêtes à assumer un rôle de leadership au sein de l’échiquier régional. De plus, lentement mais sûrement, un processus d’intégration régionale prend enfin forme à travers la mise en place de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR).
En mai 2008, Barack Obama évoque pour la première fois l’Amérique latine lors de sa campagne électorale face à la Cuban American National Fondation, le lobby anticastriste. Il y présente les grandes lignes de sa politique étrangère pour la région latine.  Il propose le concept de nouveau partenariat (new partnership) et appelle à initier une nouvelle aire de relations entre les États-Unis et l’Amérique latine : « Nous ne pouvons pas traiter l’Amérique latine et les Caraïbes comme un partenaire mineur. Une alliance des Amériques sera un succès seulement si elle se base sur un respect mutuel ». La détente des relations américano-cubaines, la lutte contre le narcotrafic, la diminution de l’insécurité, le renforcement des échanges commerciaux et la signature d’un partenariat énergétique représentent les grandes lignes de force de sa politique étrangère.
Selon Abraham Lowenthal 3, quatre raisons permettent d’expliquer cette nouvelle stratégie. La première est liée à la présence de plus en plus massive de Latinos aux États-Unis. Une présence qui ne doit pas être simplement analysée en termes de flux migratoires, mais qui recouvre des aspects aussi divers que l’éducation bilingue, l’envoi d’argent, l’homologation des permis de conduire, la lutte contre le trafic de drogue, d’armes ou d’êtres humains. La seconde est due à la position commerciale stratégique de l’Amérique latine comme pays importateur des produits étasuniens. La troisième provient de l’acceptation par Obama de s’inscrire dans une logique de coopération avec l’Amérique latine pour régler des problèmes aussi cruciaux que la sécurité énergétique, les impacts de la pollution, la délinquance et le narcotrafic. La dernière raison concerne la consolidation d’un discours commun aux deux régions en faveur des droits de l’Homme.
Cette nouvelle orientation va également apparaître dans les discours d’Obama lors de ses visites officielles en Amérique latine en 2009, 2011 et 2012. Les chefs d’État latino-américains sont indubitablement séduits par cette approche résolument volontariste du locataire de la Maison-Blanche et espèrent que des relations saines pourront s’installer.

Un rendez-vous manqué

Néanmoins, Barack Obama peine à transformer ses déclarations en actes concrets et force est de constater que l’Amérique latine continue à naviguer sous le radar de la politique étrangère américaine. L’administration démocrate n’a en effet proposé aucun plan régional d’envergure, car la priorité en matière de politique extérieure est l’axe tripartite Moyen-Orient-Asie-Pacifique.
Bref, l’Amérique latine n’a pas vu la couleur du fameux rééquilibrage de la politique étrangère promis par Obama 4. Un exemple parmi d’autres : certains États latino-américains ont proposé récemment de légaliser la vente de marijuana pour mettre un terme à une situation chaotique qui a déjà fait de trop nombreuses victimes 5. Obama, dont le pays est la destination principale de ce commerce juteux, refuse d’appuyer cette proposition. Il en va de même avec le projet d’une nouvelle association en matière énergétique qui ne s’est jamais concrétisé. Au rang des initiatives à saluer : les facilités octroyées aux immigrés cubains pour voyager vers l’île et l’acceptation que La Havane réintègre l’Assemblée générale de l’Organisation des États américains moyennant l’approbation de sa charte démocratique. Mais globalement, sa politique étrangère vers l’Amérique latine a profondément manqué d’ambition.
Même s’il faut saluer la volonté des gouvernements latino-américains de prendre leur distance par rapport à un voisin souvent étouffant ; la pauvreté, l’insécurité et la violence qui gangrènent encore la région doivent trouver une solution globale incluant l’ensemble des États du continent, y compris les États-Unis. Sans cela, les progrès considérables en matière de démocratie engrangés ces 20 dernières années se verraient menacés. #

1. Zone de libre-échange
des Amériques ; en anglais : FTAA ; en espagnol et portugais : ALCA.
2. Sebastian Santander, « La politique étrangère d’Obama: la rupture dans la continuité », La Revue Nouvelle, Bruxelles, Janvier 2013, pp.78-85.
3. Spécialiste des relations interaméricaines, membre de la prestigieuse Brookings Institution. Cf. Abraham Lowenthal, « Obama y América latina : se podrá sostener el auspicio comienzo?», Nueva Sociedad, Buenos Aires, Juillet-Août 2009, n°22.
4. Pour preuve, les tergiversations de l’administration démocrate pour condamner le coup d’État au Honduras en 2009, suivi d’une crise conduisant à la mise à l’écart d’Arturo Valenzuela en tant qu’Assistant Secrétaire d’État pour l’Amérique latine sous la pression des élus républicains.
5. Jean-Paul Marthoz, « L’Amérique latine : un million de morts »,
http://blog.lesoir.be/lalibertesinonrien

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