Les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’OTAN, qui se sont réunis en avril dernier pour commémorer les 60 ans de l’Alliance atlantique, ont lancé un long travail de révision du « Concept stratégique » de l’OTAN. Celui-ci devrait être finalisé pour le sommet de Lisbonne, fin 2010. L’OTAN sortira-t-elle de son malaise existentiel ?

 Au cours de ces 21 mois de discussions, l’élaboration du nouveau concept stratégique de l’OTAN est censée redonner un nouveau souffle à une organisation qui peine à trouver un sens à son action, et même une justification à son existence. Le malaise n’est pas nouveau. L’Alliance atlantique, créée en 1949 pour faire face à la « menace communiste » de l’URSS et de ses alliés (lesquels, en réaction, se rassembleront en 1955 au sein du Pacte de Varsovie) a joué un rôle de dissuasion tout au long de la Guerre froide lors de l’opposition Est-Ouest. Mais avec la chute du Mur de Berlin en 1989, puis la fin de l’URSS en 1991, elle a perdu sa raison d’être originelle. Après une décennie de questionnement (faut-il maintenir l’OTAN ?), un nouveau concept stratégique a été adopté en avril 1999, au moment où les avions de l’OTAN bombardaient la Serbie, lors de la guerre du Kosovo. Sans mandat des Nations unies, l’OTAN a justifié son opération militaire comme étant une action humanitaire visant à protéger la population albanaise du Kosovo. Cette opération offensive fut la première action militaire d’envergure de l’OTAN depuis sa création, en outre dans une zone située en dehors du territoire couvert par le traité de l’Atlantique Nord. La principale nouveauté du concept stratégique de 1999 était d’ailleurs la nécessité de faire face aux risques et menaces partout dans le monde, permettant à l’OTAN d’intervenir « hors zone » atlantique.
Mais le malaise existentiel persista et s’amplifia même. Un événement hautement significatif renforça ce sentiment lorsqu’après les attentats du 11 septembre 2001, le Secrétaire général Richardson prit personnellement l’initiative de demander l’application de l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord prévoyant que les États de l’Alliance portent assistance à un autre État membre lorsque celui-ci est attaqué. Les États-Unis n’avaient pas sollicité cette démarche, et ne demandèrent d’ailleurs jamais l’aide de leurs alliés dans le cadre de l’OTAN.
L’OTAN connut ensuite une grave crise après l’entrée en guerre des États-Unis en mars 2003 en Irak. Les États membres se divisèrent sur l’attitude à adopter, la moitié d’entre eux (dont la « vieille Europe », selon les termes de l’ancien Secrétaire à la Défense américain Donald Rumsfeld) s’opposant formellement à la décision américaine.

Sécurité collective

Quels sont les points à l’ordre du jour des discussions sur ce nouveau concept stratégique ? La première question à clarifier est de s’entendre sur la conception du monde que les États membres veulent défendre, et de la place de l’OTAN dans ce contexte. Bien que la plupart des responsables politiques de l’Alliance insistent sur la défense commune de « valeurs », il faut rappeler que c’est aussi la sauvegarde de leurs « intérêts » qui est en jeu. Et dans un monde globalisé, où les risques et menaces sont multiples, quels moyens et quelle méthode utiliser ?
Première option : celle de l’administration Bush inspirée par les néoconservateurs, où l’OTAN, à la remorque d’une superpuissance américaine (hard power), se limiterait à un club de pays riches, s’érigeant en forteresse, dans une perspective de confrontation, et provoquant le « choc des civilisations ».
Autre option : considérer, à l’instar de Mikhaïl Gorbatchev qui mit fin à l’opposition Est-Ouest à la fin des années 1980, que les pays de l’OTAN verraient leur sécurité améliorée si celle du monde qui l’entoure l’est aussi. C’est alors la recherche d’une sécurité commune et collective avec le reste du monde, en privilégiant dialogue et coopération, les États-Unis devenant smart power et l’Europe soft power. Les déclarations du président Obama semblent indiquer que cette deuxième option sera privilégiée. En adoptant une « politique de la main tendue », le contraste est saisissant avec les discours accusateurs de George Bush, désignant et menaçant régulièrement les ennemis de l’Amérique, notamment avec « l’axe du mal ».

Usage de la force

La deuxième question majeure que devra clarifier le nouveau concept stratégique est celle de l’usage de la force. La décennie 2000 sera considérée comme celle où les illusions sur les « bienfaits » des guerres se seront envolées. Les deux conflits majeurs dans lesquels se sont engagés certains pays de l’OTAN (Irak) ou l’ensemble de ceux-ci (Afghanistan) ont été qualifiés de bourbiers et d’impasses, tandis que le Kosovo, ethniquement purifié, en proie au crime organisé, est considéré comme le « trou noir » de l’Europe. À tel point que début 2009, le chef d’État-major des forces armées américaines a déclaré que les officiers supérieurs devaient tout faire pour empêcher la militarisation de la politique extérieure des États-Unis et privilégier la recherche de solutions non militaires. La sortie du « bourbier irakien » a été entamée en 2006, avec la mise en place d’une nouvelle stratégie, élaborée par le général Petraeus, commandant des forces américaines en Irak, freinant les actions militaires et privilégiant la négociation avec les opposants armés et le lancement d’actions civiles de reconstruction. C’est également le général Petraeus qui prépare un changement de stratégie analogue pour l’Afghanistan. Le président Obama, reconnaissant que les États-Unis n’étaient pas en train de gagner en Afghanistan, a confirmé ce changement de stratégie en mars dernier, annonçant des négociations avec certains opposants armés et l’accroissement de l’aide au développement. Ce fut également l’objet de la visite du vice-président Joe Biden à l’OTAN à Bruxelles le 10 mars, où, grande première depuis l’ère Bush, il est venu écouter les Européens qui plaident pour la plupart depuis longtemps pour ce changement de stratégie.
Une des leçons des engagements militaires récents est l’échec de la « lutte contre le terrorisme ». D’abord, parce que le qualificatif « terroriste » a été utilisé à tort et à travers pour désigner opportunément une série de groupes armés défendant certaines causes que l’on feignait ne pas apercevoir. Et surtout parce que la « guerre contre le terrorisme » a été menée quasi exclusivement avec des moyens militaires lourds, totalement inadaptés face à un « ennemi » extrêmement mobile, invisible et inatteignable.
Une des conséquences du constat de « l’impuissance de la puissance militaire » serait que les responsables de l’OTAN arrêtent de plaider sans cesse pour l’augmentation des budgets militaires. Face aux échecs militaires, le gaspillage financier des budgets publics doit être stoppé, d’autant plus que la crise économique va restreindre les moyens disponibles et que d’autres besoins plus fondamentaux entraîneront leur réaffectation (relance économique, aide sociale, aide au développement…). Ceci nécessitera de faire face aux pressions de certains industriels de l’armement qui persistent à vouloir développer et produire des systèmes d’armements coûteux et inutiles, si l’on se place dans la perspective d’une moindre utilisation des forces armées. M. Obama s’est engagé dans cette voie lorsqu’il a présenté les grandes lignes de son budget de la défense pour 2010, en annonçant le report ou la suppression de plusieurs programmes d’armement.

Prévention des conflits

Le troisième point qui devra être développé sera dès lors de privilégier les moyens non militaires de gestion des crises. Début février 2009, la chancelière allemande Angela Merkel a insisté sur une « approche globale de la sécurité caractérisée par une combinaison de moyens civils et militaires », insistant sur l’importance de la prévention des conflits et estimant que « l’OTAN doit être une enceinte de débats politiques », comme l’avait régulièrement demandé son prédécesseur, le chancelier Schröder.
Plusieurs observateurs ont remarqué une évolution du discours depuis 2006 parmi les responsables de l’OTAN. En 2006, ceux-ci pressaient les États européens de renforcer leur présence militaire en Afghanistan, à la suite des demandes américaines. Certains d’entre eux avaient affirmé qu’un échec en Afghanistan signerait la fin de l’OTAN. Depuis plusieurs mois, les responsables de l’Alliance atlantique ont annoncé un changement de politique en Afghanistan y compris, à terme, le retrait des troupes. De plus, de nouvelles missions ont été proposées pour l’OTAN. C’est ainsi que son Secrétaire général, Jaap De Hoop Scheffer, a indiqué que « le nouveau concept devrait ajouter la sécurité collective à la défense collective » et permettre la prise en compte de « la dimension humaine de la sécurité ». Il a également indiqué que l’OTAN devrait prendre en compte de nouvelles problématiques comme les attaques informatiques ou les conséquences du changement climatique.
Si de telles évolutions dans les préoccupations paraissent logiques, on peut se demander si c’est bien le rôle de l’OTAN d’assumer ce glissement de missions. L’OTAN est d’abord un outil militaire, dont on s’aperçoit aujourd’hui que sa mise en œuvre aboutit à des résultats moindres, voire opposés, par rapport à ceux que l’on recherchait. Pour les nouvelles missions non militaires proposées, il y a d’autres institutions internationales plus adéquates et davantage spécialisées (OSCE, et surtout Nations unies) qu’il serait judicieux de renforcer. Le nouveau concept stratégique devrait réaffirmer le rôle prééminent du Conseil de sécurité des Nations unies, comme le prévoit d’ailleurs le traité de l’Atlantique Nord. Le rôle des Nations unies dans la relance du désarmement nucléaire et classique est attendu et devrait être davantage soutenu, notamment dans la perspective de la Conférence du Traité de non-prolifération nucléaire de 2010, ainsi que sur les essais nucléaires, les armes biologiques et la démilitarisation de l’espace.

Partenariat

Le quatrième point à préciser sera de créer un véritable partenariat stratégique avec la Russie. Après une période de refroidissement des relations des Occidentaux avec la Russie, le rétablissement de la confiance est nécessaire. Cela passera par la relance du « conseil OTAN-Russie », créé en mai 2002, qui ne fonctionne plus depuis plusieurs années. Il s’agira de renouer un dialogue régulier, afin d’éviter que ne se reproduisent des événements dramatiques comme le conflit russo-géorgien d’août 2008. Américains et Européens devraient davantage comprendre la position de la Russie qui s’est sentie progressivement encerclée par les Occidentaux depuis la fin des années 1990, avec les élargissements de l’OTAN en 1999 et 2004, accueillant dix pays anciennement alliés ou membres de l’URSS, puis la multiplication de bases américaines dans les pays limitrophes de la Russie, ensuite les guerres menées par les Américains aux portes de la Russie en Irak et en Afghanistan, enfin le projet de déploiement d’un bouclier antimissile en Pologne et en République tchèque.
Si les Occidentaux veulent avoir une influence positive sur le comportement de la Russie (en matière de démocratie interne, de respect des droits de l’homme ou de politique énergétique...), il serait important de renouer un dialogue régulier dans le cadre d’un véritable partenariat où les intérêts de sécurité de chacun peuvent être pris en compte, en créant une vision commune dans la recherche de la sécurité. L’arrêt de l’élargissement de l’OTAN (Ukraine et Géorgie) est annoncé par certains comme inéluctable. Et l’annonce le 17 septembre dernier par le président Obama de l’abandon du projet de bouclier antimissile en Europe a déjà permis un réchauffement des relations entre la Russie et les États-Unis.
La coopération avec la Russie est essentielle. D’une part, pour la relance des accords de désarmement (forces conventionnelles en Europe, suppression des armes nucléaires de courte portée, réduction des armes nucléaires stratégiques…). D’autre part, afin de faciliter les négociations qui seront relancées avec l’Iran, pour permettre à ce dernier d’avoir de nouvelles relations avec les pays occidentaux, ce qui ouvrirait de nouvelles perspectives bénéfiques au règlement du conflit israélo-palestinien.

Relation États-Unis/Europe

Enfin, le dernier point à l’ordre du jour de la révision du concept stratégique sera le rééquilibrage du rôle des Américains et des Européens au sein de l’Alliance atlantique. Un véritable partenariat doit succéder à l’éternel leadership des Américains, parfois modéré comme sous l’administration Clinton, parfois très ferme comme avec George Bush. Ceci nécessitera une double condition. D’une part, il faudra que la nouvelle administration Obama soit davantage à l’écoute des Européens, ce qui a été le cas lors des visites à Bruxelles en mars de la Secrétaire d’État Hillary Clinton, et du vice-président Joe Biden, qui ont tous deux clairement déclaré que les États-Unis voulaient créer une nouvelle relation avec l’Europe. Comme l’a déclaré précédemment M. Obama, ils ont répété que les États-Unis avaient besoin d’une « Europe forte ». Le rapprochement des États-Unis vers les conceptions européennes en matière de défense et de sécurité a été constaté par plusieurs observateurs, dont Olivier Jehin, rédacteur en chef d’Europe, diplomatie et défense, selon lequel « l’Union européenne est devenue le nouveau modèle de l’OTAN et des États-Unis ».
D’autre part, il faudra que les Européens puissent dégager un consensus suffisant sur le rôle qu’ils souhaitent jouer dans le contexte de la nouvelle politique extérieure des États-Unis. Cela nécessitera notamment la recherche d’une vision commune entre les pays de la « nouvelle Europe », peu disposés à améliorer les relations avec la Russie, et ceux de la « vieille Europe », qui sont rassurés en voyant leurs positions approuvées par M. Obama.
Le rapprochement entre l’UE et l’OTAN ne se fera sans doute pas aisément après les relations difficiles avec les États-Unis de l’administration Bush, d’autant plus que les oppositions entre « atlantistes » et « européistes » sont tenaces en Europe. Le dernier exemple est l’adoption par le Parlement européen d’une résolution sur le rapprochement entre l’OTAN et l’UE votée de justesse le 19 février 2009 par 293 voix contre 283. Ici aussi, en Europe, M. Obama devra convaincre les réticents de se rallier à un nouveau partenariat euro-atlantique, si l’Amérique tourne véritablement la page du militarisme et de l’unilatéralisme de la période Bush au profit d’une nouvelle politique fondée sur la diplomatie et le multilatéralisme en acceptant la réalité d’un monde multipolaire. L’Europe, comme le monde, a bien besoin de réinventer de nouvelles relations avec cette Amérique d’un nouveau type.

(*) Directeur du GRIP.
Le titre est de la rédaction.