C’est passé presqu’inaperçu. En juin dernier, le gouvernement belge a finalisé un plan d’action de lutte contre l’exclusion sociale. Ce document présente les priorités belges durant les deux années à venir (juillet 2001 à juin 2003) pour "promouvoir l’inclusion sociale" et lutter contre la pauvreté. Il fait partie d’un exercice plus général mené au niveau européen afin de renforcer la lutte contre l’exclusion sociale.


Si l’on se rappelle qu’il y a quelques années à peine, la question de la lutte contre la pauvreté était taboue au niveau européen – la Communauté ne disposant pas de compétences juridiques dans ce domaine –, et que plusieurs pays dont l’Allemagne et les Pays-Bas refusaient que le moindre euro issu du budget européen soit dépensé dans ce domaine, force est de constater que les choses ont plutôt bien évolué depuis. Aujourd’hui, chaque pays de l’Union européenne (UE) a concocté un plan d’action pour lutter contre la pauvreté (1). Ces quinze plans ont été remis à la Commission européenne en juin dernier. Celle-ci les a évalués et, en décembre prochain au sommet de Laeken, une série d’indicateurs communs devraient être définis afin d’harmoniser, en quelque sorte, la lutte contre la pauvreté. En effet, cela peut paraître étonnant mais la décision de coordonner les actions de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale a entraîné un débat politique complexe sur les définitions à donner à la pauvreté, à l’exclusion sociale, ainsi que sur les objectifs les plus pertinents à poursuivre ensemble. La pauvreté n’est pas perçue – ni vécue – de la même manière à Lisbonne ou à Stockholm; les objectifs à poursuivre ne sont pas " spontanément " les mêmes à Athènes et à Londres… La mise en œuvre d’une méthode de coordination entre les quinze nécessite dès lors un important travail d’harmonisation des définitions, des objectifs et des indicateurs d’évaluation.

Trop de pauvreté
Aujourd’hui encore, plus de 65 millions de personnes – c’est-à-dire 18 % de la population de l’Union européenne – vivent avec moins de 60 % du revenu médian national (2). Côté belge, le plan d’action n’est pas la première initiative prise dans ce domaine. On se rappellera qu’en 1994, déjà, un Rapport général sur la pauvreté avait constitué une étape importante. Il avait permis de mettre en évidence l’existence récurrente d’un certain nombre de laissés-pour-compte dans notre pays malgré l’existence d’un réseau perfectionné de sécurité sociale et de régimes d’allocations sociales. Il avait aussi contribué à l’instauration d’un dialogue avec les personnes vivant dans la pauvreté et les associations qui les représentent. Il en avait résulté une liste de manquements et de dysfonctionnements relatifs à la réalisation de leurs droits dans tous les domaines politiques.
Le diagnostic du plan révèle l’efficacité de notre système de protection sociale. Sans les transferts provenant de la Sécu et de l’aide sociale, pratiquement 1 Belge sur 2 (47 %) risquerait la pauvreté. Grâce aux pensions, ce pourcentage est ramené à 29 % et, en prenant en compte d’autres transferts sociaux, à 15 %. Ceci signifie que 15 % de la population se trouve en dessous du seuil de 60 % du revenu médian. Cette valeur est proche de la moyenne européenne. Mais, comme le montre le tableau ci-contre, selon le niveau de seuil utilisé, la situation en termes de pauvreté apparaît très différente, allant de 6 % à 23 % de la population. Il est intéressant de comparer ces seuils mensuels avec le montant du revenu minimum d’intégration afin d’évaluer dans quelle mesure celui-ci constitue une protection contre la pauvreté. En 2001, le montant mensuel du minimex pour une personne isolée est de 550 euros (soit environ 22.000 francs), ce montant passe à 734 euros (environ 29.000 francs) pour une famille. On ne peut que constater que même en prenant le montant le plus récent du minimex par rapport aux valeurs du seuil de bas revenus en 1997, il faut descendre au plus bas des seuils de pauvreté pour un isolé (40 % : 456 euros) pour trouver un montant qui soit inférieur au minimex. Cet écart est encore plus marqué pour les familles puisque même le seuil le plus bas (40 % : 958 euros) est nettement supérieur au revenu minimum d’intégration. Il faut néanmoins ne pas oublier que cette comparaison ne peut être absolue car il faut tenir compte du fait que les familles (et dans certains cas les isolés) peuvent percevoir d’autres allocations sociales (les allocations familiales, par exemple) ou des compensations fiscales. Si les bénéficiaires des minima sociaux ne sont donc pas à l’abri de la pauvreté, on pourrait croire que les personnes qui disposent d’un travail courent peu de risques de pauvreté. Mais cette affirmation doit être nuancée par le niveau des salaires perçus. Le revenu mensuel minimum brut garanti d’un salarié en 2001 est de 1.117 euros (45.060 francs). Si l’on retire les impôts et cotisations sociales l’écart avec les seuils de bas revenus n’est guère élevé. Par ailleurs, en 1997 en Belgique, 2,3 % des salariés appartenaient à des ménages dont le revenu était inférieur au seuil de 60 % du revenu médian (travailleurs pauvres). Enfin, si l’on tient compte de la persistance de bas revenus (durant au moins trois années), qui est le symptôme d’une pauvreté certaine, le nombre de personnes concernées s’élève à 7,7%. Ce pourcentage représente la proportion de pauvres " monétaires ".
Les actions que le gouvernement s’engage à réaliser concernent quatre axes principaux : l’amélioration des revenus, l’accès au logement, les coûts des soins de santé et l’accès à l’enseignement. Autant dire que la coordination entre les politiques des différents gouvernements (fédéral, communautaires, régionaux) devra être renforcée, ainsi que l’implication des différents protagonistes : il n’y a quasiment eu aucune consultation et/ou concertation avec les acteurs concernés – les pauvres eux-mêmes et les organisations qui travaillent avec eux – dans la rédaction du plan. Le renforcement de cette implication devrait également figurer parmi les priorités politiques.
Ramón Peña-Casas et
Christophe Degryse


Montants mensuels des divers seuils de bas revenus en 1997

 
Is
olé
Couple
2
avec enfants
Taux de "pauvreté"
 
euros
FB
euros
FB
 
Seuil de 70 %
du revenu médian
798
32.201
1.676
67.260
23 %
Seuil de 60 %
du revenu médian
684
27.602
1.437
57.965
15 %
Seuil de 50 %
du revenu médian
570
23.000
1.197
48.300
10 %
Seuil de 40 %
du revenu médian
456
18.401
958
38.642
6 %

Source : PANinc belge, calculs de l’Observatoire social européen pour les couples avec enfants.

  1. Ces plans sont disponibles sur le site : http://europa.eu.int/comm/employment_social/news/2001/jun/napsincl2001_fr.html
  2. Le seuil de bas revenus pris pour mesurer le niveau de vie d’une population. Le revenu médian est la valeur qui divise la population en deux parts égales, autant de gens ayant un revenu inférieur que supérieur à ce montant.

 

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