Nous proposons ici de placer une loupe sur la nouvelle procédure d’élaboration du budget des soins de santé. Nous verrons qu’elle a sensiblement augmenté les compétences du Comité de l’assurance et qu’elle a été scrupuleusement suivie par les acteurs. Son application constitue donc une première, mais également une réussite car, en peu de temps, un accord s’est dégagé autour d’une proposition qui respecte la norme de croissance réelle des dépenses publiques de santé, mais qui réserve également une place aux nouvelles initiatives et se traduit par une position courageuse dans la proposition de mesures d’économies.


Toutefois, la procédure n’exclut pas les compétences de l’instance supérieure, le Conseil général, où les ministres des affaires sociales ont pris l’habitude d’imposer leurs vues et leurs choix. Des interventions qui peuvent être d’autant plus frustrantes que le travail fourni a été minutieux et que la motivation de ceux qui s’en sont acquittés a été nourrie de convictions profondes.
Jusqu’à l’année dernière, le Comité de l’assurance devait faire une proposition de budget global en tenant compte des besoins exprimés par les différents acteurs, mais aussi, dans la mesure du possible, en prenant en considération l’estimation des dépenses futures et la norme de croissance (1) imposée au secteur. Cette proposition était avalisée ou modifiée par le Conseil général, dont les membres prenaient connaissance des volontés du ministre. Il incombait alors au Comité de l’assurance de répartir le montant global entre les différents secteurs de soins. Depuis cette année, la procédure est fondamentalement modifiée (2). Elle prévoit en effet que le Comité de l’assurance propose un budget global qui respecte la norme de croissance réelle et, qu’en outre, il fixe les budgets partiels de chaque secteur. Pour chacun de ces secteurs, l’objectif budgétaire octroyé est comparé aux calculs techniques qui représentent une estimation des dépenses à législation constante, afin de déterminer si le secteur en question peut bénéficier de nouvelles initiatives ou si, au contraire, il doit s’efforcer de réaliser des mesures d’économie. En effet, si le secteur bénéficie d’un budget supérieur à l’évaluation des dépenses auxquelles on peut s’attendre en absence de toute modification de la réglementation qui le concerne, il est possible de prévoir des améliorations qui s’accompagneront d’une hausse des dépenses à concurrence de cette différence positive. Il n’est d’ailleurs pas exclu que, pour un secteur, des économies soient requises pour financer l’ensemble ou une partie des nouvelles initiatives décidées. En d’autres termes, toute différence négative entre le budget partiel et les calculs techniques exige de prendre des mesures d’économie et toute différence positive permet la prise de mesures qui améliorent la couverture des soins dans le secteur concerné. Si ces règles sont respectées pour chacun des secteurs, la possibilité d’un dépassement budgétaire est totalement exclue. Il est évident que le respect du budget dépend de la validité des calculs techniques et de la précision avec laquelle les effets des économies et des nouvelles initiatives ont été calculés. Parallèlement à cette nouvelle procédure budgétaire, le même arrêté royal prévoit une modification de la transmission des données entre les organismes assureurs et l’Inami. Il s’agira de fournir à l’Inami des données susceptibles de permettre une meilleure évaluation de la consommation de soins (telles que l’âge ou le sexe), mais aussi de raccourcir les délais de livraison, afin que la méthode d’élaboration des calculs techniques soit d’autant plus robuste. Enfin, la modification légale touche également le suivi de l’adéquation entre les budgets et les dépenses. C’est ainsi qu’un audit permanent est instauré au sein de la commission de contrôle budgétaire, afin de réagir plus rapidement par la prise de mesures d’économie lors du constat d’un risque de dépassement budgétaire.

Respect de la norme
La proposition de budget 2006 qui émanait du Comité de l’assurance était totalement conforme à l’application de la norme légale de 4,5 % (3). Cette norme s’applique au budget de l’année précédente, épuré de facteurs dits « exogènes » qui n’entrent pas dans la base de calcul en raison de leur caractère unique. Il s’agit en effet de sommes affectées au budget des soins de santé, mais dont le montant n’est pas récurrent ou dont l’affectation n’est pas assurée chaque année (4). On obtient ainsi un montant de 18,4 millions d’euros qui correspond à une hausse nominale (c’est-à-dire inflation comprise) de 5,9 % par rapport au budget 2005 (voir Tableau 1).

En comparant le budget que nous appellerons « normé » aux calculs techniques, on peut déduire la marge de manœuvre globale dont l’ensemble des secteurs dispose. Cette marge s’élève à 92,623 millions d’euros. Les membres du Comité de l’assurance ont également proposé une série de mesures d’économie (72,101 millions d’euros) afin de dégager une marge supplémentaire (voir Tableau 2).
Comme le prévoit le nouvel arrêté royal, le Comité de l’assurance ne pouvait se contenter de proposer des budgets partiels (ou sectoriels) sans expliciter la manière de financer d’éventuelles nouvelles initiatives ou de réaliser d’éventuelles mesures d’économie. En effet, comme nous l’avons déjà souligné plus haut, toute différence entre les budgets partiels et les calculs techniques par secteur doit être justifiée par des nouvelles initiatives si elle est positive et par des mesures d’économie si elle est négative.

1. Les sources d’économie
Le Comité de l’assurance a proposé de réaliser 72 millions d’euros d’économie dans les secteurs de la biologie clinique (10,6), du médicament (57,8) et de la dialyse (3,7). Dans le secteur des médicaments, les économies prévues concernaient notamment la prescription de molécules moins coûteuses pour l’assurance maladie et le patient (les médicaments génériques) et le respect des indications qui sont prévues lors de l’acceptation du remboursement d’un médicament.


2. Les secteurs dans lesquels on décide d’investir
Les marges et les mesures d’économie pouvaient alors être affectées à des secteurs de soins pour lesquels la majorité des membres du Comité de l’assurance reconnaissaient des besoins non couverts et prioritaires. Plusieurs secteurs étaient ainsi concernés à des degrés divers : les honoraires médicaux où la première ligne aurait été revalorisée, un effort aurait également été fourni pour les soins dentaires, l’alimentation spécifique pour des maladies particulières, les soins infirmiers, les soins de kinésithérapie, les implants, l’hôpital de jour, les maisons de repos, la rééducation fonctionnelle et la logopédie. En outre, un budget avait été dégagé pour intégrer, dès le 1er janvier 2006, le système de maximum à facturer fiscal dans le système géré par les mutualités (le maximum à facturer « social » et « revenus»), ce qui aurait permis à chaque affilié d’être remboursé de ses participations personnelles au-delà d’un certain plafond au cours de l’année où les dépenses ont lieu, et de ne plus attendre l’enrôlement de ses revenus, deux années après que les dépenses ont été effectuées. Enfin, des efforts avaient également été consentis en faveur de l’accessibilité pour les chômeurs de longue durée de moins de cinquante ans et les travailleurs indépendants. Toutes ces mesures ne constituaient que des propositions, mêmes justifiées, abouties et faisant l’objet de calculs et délibérations, rien ne permettait de penser que le gouvernement avaliserait le tout sans restriction.


Couperet du gouvernement
Le lundi 10 octobre 2005, les membres du Conseil général étaient convoqués pour apprendre ce que le ministre pensait de la proposition des mutualités et des prestataires de soins. Le montant global du budget avait été modifié ainsi que son affectation. En outre, le Conseil des ministres du 11 octobre allait une nouvelle fois modifier la proposition initiale en apportant une série d’améliorations en faveur des travailleurs indépendants.

Le gouvernement reconnaît la qualité du travail mené par les membres du Comité de l’assurance et confirme le montant global qui respecte la norme de croissance des dépenses de santé. Cependant, il souhaite intégrer le maximum à facturer fiscal dans le maximum à facturer social pour les participations personnelles payées depuis le 1er janvier 2005. Des mesures seront prises pour favoriser une utilisation plus rationnelle des moyens consacrés aux patients chroniques, aux systèmes de maximum à facturer et à l’octroi du régime préférentiel. Il reporte la décision concernant les avantages aux travailleurs indépendants. Il nuance les mesures prises dans le secteur des médicaments et dans le secteur hospitalier. S’il fait sienne la volonté de supprimer les suppléments de chambre dans les chambres à deux lits, il s’oppose à une revalorisation des forfaits versés dans le cadre de l’hospitalisation de jour, mais admet certains besoins dans le cadre de l’hospitalisation classique.
Dans le secteur des médicaments, le gouvernement décide de revoir à la baisse le rapport des mesures d’économie proposée par le Comité de l’assurance (21,7 millions au lieu de 57,8). Il instaure un système de réserve à constituer par les firmes pharmaceutiques en remplacement du système dit de clawback (5). Cette réserve devrait s’élever à 79 millions d’euros à la date du 15 septembre 2006 et atteindre 100 millions un an plus tard. Ce fonds de réserve permettra de compenser tout dépassement budgétaire dans le secteur des médicaments. La volonté du ministre d’assurer un équilibre se matérialise également par la constitution d’une réserve de 80,368 millions d’euros au sein de l’objectif budgétaire. Cette réserve ne servira pas à remplacer des mesures d’économie, mais simplement à compenser des éventuels dépassements, de manière temporaire, en attendant que les mesures prises dans le cadre de l’audit permanent sortent leurs effets.
Il nous semble possible d’interpréter cette réserve et l’usage qui en est fait comme une réduction de la norme légale. En effet, le budget disponible ne s’élève pas à 18 427 089 000 euros mais bien à 18 347 089 000 euros, ce qui correspond à une hausse de 5,5 % en termes nominaux et de 3,3 % en termes réels si l’on déduit la hausse du niveau général des prix, estimée à 2,2 % dans le cadre de la procédure budgétaire. Le ministre a également décidé que les cotisations réclamées au secteur pharmaceutique devraient être modulées en fonction des efforts de recherche et développement fournis dans le but de développer des molécules innovantes, une mesure qui devrait aboutir à une réduction globale de ces cotisations (6).
En ce qui concerne les honoraires des médecins, le gouvernement avalise globalement les priorités pour la médecine générale et les spécialités hospitalières pour lesquelles une revalorisation est justifiée. Il revoit cependant le montant attribué à la baisse, en tenant compte d’une date d’application ultérieure des mesures.
En ce qui concerne les autres « petits » secteurs, le gouvernement réduit de moitié les efforts en faveur des soins dentaires, il prévoit un montant pour l’adaptation du prix des matières premières pour la préparation des prestations magistrales, il confirme le choix fait en faveur des soins infirmiers, des soins de kinésithérapie, des implants, des opticiens. Il s’oppose en revanche aux mesures d’intégration d’un forfait de kinésithérapie en maisons de repos, mais approuve les mesures d’économie en dialyse. Il applique des mesures d’économie dans le secteur des accoucheuses. Plusieurs mesures touchant la rééducation fonctionnelle sont approuvées par le gouvernement, qui estime toutefois que leurs effets ne nécessitent pas un budget spécifique qui dépasserait le montant des calculs techniques. Il réserve enfin un montant pour rencontrer la problématique des équipes multidisciplinaires pour soins palliatifs.
Il n’est pas étonnant que le gouvernement donne son accord à la proposition globale qui respecte la norme de croissance légale, il aurait sans doute rencontré de grandes difficultés pour justifier son opposition. Au sein du Comité de l’assurance, les membres qui avaient élaboré et ensuite soutenu la proposition de répartition de ce budget global espéraient que leur exercice soit approuvé par le Conseil général. En effet, l’effort avait porté sur tous les fronts : rencontre de nouveaux besoins, propositions courageuses d’économies réalistes et respect de la norme de croissance. Toutes ces propositions ont créé des attentes chez les prestataires, et les patients en auraient bénéficié. Nous regrettons que les priorités gouvernementales soient imposées aux acteurs du système de soins, dont les experts et représentants avaient détecté les lieux d’insuffisance, et ceux où des efforts pouvaient être consentis sans pénaliser le patient. Nous espérons que la mécanique consensuelle d’élaboration de choix ne s’en trouvera pas enrayée et que la motivation de ceux qui y ont cru se nourrira de nouveaux enjeux, après une inévitable période de déception et de frustration.

(Novembre 2005)

(1) Une norme de croissance est imposée au secteur des soins de santé depuis le 1er janvier 1995. Cette norme exprimée en termes réels (hors hausse consécutive à l’application de l’évolution de l’indice santé) était fixée à 1,5 %. Elle a été majorée à 2,5 % en 1999 et à 4,5 % en 2004.
(2) La base légale de cette modification est parue au Moniteur belge du 23 septembre 2005 (principalement l’article 4 de l’AR du 17 septembre 2005).
(3) Cette proposition a été votée par la majorité des 2/3 lors de la séance du 3 octobre 2005.
(4) Il peut s’agir d’une mesure d’économie très spécifique et unique dans le temps, de taxes imposées à l’industrie pharmaceutique qui sont elles récurrentes, mais dont l’affectation au budget des soins de santé ne l’est pas, il s’agit également des montants restitués (ou récupérés) aux secteurs de l’imagerie médicale et de la biologie clinique, lorsque les dépenses pour une année ont été inférieures à l’enveloppe budgétaire.
(5) Un système qui consistait à faire payer aux firmes pharmaceutiques au maximum 65 % du déficit de leur secteur.
(6) Globalement de 9,15 % du chiffre d’affaires en 2005 à 9,02 % en 2006 et 8,02 % en 2007.

 

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