Il est temps que la Belgique prenne exemple sur ses proches voisins où le risque de dépendance est couvert parfois depuis plusieurs années. Que nous manque-t-il ou qu’avons-nous en trop pour organiser une telle couverture au niveau fédéral. Pas assez d’argent ou un manque de volonté politique pour affecter des marges budgétaires qui pourtant existent ? Ou trop de niveaux de pouvoirs pour faire passer l’intérêt de la collectivité avant celui de certaines ambitions personnelles ?


Aide sociale ou sécurité sociale
Il s’agissait encore de déterminer si l’initiative de la Communauté flamande n’empiétait pas sur les compétences fédérales, en d’autres termes si cette assurance soins ne devrait pas faire partie de la sécurité sociale. Il a suffi au Conseil d’État de caractériser la sécurité sociale qui, premier aspect, doit être financée par des cotisations sociales et, second aspect, ne peut bénéficier qu’à ceux qui la financent, pour confirmer les compétences de la Communauté flamande en la matière. En fait, le Conseil d’État considère que les compétences fédérales en matière de sécurité sociale ne sont qu’une exception à celles des Communautés et Régions. Exception qui ne se justifie que dans la mesure où le maintien d’une sécurité sociale fédérale contribue au maintien de l’union économique et monétaire du pays, d’où l’exigence du financement par les revenus du travail. Cela signifie qu’une universalisation de la sécurité sociale, qui s’appuierait sur un financement par les moyens généraux et s’accompagnerait d’une suppression des droits dérivés au bénéfice des droits des individus, « se traduirait par un basculement de compétences du fédéral vers les communautés »(5).

Tout est donc possible, une assurance soins fédérale financée par les cotisations sociales et/ou une assurance soins communautaire financée par tout autre moyen. Même si le risque social de « perte d’autonomie » est considéré comme récent, rien n’exclut que la sécurité sociale n’innove dans le domaine en créant par exemple une branche supplémentaire. Il ne faut cependant pas déduire de ce qui précède, que le financement d’une nouvelle branche de la sécurité sociale, matière fédérale, doit être exclusivement constitué de cotisations sociales. Actuellement, ce mode de financement représente quelque 76% de l’ensemble des moyens financiers. Le reste est assuré notamment par une part des impôts indirects (10% - principalement de la TVA) et des subsides (12%).
La Cour d’arbitrage est cependant plus restrictive quant à la définition de la sécurité sociale. Selon cette instance, il ne peut s’agir que de préserver la couverture des risques sur lesquels portait la législation en 1980. En revanche, elle se montre beaucoup plus souple quant aux compétences des Communautés puisqu’elle interprète les matières personnalisables comme « toute la matière de l’aide aux personnes » et non seulement l’aide octroyée aux catégories prévues par la loi spéciale.
En conclusion, le Conseil d’État et la Cour d’arbitrage s’entendent pour élargir les compétences des Communautés et pour restreindre le champ d’intervention fédéral dans le secteur de la sécurité sociale. Ces avis, s’ils ne constituent que des interprétations de textes légaux, n’en sont pas moins symptomatiques de l’évolution que pourrait connaître notre système de protection sociale.


La «zorgverzekering» flamande
Voyons à présent ce qui constitue l’objet de ces contestations juridiques et politiques. L’assurance soins flamande est une couverture totale ou partielle d’aides et services non médicaux à l’attention des personnes fortement dépendantes. Cette assurance, entrée en vigueur le 10 octobre 2001, est obligatoire pour les habitants de la Région flamande et facultative pour les habitants de la Région de Bruxelles-capitale. La dépendance qui ouvre le droit à une intervention est déterminée sur base de critères utilisés dans d’autres réglementations telles que l’intervention Inami pour les soins infirmiers à domicile, l’aide aux personnes âgées ou l’aide à domicile organisée en Flandre.(6)

Un Fonds (Zorgfonds) a été créé pour assurer l’exécution de l’assurance soins et des Caisses (Zorgkassen) en sont les instances exécutives. Il faut souligner ici la mise « en concurrence » du privé et du public à travers l’octroi du statut de « Caisses » non seulement aux Mutualités mais également aux compagnies d’assurance et à une instance liée aux CPAS (Vlaamse Zorgkas). Chaque habitant de plus de 25 ans doit être affilié et s’acquitter d’une cotisation forfaitaire de 10 EUR. Et à partir de 2003, cette prime devrait dépendre de la capacité contributive de chaque affilié. Pour compléter le financement, la Région flamande verse 100 millions d'EUR annuellement. L’affiliation donne droit à une intervention en espèces qui varie entre 75 EUR et 160 EUR par mois (7). Il semblerait que le système connaisse quelques difficultés financières liées à la sous-évaluation des besoins. En effet, ces derniers furent déterminés sur la base de critères liés aux recours aux soins (forfaits B et C en soins infirmiers). Cependant, la création de cette assurance a suscité des demandes d’intervention chez des personnes dépendantes qui n’étaient pas répertoriées dans les fichiers comme bénéficiaires de soins. C’est, en quelque sorte, l’offre qui a créé la demande. Un phénomène dont il faudrait tenir compte si un produit francophone venait à voir le jour. En outre, l’organisation et l’administration d’un tel système génèrent des charges administratives non négligeables qui ont été sous-évaluées.
Au-delà de ces difficultés d’ordre financier et administratif, on ne peut que s’interroger sur le déficit d’équité dont souffrent les personnes âgées à Bruxelles qui, en fonction de leur régime linguistique, subissent une discrimination du coût réel de leur dépendance. Depuis le 1er juillet 2002, les personnes âgées résidant en institution peuvent également bénéficier d’une intervention au titre de l’assurance dépendance pour autant que cette institution soit reconnue par la Communauté flamande, c’est le cas d’une seule maison de repos. Cette contrainte limite la possibilité de bénéficier d’une intervention, que l’on soit francophone ou néerlandophone, même si dans les faits ce sont surtout les francophones bruxellois qui subissent cette discrimination.
Le gouvernement flamand autorise donc, par un nouveau décret, la reconnaissance d’institutions bicommunautaires afin de renforcer l’offre existante. Cela peut, dans une première approche, être considéré comme une bonne nouvelle. Cependant, ce décret risque aussi d’exacerber la discrimination existante. En effet, des personnes âgées résidant en institutions reconnues par les deux Communautés pourront dorénavant supporter des coûts nets différents.
Cette évolution rend de plus en plus nécessaire une concertation francophone mais aussi fédérale afin qu’une solution solidaire nationale soit réexaminée. D’un point de vue actuariel mais aussi humain et philosophique, on ne peut abandonner l’idée d’une assurance dépendance fédérale.


Les propositions francophones
Si un tel produit n’est pas encore en place pour l’ensemble des Belges, ce n’est pas par manque de propositions. Une tentative de créer une assurance dépendance fédérale a échoué car le Conseil d’État estime que le mode de financement préconisé par le PSC Jean-Jacques Viseur ne correspond pas aux exigences inhérentes à l’organisation d’une branche de la sécurité sociale. Un autre PSC, Michel Barbeaux, pense avoir trouvé la solution en proposant une assiette de perception des cotisations adéquate. Cette fois, c’est l’absence de soutien politique au sein du monde francophone qui empêchera la concrétisation d’un projet fédéral et donc plus solidaire Le FDF avait pourtant embrayé sur les propositions des sociaux-chrétiens et les autres partis de la majorité avaient admis la nécessité d’une telle assurance.

Pour l’heure, ceux qui croient encore en une assurance dépendance fédérale sont toutefois amenés, par pragmatisme, à proposer une intervention francophone. Le CDH a remis le couvert, de nombreux groupes de travail se réunissent et une étude qui rassemble les universités et les Mutualités a été commanditée par tous les niveaux de pouvoir francophones et germanophones. Même si le mode de financement n’est pas encore déterminé et que son ampleur reste problématique, la proximité des élections législatives pourrait être un moteur suffisant pour lancer une initiative dès 2003.

Christian Léonard
Chef du Département Recherches et Développement - ANMC

1 Voir les excellentes observations de Xavier Delgrange, « La Cour d’Arbitrage momifie la compétence fédérale en matière de sécurité sociale », in Droit Constitutionnel, 2001, N°2, Bruylant, pp. 216 - 240.
2 Devenu l’article 128,§ 1er.
3 Notamment concernant une proposition Suykerbuyck devenue le décret de la Communauté flamande du 23 juin 1998.
4 Il s’agit des familles, des enfants, des immigrés, des handicapés, des personnes du troisième âge, des jeunes et des détenus.
5 Voir X. Delgrange, op. cit., p. 234.
6 Notamment à l’aide de l’échelle de KATZ.
7 Un montant mensuel de 75 EUR est prévu pour l’aide non institutionnalisée (Mantelzorg) et 85 EUR pour les soins professionnels. Dans le cas d’un cumul des deux types d’aide, ces montants sont plafonnés à respectivement 75 et 50 EUR (donc 125 EUR au total par mois). Pour les résidents en institutions (MRS, MRPA et MSP), un montant de 160 EUR peut être obtenu à partir du 1er juillet 2002.