Le parcours du projet de Plan régional d'affectation du sol (PRAS) à Bruxelles, touche tout doucement à sa fin. Le projet, actuellement en cours de modification, devrait être remis au gouvernement régional dans sa version définitive pour le 3 mars prochain au plus tard et voté à la mi-avril. Les résultats de l'enquête publique divulgués fin janvier par le cabinet Hasquin sont sans appel: plus de 5.000 réclamations ont été enregistrées. Certains qualifient déjà ce projet-marathon de "bâclé" et l'accusent d'entretenir "les vieilles idées néo-libérales". Historique du projet et rappel des enjeux.

 

C'est en 1995, sous la première législature du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, que le Plan régional de développement (le PRD) a été adopté. Celui-ci prévoyait, entre autres, une protection du logement dans les quartiers du centre (le Pentagone) et de première couronne Est. La seconde était confirmée dans sa vocation résidentielle et protégée contre les bureaux. Les entreprises artisanales et industrielles se voyaient réserver une zone en arc de cercle autour de l’Ouest du Pentagone. Les bureaux étaient regroupés autour des gares, qui devenaient des “pôles de développement”, ce qui devait réduire la circulation automobile liée à la navette domicile/travail. En bref, on retrouvait dans le PRD un véritable projet de ville pour Bruxelles.

Le PRD représentait des intentions qu’il fallait inscrire dans le sol, c’est-à-dire transcrire des affectations prévues à des endroits précis, au moyen d’un plan régional d’affectation du sol, PRAS en abrégé. Mais entre ces deux moments forts de la vie bruxelloise, la majorité a changé: les libéraux sont entrés au pouvoir et ont infléchi les données. C'est ainsi qu'Hervé Hasquin, ministre libéral bruxellois de l'Aménagement du territoire, a fait voter en juillet 98 une ordonnance qui abroge purement et simplement le volet réglementaire du PRD (la partie indicative est toujours en vigueur) et laisse au seul PRAS la possibilité de réglementer l'affectation du sol au niveau régional.

En attendant, le plan de secteur de 1979 vit encore, ou plutôt vivote, car le projet de PRAS le suspend partiellement. Et tant que le PRAS ne sera pas adopté définitivement, aucun permis contraire au Plan de secteur ne pourra être accordé. Après l'adoption définitive du PRAS, le plan de secteur sera à son tour enterré et le PRAS, seul maître à bord.

       
Une ville déshabitée

Le PRD est en principe un document supérieur au PRAS que celui-ci doit respecter. S’y trouvait présente la notion de “protection accrue du logement” que le PRAS a fait disparaître au profit de celle de “zone de mixité” (habitat-bureaux). Il en est ainsi par exemple du principe de la concentration à proximité des gares des activités nécessitant une grande densité de déplacements de personnes, comme les bureaux: le PRAS, au contraire, autorise une plus grande dispersion des bureaux, notamment dans les zones mixtes et de forte mixité. Un ensemble de situations considérées jusqu’à présent comme bureau, ne relèvent plus de cette définition. Le PRAS ne tient effectivement pas compte dans son calcul des bureaux de plusieurs catégories de lieux qui peuvent se développer sans restriction: les bureaux de moins de 75 m2, ceux de 75 à 200 m2 qui sont liés à du logement pour autant qu’ils ne dépassent pas 45% de la superficie totale, les professions médicales et paramédicales, les représentations diplomatiques, les bureaux qui permettent une réaffectation du patrimoine tout en garantissant sa protection. Ainsi, les immeubles classés ou inscrits sur la liste de sauvegarde en locaux peuvent être transformés pour des activités productives, des commerces, des bureaux ou des hôtels. On peut donc craindre des transformations massives de tels immeubles en bureaux. Cette faculté risque de provoquer une hausse des prix de ces immeubles et de les rendre inaccessibles pour du logement. On se demande dans ces conditions en quoi le PRAS maintient-il la continuité de l’habitat comme il le prétend?

       
La majorité divisée
PS, PSC et Ecolo ont exigé une révision “complète et rigoureuse” du PRAS. Ils reprochent à Hervé Hasquin de vouloir faire passer à tout prix ce projet vite fait pour en tirer une gloriole tout aussi rapide, et ce avant les élections du 13 juin. Outre le classique reproche de “travail au forceps fait dans la précipitation”, le PS a dénoncé, par les voix de Philippe Moureaux et Françoise Dupuis, “les divergences qui apparaissent à l’analyse fouillée du PRAS où l’on travaille par îlots contrairement au PRD qui approche le projet de ville par zones”. Il en résulterait un émiettement de la politique urbanistique. Joëlle Milquet, PSC, taxe, elle, le PRAS de “trompe-l’oeil démocratique”, avec “simulacre de consultation” et “semblant de transparence”. Philippe Debry, Ecolo, a reproché au ministre Hasquin “qui n’a que les mots “développement économique” et “entreprises” à la bouche, de proposer des dispositions assassines pour les entreprises non tertiaires qui ont presque toujours besoin d’un permis d’environnement”. Or, les entreprises situées dans une zone non conforme au PRAS ne pourront plus avoir leur permis d’environnement renouvelé au-delà des quelques années dont on leur fait grâce. Le PRAS ne fait donc pas l’unanimité, même au sein de la majorité gouvernementale

       
L'enquête publique
L'enquête publique s'est déroulée en deux phases: de début septembre à fin octobre, les particuliers et les groupes de pression ont pu s'exprimer. Ce fut ensuite le tour, en novembre et en décembre, des 19 communes bruxelloises et des instances consultatives. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la lecture des documents mis à la disposition de la population ne fut pas chose aisée: format Moniteur belge, changement de glossaire et de définitions qui ne sont plus comparables au Plan de secteur ou au PRD, cartes à échelles différentes, grande diversité de couleurs et de fonctions difficiles à saisir de manière synthétique. Le PRAS a toutefois suscité, malgré lui, l'intérêt d'un nombre important de Bruxellois et de la presse par la quantité d'erreurs relevées. 5087 avis et réclamations ont été enregistrés entre le 1er septembre et le 2 novembre 1998. Réclamations que le cabinet Hasquin tend à minimiser. “Si des erreurs ont été relevées (6,7%), elles sont moins nombreuses que ce qui avait été annoncé dans la presse et elles sont souvent dues à une mauvaise compréhension de la méthodologie utilisée”. Sur le fond, toujours selon le cabinet Hasquin, les avis seraient variés et contradictoires.“Les habitants prônent une protection accrue du logement envers les entreprises et les bureaux mais le secteur immobilier et le monde des entreprises veulent pouvoir se développer; les défenseurs de la nature souhaitent plus d'espaces verts mais leurs propriétaires espèrent les lotir, etc.”. Bonne excuse pour ne pas tenir compte des remarques formulées? “Non, nous prendrons en compte toutes les réclamations, même contradictoires mais un arbitrage sera nécessaire”. La plupart des plaintes sont concentrées dans le Pentagone, le quartier européen et l’avenue de la Couronne/rue du Trône. La prescription générale du Plan d'affectation qui suscite le plus de réactions est celle relative aux noyaux commerciaux. Pas mal d'habitants craignent que la possibilité de réaliser des surfaces commerciales allant jusqu'à 1.500 m2, et éventuellement installer du commerce aux étages ne nuise à leur cadre de vie.

 

Le PRAS à la trappe?
Sur base de l'enquête publique et des avis rendus par les 19 communes, le projet de PRAS va être adapté. Le travail est en cours actuellement. Les modifications se discutent entre cabinets ministériels et au sein de la Commission régionale de développement (CRD). Celle-ci remettra un avis au plus tard pour le 3 mars. Le gouvernement devrait alors examiner une dernière fois les textes avant d'adopter ou de rejeter la version définitive. Hervé Hasquin compte bien y parvenir pour la mi-avril. Si ce n'est pas le cas, on pourra plus que probablement dire adieu au PRAS car la loi organique de 1991 sur la planification limite la durée d'un projet à un an. Passé ce délai, ce sera comme si le PRAS n'avait jamais existé. Or, le compte à rebours a commencé le 19 août 1998 avec la publication des textes au "Moniteur".

Reste à voir, maintenant, ce qui sortira des négociations au sein de l'exécutif. A défaut de se mettre d'accord avant la fin de cette législature, c'est le Plan de secteur tel que modifié par le PRD en 1995 qui reprendrait vigueur. D'ores et déjà, le PRAS pourrait faire l'objet d'une dérogation favorable à l'implantation de bureaux européens sur le site de la Plaine (près du Bd du Triomphe) avant son adoption car l'Europe cherche 40.000 m2 de bureaux pour son service de traduction.

En caricaturant un peu mais à peine, si le PRAS passe tel quel, la priorité ne sera plus aujourd’hui le redéploiement, la protection et la promotion du logement et de la qualité de vie dans les quartiers centraux de la ville. La priorité sera d’autoriser les fonctions économiques et les bureaux dans la ville, y compris dans les quartiers résidentiels de celle-ci. Cela au nom de la primauté donnée au développement économique tertiaire sur la planification et la régulation des fonctions urbaines. On passerait ainsi de la notion de “mixité habitat-entreprises” à celle de “mixité habitat-bureaux” ce qui ne correspond pas vraiment à un projet de ville durable…

 

Le PRAS en quelques mots...

Le PRAS est le Plan régional d'affectation du sol. C'est le Plan du Bruxelles de demain qui se dessine à travers un jeu complexe de limites réglementaires et administatives. Il remplace le Plan de secteur de 1979 et la carte des affectations du sol du Plan régional de développement (le PRD). Élaboré par la Région bruxelloise, il s'applique à tout son territoire et a déjà valeur réglementaire. Il comprend plusieurs documents. Tout d'abord, deux cartes qui relèvent la situation existante de droit et de fait et tous les PPAS (Plans particuliers d'aménagement des sols) ou plans de lotissements effectifs. Il y a ensuite les cartes normatives. La principale est la carte d'affectation du sol, qui est complétée par la carte des superficies de bureaux admissibles par îlot. Il y a aussi deux cartes relatives aux voies de communication, l'une pour les voiries, l'autre pour les transports en commun. Ces cartes ne seraient rien sans le cahier des prescriptions urbanistiques, qui définit ce que l'on peut ou on ne peut pas faire dans chaque zone et qui fixe quelques règles générales (zones d'habitation, de mixité, d'industrie, administratives, zones d'espaces verts, etc.). Enfin, il y a la liste des prescriptions d'autres plans (plan de secteur et PPAS) que le PRAS veut modifier et qu'il suspend.

Le Gavroche

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