En marge du dernier Forum social mondial (FSM) qui s’est tenu à Tunis du 26 au 30 mars dernier, une délégation de la CSC et du MOC a pu rencontrer deux syndicats tunisiens (l’UGTT et la CGTT) afin de tenter d’appréhender leur structuration et leurs principaux champs de bataille dans le paysage tunisien post-révolutionnaire. Moins connue que l’Union Générale tunisienne du Travail (UGTT), nous avons décidé de mettre en lumière la Confédération Générale tunisienne du Travail (CGTT) en donnant la parole à son secrétaire général, Habib Guiza.

Comment décririez-vous la CGTT ?
Il faut tout d’abord savoir que la CGTT existe depuis 2006, mais n’était pas reconnue par le régime de Ben Ali. Nous sommes un syndicat de revendications, car nous défendons les droits sociaux des travailleurs, mais aussi un syndicat de propositions. À l’avenir, nous comptons par ailleurs développer un syndicalisme de services, comme cela se fait à la CSC. Puisque nous n’en sommes qu’à nos premières années d’existence, notre objectif, c’est de mobiliser autour de nos valeurs pour être représentatif. Selon nos dernières estimations, nous avons 50.000 adhérents dont 80 % ont moins de 40 ans et un bon niveau scolaire. Parmi nos membres, nous comptons 35 % de femmes. Nous ne sommes en outre pas peu fiers de leur forte présence dans notre comité directeur, puisque sur 41 membres, 15 sont des femmes. La CGTT est l’unique organisation syndicale où les femmes assument des responsabilités syndicales dans la direction. Par ailleurs, notre syndicat compte huit fédérations dans les domaines suivants : santé, banque, transport, fonction publique, office et sociétés nationales, métallurgie, services et professions diverses. Sur le plan politique, si la CGTT tient à son autonomie et à son rôle comme mouvement social faisant partie du contre-pouvoir, elle se considère proche du courant civil, moderniste et progressiste tunisien.

Quel rôle entend jouer la CGTT dans la « nouvelle » Tunisie ?
Pour comprendre le rôle que nous entendons jouer, il est important d’avoir quelques données à l’esprit : il y a un grave problème de « surdiplomation » dans notre pays : le chômage chez les jeunes est catastrophique et la situation ne s’améliore pas depuis la chute de Ben Ali. Le parti qui a remporté les premières élections démocratiques, Ennahda, a un programme très libéral sur le plan économique. Par ailleurs, le taux d’inflation est pour le moment de 10,8 %. Dans le domaine économique, on ne voit aucune évolution favorable, bien au contraire. Aujourd’hui, nous sommes en pleine crise économique, politique et sociale.
Nous essayons à notre échelle de contribuer à la réussite de la transition démocratique, car il n’y aura pas de pluralisme syndical sans démocratie. La refondation doit se faire sur base du pluralisme syndical. La CGTT propose un nouveau modèle syndical et voit en l’UGTT un partenaire pour autant que ce syndicat et certains de ses cadres parviennent à rompre avec certaines de leurs pratiques despotiques, héritage de la période où l’UGTT était le seul syndicat admis par le régime de Ben Ali.
Il faut bien comprendre que la révolution tunisienne a dépassé la question de l’identité culturelle, les demandes de la révolution concernent avant tout l’égalité sociale et la citoyenneté politique. Or, le pouvoir en place, la troïka, ne reconnait pas le pluralisme syndical. Entendons-nous bien : il y a bien une loi qui permet le pluralisme syndical, mais elle est bafouée quotidiennement de sorte que, dans les faits, ce pluralisme n’existe pas encore réellement. Malgré toutes ces embuches, nous sommes surs que nous allons gagner cette bataille et que la transition démocratique réussira, même si pour le moment, l’incertitude est totale. Tout n’est cependant pas négatif, car on a en Tunisie un acquis primordial depuis la révolution : nous sommes libres. Le peuple tunisien est libre et n’entend pas brader ses libertés retrouvées.
Je dois également préciser qu’après l’assassinat de Chokri Belaïd 1, la CGTT a proposé une feuille de route pour sortir de la crise politique actuelle.

En quoi consiste cette feuille de route ?
Je ne vais en reprendre que les éléments-clés. Nous proposons de fixer la date pour les prochaines élections à l’automne prochain 2. Il nous apparaît extrêmement crucial de déterminer clairement le rôle du gouvernement provisoire actuel jusqu’à ces prochaines élections. En outre, la prochaine constitution doit être finalisée au plus tard dans cinq mois et doit, en qui nous concerne, contenir les éléments suivants : la mention explicite du caractère civil de l’État, les droits humains doivent être reconnus comme universels, les droits des femmes et les droits syndicaux (et évidemment celui de la liberté syndicale) doivent obligatoirement y figurer également. Nos autorités politiques doivent en outre communiquer au plus vite (dans un mois, selon nous) le résultat des commissions d’enquête sur la violence (notamment sur l’assassinat de Chokri Belaïd) pour que toute la lumière soit enfin faite sur ces événements.

Quelles sont vos autres revendications ?
Pour la CGTT, il est très important de faire partie de la Confédération Syndicale Internationale (CSI). En tant qu’organisation syndicale, notre légitimité vient de nos membres, mais faire partie de la CSI, c’est nécessaire d’un point de vue national et international. On désirerait faire partie de ce grand mouvement syndical international pour pouvoir faire des échanges avec des organisations syndicales du monde entier. C’est un enrichissement qui fait partie intégrante de ce processus. Mais c’est aussi pour nous un soutien face aux violations de la liberté syndicale en Tunisie. D’ailleurs, notre demande d’affiliation date de 2008, à l’époque de Ben Ali parce que quand on a créé la CGTT en 2006, on a été harcelés et arrêtés. Et notre demande d’affiliation à la CSI visait à obtenir ce soutien international face aux atteintes à la liberté syndicale en Tunisie.

Selon vous, comment la situation politique va-t-elle évoluer à court terme en Tunisie ?
Tout d’abord, il est normal, selon moi, que dans un cadre de transition démocratique, les choses tergiversent un peu et qu’il y ait des phases de haut et de bas.
À vrai dire, nous espérons un compromis historique entre les différents partis politiques, la société civile et les syndicats pour parvenir à construire une nouvelle démocratie, la première du monde arabe. Mais ne soyons pas dupes : il nous faudra encore plusieurs années pour parvenir à être une véritable démocratie. Je pense que dans cinq ans, c’est possible. Il va de soi que le mouvement syndical tunisien a son rôle à jouer dans ce processus, notamment en militant en faveur d’un vrai pluralisme syndical.

Qu’attendez-vous du Forum social sondial de Tunis ?
Le Forum social mondial, c’est une occasion unique de faire connaître le mouvement social tunisien et ses combats et c’est également une manière de soutenir la transition démocratique. Je lance d’ailleurs un appel pour que le mouvement syndical du monde entier se solidarise avec nous et avec nos luttes et dénonce les atteintes du pouvoir à notre encontre. Pour terminer, nous estimons à la CGTT que le slogan du Forum social mondial (« un autre monde est possible ») est dépassé et qu’il faut aller plus loin et oser dire qu’« un autre monde est nécessaire » !