Lancés en quelque sorte à la poursuite de la Cour de justice faute d’un projet politique commun, les ministres de la Santé des pays de l’Union européenne se sont réunis à Malaga en février dernier. À l’ordre du jour : la mise en place d’une (éventuelle) politique européenne de la santé, englobant la délicate question de la mobilité des patients.


On n’en est encore qu’au stade de la réflexion. L’idée de départ est généreuse : il s’agit, selon la ministre espagnole de la Santé, de lancer "l’Europe de la santé" et de garantir à tous les citoyens, où qu’ils se trouvent, l’accès à des soins répondant aux mêmes normes de qualité. Mais entre les intentions et la réalité, il y a un fameux parcours d’obstacles.
Les arrêts de la Cour de justice, dont il est question dans l’article ci-contre, sont bien entendu au cœur des débats, ainsi que ce que d’aucuns nomment le "tourisme médical". Les Quinze ne sont pas totalement contre. Ils reconnaissent que, dans certains cas, la circulation des patients peut avoir une valeur ajoutée. Ainsi, on pourrait envisager la création de centres de référence hautement spécialisés où des patients de toute l’Union pourraient venir se faire soigner pour des pathologies spécifiques. On pourrait également envisager d’exploiter les capacités non utilisées pour des patients se trouvant sur des listes d’attente dans d’autres pays membres et de renforcer la coopération médicale dans les régions frontalières. Mais il n’est pas question de remettre en cause l’organisation et l’équilibre des systèmes de santé, ni de remettre en cause le financement des services de santé qui devra continuer à être national (ou régional).
Si les Quinze veulent reprendre l’initiative afin d’éviter que ce soit la Cour de justice qui définisse le droit en matière de santé, leurs visions de cette "Europe de la santé" diffèrent encore fortement. Des pays comme la France et, dans une moindre mesure, l’Espagne et l’Allemagne plaident pour le déploiement rapide d’une politique en matière de santé. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas, qui sont confrontés à d’importantes listes d’attente chez eux, et le Luxembourg, où les infrastructures et l’offre de soins sont limités, voient plutôt d’un bon œil l’adoption de mesures favorisant la circulation des patients. D’autres, en revanche, se montrent réticents et insistent sur le respect de l’organisation nationale des systèmes de santé. On ne s’étonnera pas de constater que c’est notamment le cas de la Belgique: celle-ci n’a pas d’objections de principe à la circulation des patients, mais elle souhaite que les modalités et les conséquences soient d’abord examinées avec rigueur.
À ce stade, les Quinze font donc encore plancher leurs experts en vue de bien cerner les enjeux et l’ampleur du phénomène. Un rapport récent constate que le volume d’actes prestés dans d’autres États que celui dont le patient est originaire a pratiquement doublé entre 1989 et 1997, mais qu’il ne représente en moyenne pas plus de 0,3 à 0,5% du total annuel des dépenses de santé. Une bonne part de ces dépenses s’inscrit dans le cadre de la coopération transfrontalière (Hainaut-Nord-Pas-de-Calais, Euregio Rhin-Meuse…), ou encore des accords bilatéraux développés ces dernières années (tels que celui entre les Pays-Bas et la Belgique). Les experts soulignent que les patients cherchent à se faire soigner en priorité chez eux, et ne décident de se déplacer que si l’offre de service ne leur permet pas d’accéder aux soins facilement ou dans un délai raisonnable. Ils en concluent notamment que le moment est venu de développer une politique européenne fondée sur les besoins en terme de santé et non plus, comme cela a toujours été le cas, sur des considérations exclusivement économiques. C’est pourquoi, ils proposent que soient définis des objectifs communs en matière de santé au niveau européen, ainsi que des "normes" de qualité; ils plaident également en faveur du développement de centres européens d’excellence et d’une clarification des rôles et des responsabilités en matière de santé. C’est donc poussés dans le dos par des juges et des experts que les Quinze créeront peut-être un jour l’Europe de la santé.

Christophe Degryse (avec l’Agence Europe)