Dans un contexte d’évolution du cadre réglementaire et alors que des oppositions aux projets se font entendre avec force de toute part (riverains, groupements de citoyens, parlementaires, etc.), il est utile de replacer la question du développement éolien dans son contexte global et de poser l’analyse en termes d’intérêt général. À l’heure de nombreux défis environnementaux et énergétiques, retour et questionnements sur un « dossier chaud » de l’actualité régionale wallonne 1.

L’indépendance énergétique et le défi climatique sont des enjeux incontournables des décennies à venir : à côté d’une indispensable réduction de la consommation énergétique, il faut développer dès aujourd’hui une autonomie par rapport aux énergies fossiles en voie d’épuisement, mais également par rapport aux sociétés multinationales qui sont largement propriétaires des moyens de production énergétique. Pour y parvenir, les pouvoirs publics ont le devoir de soutenir au maximum le développement et la gestion collective des ressources d’énergie locale et renouvelable, d’autant que la stratégie « Europe 2020 » de l’Union européenne prévoit notamment d’atteindre un objectif de 20 % de sources renouvelables d’ici 2020, ce qui s’est traduit par un objectif contraignant de 13 % pour la Belgique. Dans ce cadre, notre pays prévoit d’atteindre 20 % d’électricité renouvelable. Au niveau wallon, l’objectif est d’atteindre une production de 8 TWh d’électricité d’origine renouvelable, soit un peu plus de 25% de la consommation finale d’électricité estimée à cette date 2. Plus de la moitié de cet objectif a été assigné à l’éolien.
Dans ce cadre général, le gouvernement wallon s’est enfin accordé le 21 février dernier sur le nouveau cadre de référence (CDR) pour l’implantation des éoliennes, actualisant celui de 2002. Il a également adopté en première lecture une carte des zones de développement éolien. Par ailleurs, un décret éolien devrait en principe venir compléter cette législation. Le CDR définit les critères à respecter pour l’implantation des projets éoliens et doit servir de guide pour la période transitoire. Il y a lieu de saluer l’adoption de cet outil, car il apporte davantage de régulation dans un secteur qui a explosé ces dernières années : on est passé de 30 à 260 éoliennes sur le territoire entre 2006 et 2012. La cartographie, quant à elle, découpe l’ensemble du territoire en une série de lots contigus. Au sein de ceux-ci, les zones de développement favorables sont identifiées 3. Enfin, à chaque lot est associé un productible minimal, en vue d’aboutir à l’objectif total de 4,5 TWh d’ici 2020. Cette cartographie prépare la mise en place du cadre décrétal. Ce dernier, s’il parvient à voir le jour, devrait complètement changer la manière d’appréhender le développement éolien : en reconnaissant l’utilité publique du vent, et en plaçant les pouvoirs publics à la manœuvre, le décret devrait mettre fin à la règle actuelle du « premier arrivé, premier servi » et garantir un développement éolien à la hauteur de l’objectif fixé et respectueux de certains critères (respect du CDR, participation citoyenne et communale, etc.).
Cependant, tout n’est pas encore résolu et des questions restent en suspens. Deux d’entre elles sont cruciales. Premièrement, atteindre l’objectif que s’est fixé la Région wallonne nécessitera l’installation d’environ 80 nouvelles éoliennes chaque année d’ici 2020. La Wallonie compte aujourd’hui environ 260 machines et en comptera environ un millier demain, permettant d’alimenter en électricité 1,2 million de ménages ! Le cadre de référence permet-il d’apporter les balises suffisantes pour minimiser l’impact de ce développement sur les riverains et sur l’environnement ?
Deuxièmement, atteindre l’objectif établi demandera également un effort d’investissement très important de plus de 2 milliards d’euros. Cet effort, réparti sur une dizaine d’années, sera en partie supporté par la collectivité, notamment via le mécanisme des certificats verts 4. Il apportera des retombées importantes en termes d’emplois et de bénéfices issus de l’exploitation des éoliennes. Comment s’assurer que le coût soit le moins élevé possible pour le citoyen et que ce dernier bénéficie le plus possible du retour sur cet investissement ? Et comment garantir des retombées en termes d’emplois locaux et de qualité ?

L’impact sur les riverains et l’environnement

Les opposants aux projets éoliens mettent souvent en avant l’impact négatif des éoliennes sur le paysage ainsi que la menace qu’elles représentent pour la santé ou la biodiversité. Sans entrer dans un contre-argumentaire point par point 5, il est nécessaire d’analyser la question le plus objectivement possible.
Si l’impact des éoliennes en termes environnemental et de cadre de vie est peu élevé, il n’est pas totalement nul. Ainsi, des parcs mal placés peuvent effectivement entraîner des nuisances sonores ou visuelles importantes pour les habitants situés à proximité. Et il est vrai que les éoliennes peuvent s’insérer plus ou moins bien dans le paysage. Le nouveau CDR permet d’apporter une série de balises afin de minimiser ces impacts : il interdit par exemple l’implantation des éoliennes dans certaines zones du plan de secteur 6 (les zones d’habitat et les zones naturelles, par exemple). En termes de confort visuel, une distance minimale par rapport aux habitations a été insérée et fixée à 450 mètres. L’effet stroboscopique 7 – qui provoque une gêne visuelle, mais n’a pas d’effet sur la santé 8 – est désormais encadré et ne peut être supérieur à 30 heures par an et 30 minutes par jour. Des critères de co-visibilité et d’interdistance entre les parcs ont aussi été déterminés afin d’éviter l’encerclement des villages. La norme de bruit a été revue et fixée à 45 décibels (dBA) contre 40 dBA auparavant 9. En matière de protection des paysages, un principe de regroupement des parcs et des critères concernant leur composition ont été définis afin de renforcer l’homogénéité des parcs et les lignes de force du paysage. Enfin, les projets éoliens sont soumis à une étude d’incidence sur l’environnement qui doit permettre d’évaluer les impacts prévisibles de chaque projet en termes de bruit, de santé, de sécurité, de biodiversité et de paysage.
La définition des balises fixées par le CDR résulte notamment d’un travail mené par la « cellule éolienne », composée de représentants des administrations et cabinets concernés et qui a opéré des consultations de l’ensemble des parties prenantes aux projets. De plus, c’est l’identification des zones à bon potentiel venteux et n’étant soumises à aucune des contraintes du CDR qui a permis de déterminer l’objectif en termes de productible éolien à l’horizon 2020, et non l’inverse, ce qui aurait pu conduire à négliger la préservation de l’environnement et du cadre de vie. Bien sûr, malgré toutes les balises possibles, il restera toujours un impact visuel inhérent aux projets éoliens qui peut subjectivement constituer une gêne. Il apparaît néanmoins que ce cadre constitue un compromis acceptable entre la nécessité de protéger le cadre de vie des riverains, l’environnement et l’indispensable développement des énergies renouvelables.

Un moindre coût pour le citoyen ?

Bien que les coûts de production diminuent, le développement éolien coûte encore actuellement 1,6 million d’euros par MW installé. L’installation de 80 nouvelles éoliennes chaque année jusqu’en 2020 représente donc un investissement total de plus de 2 milliards d’euros. Rappelons qu’avec le mécanisme des certificats verts, les citoyens-consommateurs et les acteurs économiques contribuent déjà à ce développement. En 2011, le coût des certificats verts pour l’éolien s’est élevé ainsi à près de 60 millions d’euros 10. En plus de ce mécanisme, différents subsides et aides sont également octroyés pour soutenir l’éolien et notamment une aide à l’investissement pour les projets portés par les petites structures privées ou publiques et qui peut s’élever jusqu’à 25% de l’investissement total.
Si le coût du développement éolien est élevé, il faut cependant rappeler qu’une partie de notre parc de production devient obsolète et que son remplacement coûtera cher, quel que soit le vecteur énergétique privilégié. Et il est aujourd’hui indispensable de diversifier les sources de production d’énergie et de laisser une plus large place aux énergies renouvelables. En l’occurrence, le choix de stimuler le développement de l’éolien à hauteur des possibilités de notre territoire apparaît pertinent, car il s’agit d’une technologie mature qui dispose d’un bon rapport coût-efficacité relativement aux autres types d’énergie renouvelable.
Afin de garantir le financement des énergies renouvelables à un moindre coût pour les citoyens et d’assurer une juste répartition des efforts, plusieurs balises doivent être posées.
Il convient tout d’abord d’éviter que les mécanismes de soutien mis en place et financés par les consommateurs ne permettent une rentabilité trop élevée des projets, au risque de créer une nouvelle « rente », à l’instar de celle du nucléaire issue de l’amortissement accéléré des centrales. D’autant que dans la structure actuelle des investissements dans le secteur éolien, ces bénéfices aboutiraient une fois encore dans les mains du secteur privé. La réforme en cours du mécanisme des certificats verts devra donc veiller à fixer le niveau de soutien en fonction d’un taux de rendement raisonnable recherché et non plus en fonction d’une valeur absolue de production. Un taux de rendement de l’ordre de 2 à 3 % supérieur au taux d’épargne à moyen terme paraîtrait raisonnable vu le taux de l’épargne et le risque encouru.
L’effort demandé aux citoyens doit également être réparti de façon juste entre les différents groupes sociaux de consommateurs. Dans le contexte actuel de libre concurrence et en l’absence d’harmonisation fiscale au niveau européen, la Wallonie est contrainte d’intervenir pour limiter le coût de l’énergie pour les industries électro-intensives. Certains secteurs industriels ont ainsi pu bénéficier d’accords de branche et obtenir des réductions de contribution au mécanisme des certificats verts. À titre de comparaison, le surcoût payé par les consommateurs résidentiels en 2011 s’élevait à 2 centimes d’euros par KWh alors qu’il était de 0,4 centime d’euros pour l’industrie, soit 5 fois moins. S’il faut en effet veiller à préserver une activité industrielle en Wallonie, il convient cependant de rééquilibrer en partie le partage de l’effort entre les consommateurs résidentiels et industriels, trop largement défavorable aux premiers actuellement. Un rééquilibrage pourrait également intervenir entre les différentes catégories de consommateurs professionnels, en cohérence avec le coût de l’énergie supporté par ces différents secteurs dans les pays voisins. Enfin, une plus juste répartition des coûts doit également être envisagée entre les différentes catégories de ménages. C’est pourquoi l’instauration en cours en Wallonie d’une tarification progressive de l’électricité est importante : en réorganisant la structure tarifaire en vue de faire contribuer proportionnellement davantage les ménages plus aisés, cette mesure est de nature à initier une plus juste répartition de la facture électrique entre les différentes catégories sociales.

Et un retour maximal sur investissement ?

Le coût (via les certificats verts) sera d’autant moins élevé pour le citoyen qu’il pourra bénéficier des retombées financières sur les investissements réalisés. La participation communale et citoyenne aux projets, prévue par le nouveau CDR, peut y contribuer. Ce qui se joue en réalité avec l’ouverture à la participation citoyenne est la réappropriation d’une partie des moyens de production de l’électricité renouvelable par et au profit de la collectivité.
En effet, bien que les initiatives citoyennes en matière de production d’énergie renouvelable se multiplient, l’électricité d’origine éolienne reste actuellement très majoritairement dans les mains du secteur privé. Fin 2011, ce secteur détenait plus de 90 % du parc éolien. Les coopératives citoyennes en possédaient un peu plus de 4% et les communes environ 2%. Le nouveau cadre réglementaire offre ici des opportunités d’évolutions importantes. Il enjoint les développeurs d’ouvrir à la participation citoyenne et publique jusqu’à maximum 24,99% du capital pour les citoyens (via les coopératives à finalité sociale) et 24,99% pour les communes. Le nouveau décret devrait confirmer cette obligation.
En ce qui concerne la participation citoyenne, il est certain que l’ensemble des wallons ne va pas bénéficier d’un retour direct sur sa contribution via les certificats verts. Cependant, il convient de rappeler que le projet coopératif vise le bien commun et non l’enrichissement de quelques-uns. En outre, le projet coopératif est – ou en tout cas, doit tendre à être – accessible à chacun en termes de participation financière et de gestion de l’organisation. Une réflexion sur l’accessibilité financière des parts devra être menée, d’autant qu’à terme la participation à une coopérative permettra sans doute de bénéficier de baisses de prix et de lutter contre la précarité énergétique.
Cette opportunité offerte par la nouvelle législation constitue cependant un double défi qui concerne d’une part la structuration du mouvement coopératif et les aspects financiers et d’autre part, l’adhésion aux projets. En termes financiers, le CDR prévoit qu’un quart des nouvelles éoliennes à installer d’ici 2020 pourrait être détenu par les coopératives citoyennes. Sur l’ensemble de la période, cela représente un effort d’investissement colossal de près de 550 millions d’euros. Sachant qu’un quart des capitaux des projets doit être constitué de fonds propres, il est indispensable de disposer d’un instrument financier capable de porter les initiatives coopératives. Une réflexion en ce sens est menée en ce moment par différents acteurs publics et associatifs, dont le Moc et Rescoop, la Fédération des coopératives citoyennes.
La réappropriation collective de l’outil « électricité » reposera également sur la capacité de la société civile à se mobiliser. Dans ce cadre, il est essentiel que la structuration en cours du mouvement coopératif se fasse de manière exemplaire, et incarne dans la réalité les principes de ce type de projets (finalités, gestion démocratique, etc.). Dans le même ordre d’idées, les « coopératives » créées par des grands groupes privés ne s’intègrent pas dans le cadre du projet coopératif ébauché ci-dessus puisque les citoyens y sont privés de tout pouvoir décisionnel.
Dans le cadre du CDR, les acteurs publics ont également la possibilité de jouer un rôle dans la production éolienne et de dégager des moyens en vue de favoriser le développement économique et social local. C’est en particulier vrai pour les intercommunales qui gèrent les réseaux de distribution et qui pourraient articuler leur action avec celle des intercommunales de financement tout comme avec les sociétés régionales d’investissement. De plus, les communes pourraient mobiliser l’épargne de leurs citoyens en soutenant la création de coopératives de production d’électricité verte. Les intercommunales de financement ainsi que les sociétés régionales d’investissement pourraient compléter les capitaux amenés par les citoyens. Ceci permettrait de garantir des dividendes raisonnables et de mobiliser les éventuels bénéfices supplémentaires à la mise sur pied d’une politique de rénovation énergétique ciblée sur les ménages à faibles revenus.

Les retombées pour l’emploi

Les retombées socioéconomiques de l’éolien ne se limitent pas aux bénéfices issus de l’exploitation des machines, elles concernent également un possible développement de l’emploi wallon dans la filière. Le Cluster TWEED 11 a identifié plus de 80 entreprises présentes sur le territoire qui possèdent des savoir-faire intégrables dans le secteur de l’éolien. D’après le président du Cluster, Laurent Minguet, on y retrouve « des spécialistes de matériaux composites, d’électronique de puissance, de la maintenance ou encore de la mécanique de précision, à côté d’entreprises de logistique et de simulation/conception par ordinateur » 12. Les montants considérables qui seront investis dans l’éolien ces prochaines années constituent ainsi une opportunité de développer en Wallonie une réelle politique industrielle durable.
Pour conclure, il faut rappeler que le développement des énergies renouvelables en général et de l’éolien en particulier est au cœur du processus de transition énergétique vers une société faible en impact écologique. Si les objectifs européens, belges et wallons en matière de développement des énergies renouvelables vont dans le bon sens, les pouvoirs publics n’ont pas uniquement pour rôle de stimuler un investissement productif : ils doivent également assurer une transition juste. Celle-ci passe par la préservation du cadre de vie des riverains et de l’environnement, la répartition équitable des coûts du développement éolien et la garantie offerte à chacun, et notamment aux plus fragiles, de pouvoir bénéficier d’un retour sur les investissements collectifs réalisés.


1. Je remercie Sébastien Cassart, Philippe Cornélis et Thierry Demuysère pour leurs conseils et leur relecture attentive.
2. À titre de comparaison, on se situait en 2011 à un peu plus de 12%. « L’évolution du marché des certificats verts », rapport annuel spécifique 2011, CWAPE.
3. C’est-à-dire les zones qui disposent d’un bon potentiel venteux et qui sont libres des contraintes fixées dans le cadre de référence (distance par rapport à l’habitat, hors des zones de parc, des territoires protégés, des zones forestières, etc.).
4. Pour une description détaillée du mécanisme des certificats verts, voir « Énergie. Le point sur la réforme du soutien au photovoltaïque », Démocratie, n°5, mai 2013.
5. Ce qui a d’ailleurs été fait par l’APERE à la demande de la Région wallonne, « Éolien, Rumeurs et réalités », http://www.eolien.be/node/98.
6. Plans qui fixent l’affectation du sol.
7. Ombre intermittente qui peut être produite par le passage des pâles en rotation dans le champ du soleil.
8. Académie Nationale de médecine, France, 2006.
9. Cela se traduit par un niveau de bruit de 20 à 25 dBA à l’intérieur des habitations. Ce qui est nettement inférieur à la norme préconisée par l’OMS (fixée à 30 dBA).
10. D’après nos calculs, sur base du rapport annuel spécifique 2011 de la CWAPE : « L’évolution du marché des certificats verts », www.cwape.be.
11 Le Cluster TWEED (Technologie Wallonne Énergie - Environnement et Développement durable) est une organisation wallonne rassemblant plus d’une centaine d’entreprises actives dans le secteur de l’énergie durable, http://clusters.wallonie.be/tweed/fr/index.html.
12. Cité par AGORIA : http://www.agoria.be/s/p.exe/WService=WWW/webextra/prg/izContentWeb?SessionLID=2&vUserID=999999&vWebSessionID=70814&ENewsID=78829&TopicID=7834&TopicList=7834&ComingFromResultTopic=2153, consulté le 23 août 2012.