Dans une large mesure, le système des titres-services est le successeur des Agences locales pour l’emploi (ALE). Au moment de sa création, en 1987, le régime des ALE se présentait essentiellement comme un assouplissement des règles ordinaires en matière de travail autorisé aux chômeurs. Il s’agissait de permettre à des chômeurs qui n’espéraient plus concrètement obtenir un emploi à temps plein d’arrondir leurs fins de mois en prestant quelques heures de « petit boulot ». Cette idée correspondait à une revendication de l’action des sans-emploi de la CSC.


Entre 1994 et 1999, les ALE ont été une composante à part entière de la politique de l’emploi au niveau fédéral. Toutes les communes ont été tenues d’instituer une ALE. Les chômeurs de longue durée ont été « inscrits d’office » dans les ALE. Pour eux, l’occupation en ALE a été assimilée à un emploi convenable : au moins en théorie, le refus ou l’abandon d’une telle occupation était désormais passible de sanction, comme le refus ou l’abandon d’emploi convenable. La coalition au pouvoir à partir de 1999 a voulu changer de cap. À partir de 2004, les activités d’aide ménagère à domicile ont été retirées aux ALE pour être attribuées aux titres-services 1. En dehors de mesures transitoires, le système des ALE subsiste pour les activités suivantes, non ouvertes aux titres services :
– services aux particuliers : aide à la surveillance ou à l’accompagnement de personnes malades ou d’enfants ; aide à l’accomplissement de formalités administratives ; aide au petit entretien de jardin ;
– pour le compte des autorités locales : protection de l’environnement, sécurité dans les quartiers, accompagnement des enfants, des jeunes et des personnes socialement défavorisées, activités socioculturelles occasionnelles ;
– dans le secteur privé non-marchand : aide à l’occasion de manifestations sociales, culturelles, sportives, caritatives ou humanitaires ; accueil des enfants avant et après l’école ; activités parascolaires ; accompagnement des enfants lors d’activités, aide au service de bus scolaire ;
– travaux temporaires ou saisonniers dans l’agriculture et l’horticulture, en précisant que les travailleurs ne peuvent conduire des machines agricoles ni travailler avec des produits chimiques ou des pesticides, et que le système ne peut pas être utilisé dans les secteurs de la culture des champignons et des parcs et jardins.
En 2003, au « faîte de sa gloire », le système ALE concernait environ 40 700 personnes. Malgré le développement fulgurant des titres-services et la reprise par ce dernier système d’un de ses principaux « marchés », les ALE occupent toujours en moyenne plus de 23 000 personnes, prestant un peu plus de 9 millions d’heures. Il est vrai que ces chiffres sont en baisse constante. Signalons — ce n’est pas sans importance — que, bien que majoritairement féminin, le système des ALE occupe tout de même 29 % d’hommes, et que la répartition régionale s’écarte aussi de ce qu’on a vu pour les titres-services : 48 % pour la Wallonie, 44 % pour la Flandre, 8 % pour Bruxelles. Le développement des titres-services ne s’est donc fait que pour partie au détriment des ALE.

Différences

Le système des ALE partage avec celui des titres-services l’idée que les « activités de proximité », souvent confinées dans le travail informel (c’est-à-dire généralement illégal), représentent un important gisement d’emplois. Il a également expérimenté le système de paiement par « chèques » qui favorisent la transparence des rémunérations et ouvrent le droit à des déductions fiscales dans le chef de l’utilisateur. Également commune aux deux systèmes est la relation triangulaire qui s’instaure entre le travailleur, l’employeur et l’utilisateur, qui permet à l’utilisateur d’exercer une part de l’autorité patronale sur le travailleur, sans assumer les obligations, notamment administratives, que cela comporte. Cette relation se distingue fondamentalement de systèmes où l’utilisateur est un client ou un usager du service, sans avoir de pouvoir direct sur le travailleur, comme dans le cas de services d’aide familiale.
Mais il existe aussi des différences substantielles entre les deux systèmes. Les ALE sont des ASBL communales, avec participation des partenaires sociaux locaux, qui disposent d’un monopole pour les services concernés. Dans le secteur des titres-services joue, comme on l’a vu, une concurrence entre des opérateurs de différents types. Les rapports publiés ne permettent pas d’évaluer les mérites et les défauts respectifs des deux systèmes. A priori, selon l’état du « marché », la concurrence peut profiter soit aux utilisateurs, soit aux travailleurs. Les utilisateurs peuvent changer d’opérateur s’ils ne sont pas satisfaits des travailleurs qu’on leur envoie, et pourraient donc inciter les entreprises soit à faire davantage pression sur leurs travailleurs pour satisfaire le client, soit à se débarrasser des travailleurs qui ne donnent pas satisfaction. Mais les travailleurs peuvent aussi faire pression sur leurs employeurs, en menaçant de quitter l’entreprise « avec leurs clients » si on ne leur accorde pas des avantages supplémentaires. Les études et les échos qui viennent du terrain suggèrent que les deux phénomènes coexistent.
L’activité « titres-services » s’effectue dans le cadre ordinaire de la législation du travail. On a vu que la qualité du travail n’était pas homogène d’une entreprise à l’autre. Mais il n’y a pas de raison de penser que la législation sociale est moins bien respectée dans le secteur des titres-services que dans d’autres secteurs de services, comme le travail intérimaire, le nettoyage, l’horeca, etc. Le système présente même des garanties supplémentaires, en ce que le respect de la législation sociale fait partie des conditions d’agrément des entreprises.
Le cadre ALE, par contre, est entièrement spécifique. Sans être totalement vide, le statut social de l’occupation en ALE ne peut pas se comparer à celui du travail salarié ordinaire. Ce qui a permis d’intégrer les travailleurs titres-services dans un cadre juridique normal, et constitue, il faut bien le dire, la différence essentielle avec les ALE, est la massive intervention de l’État dans le coût des titres-services. Dans le système des ALE, le chèque n’est pas perçu par l’ALE elle-même, autrement dit par l’employeur, mais par le travailleur en même temps que ses allocations de chômage. L’ONEm paie à l’ALE une intervention par chèque pour couvrir ses frais de fonctionnement et financer certaines initiatives sociales en faveur des travailleurs — par exemple de la formation — mais cette intervention est sans commune mesure avec celle qui est payée aux entreprises titres-services. Celle-ci est aussi largement supérieure au montant de l’allocation de chômage qui reste payée au travailleur ALE. Et on ne compte pas les autres aides, non spécifiques au secteur, dont peuvent bénéficier les entreprises titres-services. On peut d’ailleurs trouver paradoxal que la subvention des titres-services soit largement supérieure à celle des ALE, alors qu’en fonction du profil des travailleurs visés et de la nature des besoins rencontrés, une subvention de ces dernières paraît plus facile à justifier selon les critères habituels de la justice distributive et de l’utilité commune.
Une autre différence est que, conçu au départ pour des chômeurs qui avaient dû faire leur deuil de l’emploi ordinaire, le système ALE repose sur le principe que la rémunération de l’activité est intégralement cumulable avec l’allocation de chômage, mais que le nombre d’heures que l’on y preste est strictement plafonné. Pour les chômeurs qui ont la possibilité de travailler davantage, le système ne permet pas d’effectuer une transition souple vers un emploi de plus grande ampleur. Au contraire, il comporte un très puissant « piège de l’inactivité ». Pour certains travailleurs, il est financièrement plus avantageux de travailler quelques heures par mois en cumulant la rémunération avec une allocation de chômage, que de travailler à temps partiel, voire à temps plein, dans le cadre ordinaire des allocations de chômage. C’est un des paradoxes auxquels on s’est heurté en instaurant le système des titres-services, et une des raisons pour lesquelles il a fallu prévoir des phases transitoires.
Le développement des titres-services, surtout à partir de 2004, a entraîné une importante diminution de l’emploi en ALE. Le paradoxe veut cependant que, malgré son encadrement juridique peu satisfaisant, l’occupation en ALE peut être financièrement plus attractive qu’un emploi ordinaire à temps partiel, voire à temps plein. Ce paradoxe vient des inconséquences de la réglementation du chômage quant à la possibilité de prester des activités incomplètes tout en bénéficiant d’allocations de chômage. La réglementation prévoit une grande variété de systèmes, dont aucun n’est aussi favorable que le cumul intégral permis par le système ALE. Une révision de ces règles, par exemple sur le modèle de ce qui a été institué dans l’assurance maladie, est sans doute une condition pour un développement logique et harmonieux d’emplois de ce type.
Hormis l’aspect financier, certains travailleurs pourraient préférer la souplesse du cadre ALE aux rigidités de la réglementation du travail, même si le but premier de celle-ci est de protéger le travailleur lui-même 2, et malgré les spécificités admises par cette réglementation.

Technique de subvention

L’usage du titre-service comme méthode de subvention des emplois de proximité relève d’une mode intellectuelle et politique qu’on retrouve dans d’autres domaines. C’est par exemple selon les mêmes modalités que fonctionne la fameuse « assurance de soins » de la Communauté flamande. Cette mode ne laisse pas de surprendre, car on peut se demander quel est l’avantage de cette modalité par rapport à d’autres techniques de subvention.
Le titre-service est en effet une technique particulièrement rudimentaire puisque le chèque lui-même (l’intervention personnelle de l’utilisateur) et la subvention publique sont d’un montant uniforme en fonction d’un paramètre unique, l’heure de travail. Or, même dans le créneau limité des activités couvertes par le système, et en se limitant au seul point de vue de l’entreprise prestataire, la valeur du service offert n’est pas uniforme. Les rapports soulignent par exemple que c’est au même prix que sont payés le repassage à domicile et le repassage dans les locaux de l’entreprise, alors que les coûts ne sont évidemment pas les mêmes.
Toutes les évaluations s’accordent pour relever, parfois à mi-mots voire entre les lignes, l’« exubérance » de la subvention publique, qui tient essentiellement à son caractère peu ciblé, que ce soit en fonction de la nature du travail, du travailleur ou de l’utilisateur. Significativement, c’est également une des critiques que l’on peut adresser à l’assurance de soins flamande. Mais introduire des catégorisations dans le système lui ferait perdre sa simplicité, surtout du point de vue de l’utilisateur, et multiplierait les risques d’erreurs, voire de fraudes.
Le mérite généralement avancé du titre-service est de permettre de payer une grande variété d’opérateurs concurrents, plutôt qu’un groupe limité d’opérateurs agréés. Il présente ainsi un côté libertaire qui s’oppose à la lourdeur et à la politisation des subventions du secteur non-marchand, sans parler du fonctionnement des services publics. Mais, justement, cet objectif est absent du système, puisque seules des entreprises agréées peuvent en faire usage.
Il existe au moins un autre (gros) secteur où les subventions ne sont pas discrétionnaires, mais attribuées selon des critères objectifs en fonction de la nature de la prestation, de la qualité du prestataire et de la situation sociale de l’utilisateur : c’est le remboursement des soins de santé par l’assurance-maladie. Là, point de circuits compliqués de titres-services : l’utilisateur paie la facture présentée par le prestataire, laquelle doit être conforme à des tarifs imposés. Il présente cette facture à l’organisme assureur, qui les lui rembourse. Pour certaines prestations ou certains utilisateurs, il paie au prestataire sa part d’intervention personnelle, le solde étant payé directement au prestataire dans un régime de « tiers payant » (si on y tient, on peut généraliser cette technique en ce qui concerne les services de proximité). À noter que, comme le « prix de journée » des hôpitaux ou des maisons de repos, le tarif de la prestation peut varier en fonction de paramètres objectifs, par exemple l’ancienneté du personnel (qui est un des problèmes soulevés dans les rapports). La part d’intervention personnelle de l’utilisateur peut également varier, comme le ticket modérateur de l’assurance maladie ou la contribution personnelle des services subsidiés.
Bien entendu, un tel système a son coût, qui ne serait sans doute pas compensé par l’économie sur l’impression et l’acheminement des titres-services par Sodexho et La Poste. Mais il pourrait, par contre, être compensé par le recentrage du système sur les vrais besoins et les vraies priorités, surtout dans un contexte de difficultés budgétaires pour les pouvoirs publics.



1. À partir de 2003, les « assistants de prévention et de sécurité » (APS, parfois appelés aussi « garde-villes ») institués dans le cadre des ALE ont été transférés au système « Activa ».
2. Il faut bien dire que la réglementation du temps de travail, notamment celle des horaires de travail à temps partiel, ne vise pas uniquement la protection du travailleur, mais aussi à éviter la fraude aux allocations sociales. Peut-être y a-t-il d’autres moyens pour rencontrer ce dernier objectif.