Le système américain de couverture et d’offre de soins est le plus coûteux parmi les pays membres de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) pour lesquels nous disposons de données relatives à la santé. Les dépenses totales de santé s’élèvent à 16% du PIB, alors que la moyenne de l’OCDE tourne autour de 9%. Malgré ce niveau de dépenses élevé, les indicateurs de santé comme l’espérance de vie et le décès des prématurés sont relativement faibles comparés aux autres pays de l’OCDE. Si on prend par exemple l’espérance de vie, les États-Unis se classent 25ème avec une moyenne de 78 ans (voir graphique en page 2).
L’absence d’un système public de couverture des soins de santé accessible à tous les résidents y est pour beaucoup. Près de 60 % des Américains sont assurés via leur employeur. Certaines catégories sociales sont prises en charge via les programmes nationaux spécifiques: Medicare (pour les 65 ans et plus ainsi que les personnes gravement handicapées) et Medicaid (pour les personnes appartenant à certaines catégories sociales et en situation de pauvreté). Le reste de la population, près de 45 millions d’Américains (15,4% de la population), n’a pas d’assurance soins de santé. Outre l’absence de couverture universelle, un autre élément expliquant les faibles résultats observés en matière de santé est le manque de régulation du marché. Les assureurs et les prestataires de soins ont en effet peu de contraintes en matière respectivement de couverture des assurés et de rapport qualité/prix des soins prodigués.
La réforme de santé: ce qui va changer
Le 23 mars 2010, le président Barack Obama signe la première loi concernant la réforme de santé: the Patient Protection and Affordable Care Act. Celle-ci est amendée par une loi de réconciliation budgétaire (the Health Care and Education Reconciliation Act), signée par le président le 30 mars 2010. La loi ne sera pas appliquée dans son ensemble directement. Une partie est déjà entrée en vigueur, tandis que d’autres changements seront d’application à partir de 2014.
La réforme de santé a pour objectif principal de rendre le système de couverture des soins de santé financièrement plus accessible pour le patient. En échange, celui-ci se verra davantage responsabilisé (il sera, dans certains cas, sanctionné financièrement s’il ne se couvre pas pour ses soins de santé). Les principales mesures allant dans ce sens sont les suivantes:
• Augmentation du niveau de revenu (à 133 % du seuil de pauvreté – voir encadré ci-dessous) en dessous duquel certaines catégories de patients ont accès à Medicaid;
• Soutien financier aux États qui élargissent les catégories sociales à bas revenus pouvant bénéficier de Medicaid;
• Soutien financier aux bénéficiaires de Medicare ayant des dépenses importantes pour les médicaments (dépassant le ‘Donut Hole’): octroi d’une allocation et meilleur remboursement;
• Pour les personnes plus vulnérables non éligibles à Medicaid, octroi de crédits d’impôts pour se procurer une police d’assurance et plafonnement de leur contribution à la prime d’assurance. Elles pourront s’en procurer une dans un marché de type «Health Insurance Exchanges»: un nouveau type de marché d’assurances (impliquant les compagnies d’assurances) organisé par chaque État, transparent et compétitif, où les patients pourront acheter des polices d’assurances abordables et de qualité;
• Obligation d’assurance pour les personnes ayant les moyens sous peine d’amende. Concernant les compagnies d’assurances privées, la réforme se veut davantage régulatrice de leur activité, essentiellement dans l’accès à l’assurance et les services à couvrir. Les mesures principales sont les suivantes:
• Interdiction pour les compagnies d’assurances de faire de la sélection des risques, c.-à-d. de refuser d’offrir ou renouveler une couverture pour cause de conditions préexistantes;
• Soutien financier aux États qui introduisent des mesures visant à exiger des compagnies de justifier leurs augmentations de prime. Les compagnies proposant des primes à prix excessifs ou injustifiés pourront être sanctionnées;
• Obligations à respecter dans le choix des services à couvrir, notamment: obligation de prise en charge de certains services préventifs (mammographie, colonoscopie, etc.), interdiction de plafonner les interventions pour les services de base comme les séjours hospitaliers, interdiction d’imposer un montant limite annuel de remboursement, obligation (dans le cadre des marchés de type «Health Insurance Exchanges») de proposer des contrats d’assurance impliquant un panier de prestations standards couvrant un pourcentage donné des coûts des soins considérés;
• Obligation d’investissement (80% à 85% des primes collectées) dans de nouveaux services.
Le troisième volet pour la couverture des soins concerne les employeurs. Il les soutient financièrement dans l’assurance de leurs employés et dans certains cas les oblige à leur offrir une couverture. Les éléments principaux sont les suivants:
• Octroi de crédits d’impôts aux petites entreprises de moins de 25 salariés si elles interviennent dans la cotisation d’assurance de leurs salariés;
• Soutien financier aux entreprises offrant une couverture à leurs préretraités de 55 à 65 ans afin d’assurer la continuité en matière d’assurance jusqu’à ce que ces personnes puissent bénéficier de Medicare;
• Obligation pour les entreprises de 50 salariés ou plus d’offrir une couverture santé abordable, et pour les entreprises de 200 salariés ou plus d’inscrire leurs nouveaux employés aux contrats d’assurances auxquels elles souscrivent déjà.
La réforme de santé reprend également, dans une moindre mesure, toute une série de propositions visant à renforcer l’offre de soins (essentiellement de première ligne, pour les personnes âgées et à domicile), à la rendre plus efficiente (en termes de rapport qualité-prix, via notamment le système du «payement à la pathologie» dans les hôpitaux) et à tendre vers davantage de coordination entre les prestataires de soins (pour par exemple éviter des réadmissions inutiles des bénéficiaires de Medicare à l’hôpital).
Selon les prévisions du CBO (Congressional Budget Office), la réforme devrait permettre de couvrir près de 32 millions de nouveaux patients d’ici 2019. Elle devrait également coûter 938 milliards de dollars (sur une période de 10 ans). Ces coûts seront financés par des mesures d’économies ainsi que par de nouvelles sources de financement. De par celles-ci, le CBO (Congressional Budget Office) estime que, sur la période 2010-2019, la nouvelle réforme de santé devrait aider à réduire la dette de l’État de 143 milliards de dollars.
Éléments de réflexion
• La qualité du système de santé nord-américain, mythe ou réalité?
Malgré les avancées sociales et les économies que permet la réforme, celle-ci n’a pas été bien accueillie et ce n’est qu’avec beaucoup de concessions qu’elle a finalement été votée. Comment expliquer ce phénomène?
Un premier élément explicatif est culturel: l’Américain moyen entretient une grande méfiance envers les systèmes publics et l’interventionnisme de l’État. Les habitants du Nouveau Monde associent instinctivement le socialisme au modèle soviétique, à la contrainte liberticide, aux longues files d’attente, à la pénurie, à l’incompétence crasse, à la misère. Le credo des défenseurs des principes de marché dans le système de soins tient en quelques lignes: les systèmes publics sont corrompus, dispendieux et inefficients. Pour faire baisser le coût des soins et optimiser leur qualité, il suffit de libérer les forces du marché.
Un deuxième élément, qui renforce la logique du premier, est le mythe, mis en évidence par différentes études, selon lequel tous les citoyens ont accès à la meilleure qualité des soins s’ils en ont réellement besoin. Ce qui pose problème n’est pas tant la qualité des soins que leur accessibilité: seuls les mieux assurés y ont accès…
• Quid de la logique de marché?
La nouvelle réforme de santé constitue certes un progrès dans l’accessibilité aux services de santé, mais ne remet pas fondamentalement en question la logique libérale sous-tendant le système de santé. On est encore loin d’un système public de couverture des soins de santé accessible à tous tel qu’on le connait dans la plupart de nos pays européens; ce malgré la tentative du président d’instaurer un système public de couverture en parallèle aux assurances privées.
Le système à deux vitesses, avec d’un côté les assurés aux programmes nationaux (Medicaid, Medicare) et les personnes partiellement couvertes, et de l’autre les personnes bénéficiant d’une couverture généreuse n’est pas fondamentalement remis en question par la réforme. On observe par exemple actuellement qu’à côté des personnes non assurées, beaucoup de praticiens incluent à leur «liste noire» les sujets couverts par les systèmes sociaux comme Medicare ou Medicaid, au motif que les remboursements sont trop peu élevés.
Si l’on s’attache plus particulièrement à la question de l’accessibilité du marché de l’assurance, l’augmentation significative attendue du nombre de nouveaux assurés ne dit rien sur la qualité de l’assurance dont ces nouveaux assurés bénéficieront. En effet, malgré les aides financières pour les plus vulnérables et les limites imposées aux assureurs en termes du contenu des polices d’assurances, la réalité risque d’être la suivante : les personnes socio économiquement moins favorisées (qui statistiquement ont un risque de mauvaise santé plus important) devront se contenter de polices d’assurances moins chères et donc moins intéressantes en termes de couverture (par exemple, couvrant 60 % des frais de santé plutôt que 90%).
• Quid du conflit d’intérêts entre la logique de marché et la qualité des soins?
La réforme de santé est principalement centrée sur la question de l’accès à une couverture soins de santé et sur la régulation de l’activité des assureurs privés. Elle traite, dans une moindre mesure, la question de la régulation de l’offre et de la qualité des soins (entre autres via le développement du financement à la pathologie et la publication d’indicateurs de taux de réussite pour différentes interventions dans le cadre par exemple des hôpitaux).
Dans la mesure où la logique de marché n’est pas fondamentalement remise en question, il n’est pas certain que soient résolues les complications pouvant survenir lorsque la politique de gestion des soins entre en conflit avec les besoins spécifiques d’un patient. Il reste dans l’intérêt des assureurs que leurs clients soient en bonne santé ou guérissent au plus vite, et consomment le moins de soins possible (lire l’encadré ci-dessous). Un autre exemple de conflit d’intérêts potentiel est lié aux pratiques de contractualisation entre les assureurs et les prestataires de soins. Par exemple, lorsqu’un patient hospitalisé doit être transféré dans un autre hôpital pour y subir une intervention spécifique, trouver un hôpital compétent en contrat avec l’assureur du patient et avoir l’accord de l’assureur peuvent faire perdre de précieuses heures dans le cas d’une intervention urgente.
Un troisième exemple de conflit d’intérêts est lié à la politique hospitalière en matière d’offre de soins. Pour diminuer leurs coûts, les hôpitaux ont tendance à recruter de plus en plus d’infirmiers polyvalents à la place de médecins. Dans la même logique, les infirmiers de base sont souvent remplacés par du personnel non qualifié. Si on prend l’exemple de Caroline (voir encadré 2), celle-ci n’eut, lors de ses différentes visites aux urgences ayant suivi sont hospitalisation, aucun contact avec un gynécologue ni une sage-femme.
• Des inégalités en termes d’accessibilité et de couverture entre États plus importantes?
Déjà avant la réforme, les États avaient une relative marge de manœuvre dans la définition et l’organisation des couvertures Medicaid et Medicare, ce qui, comme nous l’avons vu précédemment, induit des inégalités d’accès et de couverture entre États. La réforme de santé octroie un rôle important aux États dans sa mise en œuvre, notamment quant à l’élargissement de Medicaid à de nouvelles catégories sociales, dans l’organisation des marchés d’assurances pour les particuliers et les entreprises, quant aux limites à imposer aux compagnies en termes de prix maximum des polices d’assurances, etc. On peut dès lors penser que le succès de la réforme sera très différent d’un État à l’autre et que les inégalités en termes d’accessibilité risquent de s’accroître.
• Quels sont les potentiels obstacles à la mise en place de la réforme?
L’obstacle principal à l’exécution de la loi est davantage d’ordre politique que légal. Le 2 novembre 2010, ont eu lieu les Midterm elections (élections ayant lieu à la moitié du mandat présidentiel) au cours desquelles le Congrès (la Chambre des Représentants et le Sénat) a été renouvelé. Dans la mesure où les Démocrates ont perdu leur majorité à la Chambre (239 sièges pour les Républicains contre 185 pour les Démocrates) et gardent seulement une courte majorité au Sénat (51 sièges contre 47 pour les Républicains), l’exécution de la loi risque fort d’être freinée par les Républicains.
Le 2 novembre 2010, ont également eu lieu les élections des gouverneurs dans certains États. La part des gouverneurs républicains ayant fort augmenté et les États ayant un rôle important à jouer dans l’exécution de la loi, ceci peut également avoir pour conséquence de ralentir voire bloquer le processus de réforme.
Les élections présidentielles de novembre 2012 constituent un troisième rendez-vous politique pouvant freiner le processus de réforme. Si le président Obama n’est pas réélu pour un second mandat, les États-Unis pourraient se retrouver avec un nouveau président indifférent, voire hostile à la loi.
Outre les obstacles liés à la réalité politique, le processus de réforme ne peut aboutir sans les acteurs concernés eux-mêmes, à savoir les patients, les assureurs privés et les employeurs. Si ceux-ci ne saisissent pas les enjeux et/ou ont de fortes réticences à se fondre dans le nouveau système, même les États les plus enclins à faire appliquer la réforme risquent d’avoir du mal dans le déroulement du processus.
Conclusion
Symboliquement, la réforme de santé est une étape importante pour les États-Unis. En effet, ces dernières décennies, beaucoup se sont cassé les dents sur l’épineuse question de la réforme du système de couverture et d’offre de soins. On se souvient du président Bill Clinton qui, avec sa proposition de Health Security Act durant la période 1992-1994, a tenté d’instaurer un système public de couverture des soins de santé universel. Même si la réforme de santé votée en mars 2010 va moins loin qu’initialement prévu (l’idée d’un système public de couverture a été abandonnée), le président Obama a le mérite d’avoir réussi à faire passer sa réforme. Nous pouvons espérer qu’elle servira de tremplin vers d’autres réformes allant dans le sens d’une plus grande démocratisation de l’accessibilité à des soins de qualité.
Les chantiers laissés ouverts par la nouvelle réforme sont importants. Les deux principaux sont les suivants:
• le système de santé à deux vitesses n’est pas fondamentalement remis en question. Dans la mesure où la création d’un système public de couverture des soins de santé n’est pas à l’ordre du jour, l’accessibilité aux programmes nationaux de santé (Medicaid et Medicare) doit être renforcée, ainsi que la qualité et l’accessibilité des soins auxquels ils donnent droit;
• des tensions subsistent entre la politique de gestion des soins et les besoins spécifiques du patient. De ce point de vue, les mesures prises pour mieux réguler l’offre de soins sont un premier pas, mais doivent être renforcées.
Il ressort au travers des deux enjeux susmentionnés que le réel problème est la logique de profit qui sous-tend l’organisation du système de santé. Selon nous, tant que celle-ci ne sera pas fondamentalement remise en question, les réformes de santé qui seront prises ne pourront durablement solutionner les grandes inégalités observées en matière d’accessibilité aux soins de santé.
Bibliographie
• Bourgueil Y. et al. 2002. La régulation des professions de santé - études monographiques. Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES).
• Cohu S., Lequet-Slama D. 2007. Le système d’assurance santé aux États-Unis – Un système fragmenté et concurrentiel. Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). Etudes et résultats. N. 600.
• DeNavas-Walt C. et al. 2009. Income, Poverty, and Health Insurance Coverage in the United States: 2008. US Census Bureau. • Desmurget M. 2008. Santé: paye ou crève in Mad in USA – Les ravages du « modèle américain. Max Milo l’Inconnu International. Pp. 210-251.
• Galvis-Narinos F., Montélimard A. 2009. Le système de santé des États-Unis. Pratiques et organisation des soins (CNAMTS). Vol. 40. N. 4.
• Gillis O. 2010. La Réforme du système de couverture et d’organisation des soins aux États-Unis d’Amérique: vers une meilleure accessibilité à des soins de qualité? MC-Informations 242: 33-43.
• Sauvlat C., Sommeiller E. 2009. États-Unis : l’assurance maladie nationale verra-t-elle enfin le jour? Chronique internationale de l’IRES. N. 120.
• Sauvlat C., Sommeiller E. 2010. États-Unis: une réforme de santé en demi-teinte. Chronique internationale de l’IRES. N. 124.
Lien vers le document reprenant la Réforme de manière exhaustive:
• http://docs.house.gov/energycommerce/ppacacon.pdf
• http://healthinsurance.about.com/
• http://www.healthcare.gov/