« La presse pour enfants ne va pas bien » alerte le journal des enfants. L’hebdo belge destiné aux enfants est né en 1992, huit ans après son grand frère français qui vient d’annoncer qu’il cessait de paraitre pour cause de recettes insuffisantes. La presse pour enfants ne va pas bien, celle pour adultes non plus. Baisse d’abonnements, certes. Mais aussi la décision du gouvernement en décembre dernier de mettre fin au système de concession postale accordée à Bpost, qui permettait aux journaux et périodiques d’avoir des tarifs postaux préférentiels. Cette suppression, malgré des aménagements décidés début d’année, va représenter un surcout, d’autant plus lourd sur les épaules des revues culturelles et associatives et des magazines indépendants.

« Ouvrir une école c’est fermer une prison », on connait la maxime. Fermer un journal, qui plus est quand il est destiné à la génération prochaine d’adultes, c’est freiner le débat d’idées et la réflexion, c’est empêcher le travail rigoureux de traitement de l’information, c’est donner un coup de pied à la curiosité. Fermer un journal dans un monde en crises et dans le tourbillon d’informations, c’est ouvrir la porte à quoi, et à qui ? À la veille des élections, il en faudrait des plumes et des pages sans d’autres intérêts que l’intérêt public pour alerter du danger qui pèse sur la presse libre, et donc sur la démocratie. #

irina gheorgita flickFranck Vandenbroucke veut interdire aux dentistes de facturer «des honoraires supérieurs aux tarifs qui servent de base au calcul de l’intervention de l’assurance obligatoire pour les bénéficiaires d’intervention majorée». La loi dont l’application est prévue dès janvier a fait grincer des dents la Chambre de médecine dentaire, qui a déposé une requête en annulation de cette loi auprès de la Cour constitutionnelle, au motif notamment que «la loi porte atteinte au libre exercice de la profession»; ou encore qu’elle «va augmenter la pénurie de praticiens surtout présente dans les régions à fortes concentrations en patients BIM». Certains dentistes non conventionnés n’ont pas attendu la décision de la Cour pour ne plus recevoir ces patient·es, surtout pour des soins d’orthodontie, comme le rapportait Le Soir fin novembre 2023. Peu importe leur âge et tant pis pour leur rage! On savait que des patient·es reportaient déjà leurs soins dentaires, trop couteux, déjà trop honteux. Ce triage–emblématique d’une médecine à deux vitesses–menace de creuser encore davantage les inégalités dentaires, que la loi entend pourtant enrayer. Il illustre aussi «la guerre sociale» qui se joue sur cet organe vital mais aussi devanture sociale que décrypte l’auteur Olivier Cyran dans un essai mordant qui éclaire toutes les injustices que subissent celles et ceux qui sont né·es sans dents (coucou François Hollande!)* cuillère d’or dans la bouche.#

*rire jaune

©Irina Gheorgita / Flickr cc

68073930 318adf8c04 zLe candidat d’extrême droite et ultra-libéral Javier Milei a largement remporté dimanche 19 novembre l’élection présidentielle en Argentine dans un contexte économique grave qui voit les revenus chuter et le travail informel (et précaire) augmenter. Milei, un président qui suggère de permettre aux enfants d’aller à l’école avec des armes; qui a nié les féminicides ; qui a annoncé son souhait d’interdire à nouveau l’avortement ; qui juge la justice sociale « aberrante ». Un drame pour la démocratie rétablie depuis 40 ans dans le pays. Une catastrophe pour les droits des femmes et des minorités, qui ont réussi par leur lutte acharnée à arracher des victoires comme celle du droit à l’avortement fin 2020. Et qui ont mené une campagne sans relâche ces derniers mois contre ce « danger de destruction collective », comme le décrit Veronica Gago, activiste argentine membre de Ni Una Menos. Ce slogan – «Pas une de moins » – que scandent depuis 2015 les femmes dans les rues d’Argentine et du monde entier pour lutter contre les violences faites aux femmes et les féminicides. Contre les dirigeants machistes, climatosceptique, suprémacistes qui considèrent que certaines vies valent plus que d’autres, nous crions aussi : «Pas un de plus ! ». #

Faire une pause. Locution signifiant «interrompre une activité pendant un temps et la reprendre plus tard». Faire un break au boulot. Classique. Faire une pause dans son couple. Potentiellement salvateur. Mais faire une pause semble carrément tendance en politique. Notre Premier ministre a sorti la solution de la «pause environnementale» de son chapeau. Comme si le cours de la destruction du monde allait suivre cette injonction. L’idée semble aussi convaincre l’UE qui a proposé de faire une pause dans la guerre Israël-Hamas. Une solution «pragmatique» pour acheminer de l’aide humanitaire auprès d’une population prise au piège des bombardeWhatsApp Image 2023 11 06 at 172322ments. «Pause! On ne tue pas tout le monde d’un coup. On les aide d’abord...» Quel sinistre sursis... Quel sens aussi de faire une pause dans une relation asymétrique où l’une des deux parties pratique l’apartheid, l’invisibilisation, la déshumanisation de l’autre? Si les responsables politiques choisissaient la voie du courage face aux grands enjeux de notre temps, les mouvements sociaux, ONG, citoyen·nes et populations civiles en proie aux conflits pourraient eux se mettre en pause. Mais non, ils se doivent d’exiger un cessez-le-feu pour que soient trouvées les conditions d’une paix juste et durable. Car si l’on ne veut pas d’une «paix des cimetières », pour reprendre les mots de Mona Chollet, il est urgent de stopper le massacre en cours et de reconnaitre l’existence, l’humanité et la liberté des Gazaouis. #

27823352601 99edbaf50b cLe rien existe-t-il? Cette question anime les penseurs depuis le début de la philosophie occidentale. Ça commence avec Parménide (env. 500 – env. 440 avant JC.). Penseur de l’Être par excellence, il interdit aux philosophes de se laisser entrainer sur la voie du non-être. Dans son Traité sur le non-étant et la nature, Gorgias (483 env.-374 env. av. J.-C.) lui répond que la discrimination fondatrice entre le «est» et le «n’est pas» n’est pas si facile à opérer. Depuis, les philosophes s’interrogent. Quelle est la nature du rien? Le rien est-il absent ou présent? Le rien a-t-il une raison d’être? Comment distinguer le rien du néant? Pas rien comme questions… Aujourd’hui, on peut même se demander si le rien a une valeur commerciale ou pas! En effet, si vous souhaitez surprendre un ami avec un cadeau unique, il vous est loisible à présent de lui offrir du rien. Ce sont de simples boules de plastique vides entre 0.50 € et 59 € (pour des produits totalement identiques) que l’on peut se procurer sur des sites de ventes en ligne. « Un cadeau parfait pour celui qui a déjà tout », selon les concepteurs du produit. Et oui, rien que ça ! Et puis «si quelqu’un commence à se plaindre, vous pouvez toujours lui dire que la vie est injuste et qu’on n’a pas toujours ce qu’on veut, mais qu’on a ce dont on a besoin» vous rassurent-ils. Dans le fond, cette histoire de riens nous montre une fois de plus que le capitalisme, lui, est capable de tout.#

L’actualité sociale estivale a été marquée par des grèves de pilotes de Ryanair basés en Belgique. Déterminés et nombreux, ils exigent une restauration des salaires, amputés de 17 % pendant le Covid. Ils s’insurgent aussi contre la décision unilatérale, et contre l’avis du Ministère du Travail, de changer les horaires de travail faisant passer les jours de récupération entre leurs périodes de travail de 4 à 3 jours.L’actualité sociale estivale a été marquée par des grèves de pilotes de Ryanair basés en Belgique. Déterminés et nombreux, ils exigent une restauration des salaires, amputés de 17 % pendant le Covid. Ils s’insurgent aussi contre la décision unilatérale, et contre l’avis du Ministère du Travail, de changer les horaires de travail faisant passer les jours de récupération entre leurs périodes de travail de 4 à 3 jours.« Les pilotes sont mobilisés et prêts à un combat long s’il le faut », ont-ils communiqué. Au point de faire trembler le colosse irlandais ? Pas sûr… Pour tenter de faire face aux grèves de ses employés, la compagnie aérienne low cost n’a pas perdu le Nord. Via des mails dont la fréquence vire au spam, elle invite ses clients à signer une pétition pour demander à la Commission européenne « d’exiger que tous les États de l’UE protègent les survols pendant les grèves des contrôleurs aériens ». On en rirait presque quand on voit des « passagers-clients » prendre la plume pour défendre les « bienfaits » sociaux de Ryanair dans un quotidien belge. Mais la palme revient quand même à Ryanair qui retourne les moyens d’action des mouvements sociaux contre eux-mêmes en opposant vicieusement des employés aux consommateurs, et par la même occasion s’attaque une fois de plus au droit de grève des travailleurs qui faut-il le rappeler, ne se croisent jamais les bras par plaisir.#

« Flemme ! », « Chill…» Ces expressions qui ponctuent le parler des jeunes en disent long sur leurs attentes. Dans ce numéro, une brève histoire du rapport au travail nous enseigne que l’interdiction du travail des enfants a été l’une des premières conquêtes pour réduire le temps de travail. Mais quand repenser le travail fait des pieds de nez aux droits conquis, cela se passe même dans certaines contrées développées. En Australie, le café « The Long Pantry » engage des enfants à partir de 11 ans pour faire la plonge, les confitures et servir les clients. Ils sont payés 37 % du salaire minimum sans perte de sourire. Au Canada, la tradition des jobines d’adolescent·es n’est pas neuve, mais la proportion de jeunes employé·es ne fait qu’augmenter et la catégorie des jeunes travailleur·ses s’est étendue à présent aux 11-14 ans. Le travail dans les champs est autorisé à partir de 12 ans… Et aux ÉtatsUnis ? Pas mieux. Là aussi, on déplore un détricotage des lois sur le travail des mineur·es dans certains États conservateurs. Troquer son habit de lycéenne pour devenir serveuse la nuit y est à présent considéré comme « adapté ». L’argument de la pénurie de main-d’œuvre sert à justifier la déréglementation du travail des enfants. En France, les jeunes sont de plus en plus nombreux·ses à ne pas pouvoir partir en vacances. Certain·es « profitent » de leur temps libre pour « offrir » leur service à l’une ou l’autre plateforme. La flemme n’est-elle que rhétorique ? Ou le droit à la flemme à géométrie variable ? Le post-capitalisme parviendra-t-il à enfanter une société du temps libéré pour toutes et tous ? Il le faut. #

© Rebecca Siegel / Flickr CC

« Pour dépasser le capitalisme, il faut se demander comment se construire un avenir désirable. Il faut réanimer le désir », a suggéré le sociologue français Christian Laval, spécialiste des
« communs », de passage à Bruxelles. Intéressante invitation, qui laisse aussi perplexe car… Comment jouir dans un monde injuste ? Une piste de réponse se trouve peut-être dans Le Balai Libéré, documentaire de Coline Grando qui revient sur une lutte menée dans les années 1970 par les femmes de ménage de l’Université Catholique de Louvain. Elles ont mis leur patron à la porte pour créer leur coopérative de nettoyage. Dans ce film, les souvenirs de la lutte victorieuse d’hier se heurtent à la dure réalité du système de sous-traitance à des entreprises adopté par l’UCL depuis trente ans. Et de ce dialogue surgissent chez les travailleur·ses des envies de se rassembler, recréer de la solidarité ; jaillit – au-delà des peurs – une aspiration collective à « faire autrement ». Le 22 mai, des milliers de personnes défilaient dans les rues de Bruxelles en front commun pour soutenir les travailleur·ses de Delhaize et dénoncer les attaques portées au droit de grève. Les regards se sont soudain tous tournés vers une immense bannière déployée du fronton du Palais de justice par des grimpeur·ses militant·es affichant « Profits partout, justice nulle part ». Au-delà de la prouesse, du risque, du message, leur geste n’est-il pas aussi puissant parce qu’il nous a donnés, l’espace de quelques minutes, la possibilité de relever la tête et même l’espoir qu’un jour désirable était en train de se lever ? 

Dans un an, les travailleurs et travailleuses de Delhaize risquent bien de perdre leur premier mai. Du moins, si le scénario du passage des magasins intégrés aux franchisés se confirme.
Mais aujourd’hui, comme à ses origines, c’est un vrai premier mai de lutte qu’ils vivent. Ils doivent faire face aux décisions iniques d’une justice porte-étendard des intérêts économiques. Le droit de propriété, de commercer librement et de travailler l’emporte à ses yeux sur celui de revendiquer. Après l’ubérisation de la société, c’est la « delhaizisation »
du monde du travail qui est en marche, tout autant à rebrousse-poil de l’Histoire. Dans cette affaire, c’est le droit de grève qu’on bâillonne et la voix des travailleur·ses qu’on étouffe. Mais soyez certain, « le temps viendra où notre silence sera plus puissant que les voix que vous étranglez aujourd’hui ! ». Cette phrase aurait pu être la réponse d’une Delhaizienne au juge interdisant les piquets de grève. Elle a été toutefois prononcée par August Spies, l’un des sept militants pendus après la manifestation de Chicago en faveur de la réduction du nombre d’heures de travail, du premier mai 1886. Leur histoire a donné naissance à cette journée de solidarité internationale et de combat pour les droits des travailleur·ses. Et de la solidarité, c’est aussi ce dont ont besoin les travailleurs et travailleuses en lutte pour renverser le cours de choses. Chez Delhaize et partout dans le monde. #

Peut-être avez-vous déjà croisé ce slogan. En plus d’être l’une des nombreuses punchlines (dont la plus célèbre encore « L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage ») compilées par l’auteur David Snug dans un croustillant ouvrage « La lutte pas très classe », elle résume aussi les racines historiques du 8 mars, journée internationale des droits des femmes. Car sa naissance est précisément située au croisement des luttes féministes et des luttes des travailleurs et des travailleuses. La première occurrence de cette idée remonte à 1910, lorsque Clara Zetkin, socialiste féministe allemande, propose à l’Internationale socialiste des femmes qu’elle préside alors de célébrer la première « Journée internationale des femmes ». Cette sorte de
1er mai féminin – qui a lieu
le 19 mars 1911– vise à défendre le droit de vote des femmes (qui était encore vu comme une revendication de « bourgeoises » à l’époque dans le mouvement ouvrier) le droit au travail et la fin des discriminations au travail. Pour le 8 mars, il faut se tourner vers Petrograd, en 1917, ce jour où des ouvrières se mettent en grève et descendent en masse dans la rue pour réclamer du pain et de la paix. C’est donc en souvenir de cette 1re manifestation de la Révolution russe que le 8 mars 1921 est décrété en Russie journée
« Journée internationale des femmes ». Maintenant que vous le savez, travailleurs, laverez-vous nos chaussettes pendant que nous lutterons pour une vie meilleure ? # #

 

Le Gavroche

Presse sous pression

« La presse pour enfants ne va pas bien » alerte le journal des enfants. L’hebdo belge… Lire la suite
Mai 2019

Tous les numéros

DEMO NOV 23