Ces dix dernières années ont vu le débat politique se concentrer sur la délinquance juvénile, en négligeant l’Aide à la jeunesse. Un secteur qui pèse pourtant plus de 6 milliards dans l’escarcelle de la Communauté française. Lors de la répartition des compétences au sein du gouvernement, on s’est plus soucié de savoir qui aurait les arts dela scène, reléguant les jeunes en difficulté dans les coulisses. Paradoxe suprême pour un pays qui a vécu ces dernières années à l’heure blanche! Démocratie tentera en deux dossiers de faire la lumière sur l’Aide à la jeunesse au travers de reportages de terrain et de témoignages. Première radioscopie d’un secteur aux ramifications complexes, encore secoué par les réformes issues du décret 91.


Ils ne sont mandatés par personne, sinon par le jeune qui vient les trouver. Leur objectif? Enrayer les mécanismes d’exclusion avec pour armes: l’accueil, le temps, la disponibilité, la tolérance, la confidentialité et le respect du jeune. Des mots qu’on aime employer dans l’aide en milieu ouvert (AMO) mais qui ont une résonance particulière chez Point Jaune, une AMO de Charleroi. Rencontre avec Annie Boehmer, une des plus anciennes de Point Jaune, qui fut longtemps éducatrice de rue avant d’être coordinatrice pédagogique de l’équipe et actuellement directrice.

L ’ESPRIT "POINT JAUNE "
Charleroi, rue du Palais, à mi-chemin entre Ville haute et Ville basse, c’est là que se niche Point Jaune. Une grande maison, claire, accueillante. On peut y entrer pour un renseignement, une aide urgente, le besoin de poser ses valises, ou simplement boire une café et bavarder avec d’autres… Les problèmes rencontrés ? Maltraitance, abus sexuels, absence de communication, famille recomposée, fugue ou… problèmes sexuels. La maison est surtout fréquentée par des jeunes de 14 à 18 ans, parfois moins, mais aucune limite d’âge n’est fixée. L’année passée, Point Jaune a reçu un peu plus de 800 jeunes dont 200 en entretien individuel. Les éducateurs sont"intervenus" 6.500 fois, en comptant l’accueil, les nuitées, le travail de rue… "Intervenus" dans le plus grand respect de la demande du jeune; c’est lui qui demande s’il veut être accompagné ou non et cela se fera le cas échéant sans aucun jugement ni apriori, "dans le respect le plus total de ses convictions et de ses choix, avec pour seul mandat celui qu’il nous confie", assure Annie Boehmer, en ajoutant : "Il ne demande pas forcément qu’on soit d’accord avec lui mais qu’on lui accorde du crédit. Lorsqu’il entre chez nous, on explique au jeune les possibilités qui lui sont offertes, on tente de faire le point, mais s’il ne veut pas cheminer avec nous, on n’insiste pas, la démarche doit venir de lui, sans cela, on court à l’échec. Aider le jeune ne veut pas dire le prendre en main, mais lui permettre de se prendre en main." Un choix philosophique qui va jusqu’à laisser la liberté à l’adolescent en fugue de prévenir ou pas sa famille…

24H/24
Dès sa fondation en 1982 par Michel Peeters, aujourd’hui disparu, le Service d’aide aux jeunes de Charleroi a voulu cette permanence de l’accueil. Un peu comme l’on ne peut imaginer les pompiers fermant leur caserne à17 heures. La nuit est le moment le plus épineux. La crise, la révolte, la solitude, la détresse, le besoin d’une rencontre n’éclatent pas seulement pendant les heures de bureau…Une aide immédiate permet souvent d’éviter que la situation se complique ou se dégrade et le jeune se sent rassuré de savoir qu’il existe un lieu qui lui est accessible en permanence. "La moitié des jeunes s’adressant à Point Jaune le font en dehors des heures de bureau, explique Annie Boehmer. La maison est ouverte 24h/24, 7 jours sur 7, cela permet d’accorder du temps à la verbalisation des problèmes vécus par le jeune." Un type de fonctionnement qui permet aussi de faire face à l’urgence (avant de commencer un travail en profondeur)et d’être complémentaires aux services d’aide limités dans leurs horaires. C’est le seul centre de Wallonie à être ainsi ouvert en permanence. À Bruxelles, "SOS Jeunes" fonctionne sur le même mode. Ce moment d’hébergement (24 heures renouvelables deux fois) est alors mis à profit pour faire le point avec le jeune, lui permettre de décompresser. Un séjour accepté selon des principes bien définis : il y a d’abord évaluation du risque encouru par le jeune s’il reste dans son milieu familial, ensuite on apprécie la capacité de son milieu familial à le prendre en charge, et enfin on voit s’il y a une possibilité d’accueil dans la famille élargie. Parfois aussi, à la demande du service de protection de la jeunesse, Point Jaune sert d’"hôtel-relais" entre deux institutions. Un rôle qui déplaît souverainement à Annie Boehmer: "Nous n’avons pas été conçus pour faire de l’hébergement parking. L’AMO a été à la base créée pour éviter les placements abusifs. Nous écopons du manque de place dans les institutions résidentielles."

LA MAISONET LA RUE
Le projet se construit en 82. En 84, treize personnes forment la première équipe de ce centre. Dès 86, le travail de rue est développé, afin d’aller rencontrer les jeunes là où ils sont. Un projet pionnier à l’époque. À l’inverse de ceux qui fréquentent le Point Jaune, 90% des jeunes rencontrés dans la rue sont étrangers. Marie et Stéphane, les deux éducateurs de rue, les rencontrent dans le métro, sur les parkings, sur les places. Ils les écoutent, les orientent, les informent mais ne les rabattent pas forcément vers l’AMO, il existe aussi d’autres institutions…Ce volet de l’AMO, appelé TIR (travail d’intervenant de rue), est basé sur l’élaboration, la concrétisation et l’évaluation d’un projet ancré dans la culture hip-hop, le crédo de l’association. Parmi les réalisations: l’enregistrement de CD, la réalisation de tags, du théâtre, l’organisation de concerts, un voyage à Vitrolles… Il existe également d’autres formes de travail collectif comme l’organisation de tables rondes! Si plusieurs jeunes se retrouvent dans les locaux de l’AMO, on leur propose de converser entre eux et avec des éducateurs. Le but est d’échanger, peu importe le thème. Outre ces aspects individuels et collectifs, l’AMO a également en charge l’axe communautaire. C’est-à-dire le développement de partenariat avec la société civile. Dans ce cadre, Point Jaune vient de lancer un projet pilote à l’athénée de Marchienne. Son but : travailler en collaboration avec les professeurs, les éducateurs, la direction et assurer une permanence pour le jeune à l’intérieur de l’école toujours en toute confidentialité. D’autres instances ont aussi été contactées : la gendarmerie, les commerçants, les commissaires de police, le centre régional d’intégration de Charleroi… Bref, les projets ne manquent pas, l’équipe est à présent composée de 18 personnes qui toutes attendent avec impatience de voir ce que va leur concocter la nouvelle ministre…

Catherine Morenville