Depuis janvier dernier, la RTBF dispose d’une nouvelle feuille de route qui précise à la fois ses missions de service public et les moyens dont elle dispose pour les remplir. Ce contrat de gestion, couvrant les années 2013 à 2017, est le résultat d’un long processus de consultations publiques et d’âpres négociations politiques. Il renforce diverses obligations de la radio et de la télévision publiques francophones, tout en limitant leur dotation. Ce faisant, il ne répond pas à la lancinante question : comment garantir une offre audiovisuelle publique de qualité, à la fois attractive et libérée du diktat de la pub et de la concurrence ?
 
Le 22 décembre dernier, le site Consoloisirs qualifiait le nouveau contrat de gestion de la RTBF1 de « bien meilleur cru citoyen que prévu »2. Il est vrai que pour aboutir au texte adopté la veille par le conseil d’administration de l’entreprise publique autonome, un processus de négociations de plus d’un an avait été utile. Le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles avait auditionné des représentants du secteur audiovisuel, des médias et de la société civile, avant d’adopter ses recommandations en juin 2012. La ministre en charge de l’Audiovisuel, Fadila Laanan (PS), avait de son côté rédigé les éléments constitutifs pour le contrat de gestion. Les deux textes furent soumis à la RTBF chargée d’élaborer un avant-projet de contrat, qui intégrait bon nombre des recommandations parlementaires.
La négociation fut ensuite politique, et tendue. La RTBF réclamait en effet une augmentation de sa dotation publique de 8 millions d’euros annuels afin de faire face à l’index ou à l’évolution de la masse salariale. Mais le ministre du Budget, André Antoine (cdH), soucieux d’assurer le retour à l’équilibre budgétaire de la Fédération d’ici 2015, a refusé de combler ce déficit structurel. Tout juste a-t-il consenti un rabiot de 1,5 million d’euros en 2013 et autorisé à la RTBF un déficit de 6,5 millions à compenser, le cas échéant, par la vente de certains biens. Pour les années suivantes, le montant de la dotation (près de 210 millions d’euros en 2013) sera partiellement indexé puis bénéficiera dès 2015 d’une majoration de 2 % destinée à compenser l’augmentation de la masse salariale et des coûts de l’achat de droits, notamment sportifs. À ce régime, la RTBF devra consentir un nouveau plan d’économies portant sur ses frais de fonctionnement, ses investissements et sur l’emploi : seul un départ à la retraite sur trois sera compensé. On évite de justesse un plan social qui aurait entraîné des licenciements secs.

Placement de produit en sursis

Dans un tel contexte financier, la RTBF devra compter plus que jamais sur la publicité. Contre l’avis de nombreux observateurs, le plafond de recettes publicitaires (30 % maximum de ses revenus) n’a pas été revu à la baisse. C’est donc à la marge qu’on peut se réjouir de certaines balises limitant l’intrusion publicitaire, notamment dans ses nouvelles formes les plus insidieuses.
C’est l’interdiction du placement de produit dans les émissions de divertissement qui fit le plus grand bruit et le plus grincer les dents de l’administrateur général de la RTBF, Jean-Pol Philippot. Il se dit que le partenaire écolo l’obtint in extremis et moyennant une adaptation pour le moins originale : elle n’interviendra qu’en juillet prochain, histoire d’immuniser la deuxième saison de l’émission phare « The Voice » qui recourt largement à cette pratique. Dans les fictions, le placement de produit reste autorisé, mais moyennant un avertissement de cinq secondes, ce qui rencontre une des demandes du Conseil supérieur de l’Audiovisuel (CSA). Pour le surplus, les œuvres cinématographiques continueront à être interrompues par des tunnels publicitaires, mais jusqu’en 2015 seulement, si la situation budgétaire le permet. Et, plus hypothétique encore, en fonction de l’indexation des moyens, le maximum de publicité autorisé entre 19 h et 22 h sera ramené à 25 minutes. Enfin, La Trois est confirmée « sans publicité » tant en télé que dans ses prolongements sur d’autres supports.

Missions de service public précisées

S’il est trop tôt pour rêver d’une RTBF sans publicité, on peut se réjouir de certaines précisions de ses missions de service public. Contrairement à la version précédente, le nouveau contrat de gestion ne se contente pas d’énumérer des objectifs, mais les quantifie et précise qu’ils doivent être rencontrés de façon « transversale », dans l’ensemble de l’offre ertébéenne et sur tous ses supports. Il est par exemple précisé à l’article 27 que les missions en matière d’éducation permanente ne peuvent « être réservées sur La Trois ». De bon augure...
L’éducation permanente et l’éducation aux médias bénéficient d’ailleurs d’avancées encouragées par les recommandations du Parlement et les demandes du Conseil de la Jeunesse. Un « mensuel de société », diffusé au moins dix fois par an, se devra d’analyser et de décrypter les questions de société, à une heure de grande écoute. Dans le même ordre d’idées, les recommandations du Conseil supérieur de l’Éducation aux Médias ont été concrétisées par l’adoption d’un plan stratégique d’éducation aux médias dès 2014 et l’obligation de réaliser des programmes répondant aux objectifs d’éducation aux médias et à la consommation publicitaire. Une émission ciblant les adolescents est en cours de préparation avec le secteur associatif. Par ailleurs, une attention particulière à l’enseignement, souvent réclamée, a trouvé une réponse dans la mise en place d’un partenariat avec le secteur et la mise à disposition de contenus audiovisuels, notamment les précieuses archives de la RTBF, aux élèves et aux professeurs. Et tant qu’à parler de jeunesse, une distinction est enfin réalisée entre les « enfants » et les « adolescents » et des programmes qui ciblent chaque catégorie sont exigés. Cela devrait combler un déficit maintes fois pointé ces dernières années. En outre, la RTBF sera tenue d’être plus claire sur la façon dont elle comptabilise ses différentes missions dans son rapport annuel remis au CSA. On peut espérer qu’une émission comme « C’est du Belge » ne sera plus valorisée dans la rubrique « éducation permanente ».
En outre, les missions d’information de la RTBF sont précisées, par exemple en vue d’éviter le populisme et d’en expliquer les dangers. En réponse au CSA, le contrat de gestion réclame aussi une attention particulière aux images violentes. Et il prévoit que le JT sera retransmis en direct sur internet et disponible dans un délai d’une heure sur les plates-formes numériques. C’est là aussi une des nouveautés de ce contrat : il intègre la diversification des supports et le développement numérique. À la fois, il impose de modérer les forums, comme c’est la tendance sur les sites de presse écrite, et reconnaît la production de contenus écrits d’information sur le site de la RTBF. Ceci devrait calmer la polémique entre la RTBF et les éditeurs de journaux, puisqu’il est prévu que les recettes publicitaires émanant des contenus écrits sur internet seront versées à un fonds destiné à soutenir les médias d’information au-delà d’un montant de 600.000 euros annuels. Internet et les réseaux sociaux devront aussi renforcer les liens entre la RTBF et ses publics, de même qu’une émission télévisée mensuelle de médiation.  

Une course sans fin ?

Il y a donc des raisons de se réjouir d’un contrat de gestion plus précis, qui porte une attention aux publics malvoyants et malentendants ; qui oblige la RTBF à s’ouvrir, via des partenariats, à l’ensemble des secteurs culturels et associatifs, ouverture chère à sa présidente, Bernadette Wynants, et qui l’encourage à mettre en avant les talents et les professionnels de l’audiovisuel de la Fédération. Mais  nombre d’inquiétudes demeurent sans réponses.
Se pose d’abord la question de savoir comment, et avec quels moyens, les chaînes publiques rencontreront ces nouvelles contraintes. Reste aussi l’incertitude liée à leurs synergies avec les télévisions locales et l’indépendance des unes et des autres. Et l’on ne peut que s’interroger sur la création annoncée d’au moins cinq nouvelles chaînes de radio grâce au développement de la radio numérique (DAB+). Si elles sont censées mieux couvrir « la diversité des origines et des cultures de la population », objectif louable, on voit poindre l’ambition de toucher de nouveaux marchés publicitaires, plus locaux. Au-delà de la concurrence avec les radios à vocation locale, se pose la question de l’éternelle chasse aux rentrées publicitaires. On l’a dit, la dotation publique ne suffit pas à combler le déficit structurel ertébéen. Et l’étroitesse du marché francophone belge, très concurrentiel, limite les sources de financement. Mais est-il est opportun que la RTBF continue à diversifier son offre pour augmenter ses recettes publicitaires, au risque de diluer ses missions de service public dans des produits toujours plus commerciaux ? En somme, la RTBF ne gagnerait-elle pas à concentrer ses moyens sur ses missions spécifiques et cesser l’épuisant jeu de la concurrence ?
Notes :
 
1. www.csa.be/documents/1703
2. www.consoloisirs.be/textes/121222contratgestionrtbf.html

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