L’activation des politiques d’emploi constitue aujourd’hui le fil rouge de l’action gouvernementale dans la lutte contre le chômage. Comme l’écrit Adinda Vanheerswynghels, chargée de recherche à l’ULB, les mots ne sont jamais innocents et le choix du terme « activation » est déjà à lui seul lourd de sous-entendus…


Le terme s’applique aussi bien à des personnes, aux chômeurs par exemple, que l’on va « activer », qu’à des mesures ou des politiques qui seront également qualifiées « d’actives ». Si certaines personnes ou si certaines mesures sont actives, cela signifie qu’il existe par ailleurs des personnes, des mesures et des politiques qui sont passives. Les termes ne sont pas innocents : entre les deux, quel est celui qui aura une résonance positive et quel est celui qui sera connoté négativement ? La réponse va de soi. Dans un contexte où on ne valorise plus que le dynamisme, l’esprit d’entreprise, l’initiative, la pro-activité… comme qualités individuelles indispensables pour réussir notamment sa vie professionnelle, combien oseraient encore défendre haut et fort toutes ces mesures dites « passives » !
Mais de quoi parle-t-on finalement, quelle est cette « passivité » qu’il faut à tout prix activer ? Il s’agit, tout simplement (mais l’enjeu est de taille), des critères d’octroi et de la détermination du montant des allocations de chômage et par extension de ceux des allocations sociales et donc, par ricochet, aussi des niveaux des salaires et, $last but not least$ dans la foulée, de la qualité des emplois offerts. C’est, depuis plusieurs années, l’un des axes majeurs de la « stratégie européenne de l’emploi » : il faut tout mettre en œuvre pour éviter que les chômeurs ou les personnes qui bénéficient de l’aide sociale ne soient « payés pour ne rien faire », et subordonner la détermination des allocations à leur implication « active » dans les programmes caractérisés comme tels.

Activation : Belgique 10/10
En la matière, la Belgique s’est toujours montrée une excellente élève, voire même innovatrice. Le dénombrement des diverses mesures d’emploi (uniquement au plan fédéral) dans les quelques rapports d’évaluation du ministère de l’Emploi et du Travail (1) en témoigne assurément. L’activation est donc constituée de l’ensemble des mesures destinées aux chômeurs ou aux personnes qui bénéficient du revenu d’intégration (par exemple, le minimex) et qui sont priés de jouer le rôle qui est le leur à savoir « se préparer à occuper un emploi et en chercher résolument un » même si, ou plutôt surtout si cette recherche n’aboutit pas. En effet, ce que l’on attend finalement de tout demandeur d’emploi c’est que plus l’emploi est rare et plus il a des difficultés à y accéder (car il est trop femme, trop âgé, trop étranger, pas assez expérimenté, pas assez formé… et surtout surnuméraire), plus il doit, avec énergie et enthousiasme, continuer sa quête. Le découragement et la démoralisation lui sont formellement interdits sous peine de perdre temporairement ou définitivement le droit de percevoir ses allocations.
Qu’on comprenne bien, il ne s’agit pas de permettre à ces allocataires de choisir librement les activités ou les emplois qui leur conviennent, au contraire, il faut qu’ils s’inscrivent dans les politiques qui leur sont destinées et ils doivent accepter les emplois, quels qu’ils soient, ou les formations, quelle qu’en soit l’issue, qu’on leur propose. Pour cela, différentes étapes doivent être franchies. Il faut tout d’abord définir des groupes cibles. Les critères qui président à leur détermination sont variés. Soit il s’agit de groupes d’âges : après avoir mis en place de multiples dispositifs destinés à favoriser l’insertion professionnelle des jeunes, tout le monde sait que le mot d’ordre actuel est de faire en sorte que les taux d’activité des plus âgés augmentent, surtout dans ce pays où l’on ferait la part trop belle aux prépensionnés et aux chômeurs âgés. Parfois, les groupes cibles sont constitués en fonction du sexe des personnes, on a donc vu fleurir des programmes « femmes » ou encore du niveau de formation atteint par les individus, ou tout autre caractéristique jugée pertinente : durée du chômage, par exemple. Plus généralement, pour définir des groupes cibles, on combinera plusieurs de ces critères de telle manière à les circonscrire et à identifier ce que l’on nomme des « populations à risques ». Ensuite, il faut imaginer les mesures de mise à l’emploi, qui s’accompagneront généralement de dérégulations diverses par rapport au contrat d’emploi classique. On a vu ainsi se multiplier des formes d’occupations diverses dont la plus atypique est le travail des chômeurs complets indemnisés en ALE (Agence locale pour l’emploi) en passant par des emplois jeunes dont le salaire était plafonné, ou avec des durées de préavis réduites… pour en arriver à la panoplie des emplois activés ou une partie du salaire du travailleur est couverte par une allocation à charge du budget de l’Onem (cas le plus fréquent) ou par une partie du revenu d’intégration (moins nombreux). En effet, partant de l’idée que les personnes à risques sont peu attrayantes pour les employeurs, il faut arriver à inciter ceux-ci à embaucher malgré tout des individus dont ils ne voudraient pas ou dont ils n’auraient pas besoin en diminuant par exemple les coûts salariaux ou les règles de protection sociale de ces emplois.

D’effets d’aubaine en effets de substitution
Lorsque l’obligation d’embauche est imposée aux entreprises, comme c’est le cas pour le Plan Rosetta, on constate tout d’abord qu’elles s’insurgent contre de telles exigences, et si l’on s’intéresse de plus près aux conditions de travail des jeunes, on voit qu’elles ne sont pas nécessairement idéales ni porteuses d’insertion professionnelle durable. On a également vu par le passé, pour ce qui concerne la mesure qui historiquement a précédé le Plan Rosetta (le stage des jeunes), qu’au fil du temps, de plus en plus d’entreprises avaient obtenu des dérogations et ne devaient plus remplir leurs obligations vis-à-vis des jeunes. Indépendamment des aspects qualitatifs de ce type de mise au travail et de son effet sur l’insertion professionnelle des personnes, son importance quantitative s’était donc amenuisée au fil des années. Lorsque les mesures sont purement incitatives, leur impact quantitatif est bien réduit et les embauches qu’elles provoquent résulteraient souvent d’effets d’aubaine (l’embauche était déjà envisagée mais elle se fera dans des conditions financières plus favorables), ou d’effets de substitution (on embauche des personnes du groupe cible au détriment d’autres catégories de travailleurs). À titre d’illustration, en juin 2001, hors plan Rosetta (qui concernait à cette époque plus de 50.000 jeunes) et hors travail en ALE (15.000 personnes bénéficient d’une dispense de pointage car elles sont régulièrement occupées dans ce cadre), on comptait un peu plus de 20.000 travailleurs occupés dans un programme « d’activation » à charge du budget de l’Onem (2), sur un total de un peu plus de 3.100.000 travailleurs salariés. On voit donc, que par rapport au total des personnes occupées dans un emploi salarié, les effets des mesures d’activation restent limités. Mais finalement, il importe peu que les emplois créés dans ce cadre soient trop peu nombreux, qu’ils soient précaires ou de moindre qualité, tout comme il est finalement peu important que les formations professionnelles débouchent plus souvent sur d’autres formations que sur l’obtention d’un emploi, du moment que le principe de l’activation, avec tous ses effets dérogatoires, devienne la règle. On a, en effet, constaté que lorsqu’on supprimait ou réduisait les allocations de chômage, par exemple, les personnes sanctionnées retrouvaient rapidement un emploi même si celui-ci était loin d’être « convenable » en termes de statut, de salaire… et c’est bien compréhensible si toute source de revenu leur est supprimée. Mais il faut également bien réaliser que les « mauvais emplois » chassent les « bons emplois » et que les dérégulations peuvent de proche en proche se généraliser. Les enjeux de l’activation ne concernent donc pas les seules personnes concernées directement par ces mesures mais tous les salariés, qu’ils soient occupés ou non, en retraite et aussi les plus jeunes qui risquent d’être confrontés à ces conditions de travail modifiées.

 

 

 

 

 

1 Le dernier rapport d’évaluation du MET a été publié en 2000.
2 Auquel il faut ajouter les activations du revenu d’intégration qui sont moins nombreuses.

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