Seulement 28% des personnes vues ou interrogées dans les médias de la Communauté française sont des femmes. C’est moitié trop peu, affirment des analystes des médias belges francophones qui, pour la première fois, participent à l’enquête internationale GMMP (Global Media Monitoring Project).

 
Miss Israël est une Barbie de combat », « La policière est aussi l’épouse du chef d’enquête », le journaliste qui rencontre Mélanie Laurent « a de la chance de rencontrer une femme si belle ». Ces quelques phrases sortent tout droit des quotidiens, journaux parlés et télévisés belges francophones datés du 10 novembre 2009. Ce jour-là a en effet servi de « témoin » pour une recherche scientifique internationale soucieuse de déterminer la place et les rôles qu’occupent les hommes et les femmes dans les médias d’information.
Baptisée Global Media Monitoring Project (GMMP), la recherche conclut à un important déficit mondial dans la représentation des femmes dans les quotidiens, les journaux parlés et télévisés, tant quantitativement que qualitativement. Ainsi, seulement 24 % des personnes qui figurent dans l’actualité mondiale sont des femmes. Or, la proportion des femmes dans la société dépasse les 50 %. Le monde tel que le reflètent les médias est donc un monde où une femme sur deux est gommée.
Cette faible présence féminine ne se constate pas seulement en moyenne dans les 108 pays participants à la recherche. Elle apparaît également en Communauté française de Belgique. Là, seulement 28 % des personnes vues ou interrogées dans les médias sont des femmes. Et la moyenne des informations signées ou présentées par des journalistes féminines (35 %) se situe légèrement en deçà de la moyenne mondiale (37%).

Une première en Belgique francophone

L’enquête GMMP existe depuis 1995. Tous les cinq ans, elle dresse un tableau mondial assez fouillé de la représentation des hommes et des femmes dans les médias d’information. Jusqu’en 2005, la Belgique était présente, mais pour la seule partie néerlandophone du pays. Cette année, pour la première fois en Communauté française, une équipe de douze spécialistes des médias (universitaires de l’UCL et des FUCAM, Association des journalistes professionnels, Fédération internationale des journalistes, Université des femmes, etc.) a décidé de participer au projet, avec le soutien de la Direction de l’égalité des chances du Ministère de la Communauté française de Belgique.
De façon générale, les quotidiens et les journaux parlés ou télévisés de la Communauté française de Belgique sous-représentent les femmes :
• 28 % des personnes interrogées, vues ou lues dans les médias de la Communauté française de Belgique sont des femmes, avec une petite pointe à 34 % en télévision. C’est trop peu, même si c’est 5 % de plus que la moyenne néerlandophone, 4 % de plus que la moyenne mondiale 2010, et 11 % de plus que la moyenne mondiale de 1995.
La plupart des constats belges francophones sont dans la droite ligne des tendances observées mondialement :
• Dans les médias analysés en Communauté française, les thématiques phares (les hard news que sont la politique ou l’économie) sont celles où l’on donne le moins à voir les femmes (politique : 26 % de femmes médiatisées ; économie, 20 %). La visibilité des femmes est surtout importante dans les thématiques sociales (42 %), les affaires criminelles (38 %) et la santé (38 %). Ainsi, même dans les matières où les femmes sont pourtant largement plus actives que les hommes (social, santé, famille), leur médiatisation est toujours inférieure à la parité.
• En Belgique francophone comme dans le monde, les femmes figurent rarement dans l’actualité en tant que « personne faisant autorité en la matière ». On les cantonne dans le rôle de la vox populi (de 57 à 70 %), là où les hommes sont porte-paroles (82 %) ou expert (73 %).
• Dans les médias étudiés en Communauté française de Belgique, les femmes ont deux fois plus de « chance » que les hommes d’être identifiées en fonction de leur situation familiale. En effet, 19 % de femmes présentes dans les informations sont décrites en tant qu’épouse, fille, mère. Cette pratique n’a court que pour 8 % des hommes.
• Parmi les 83 items du corpus belge francophone où des femmes apparaissent comme principales protagonistes de l’actualité, seuls 15 articles et/ou billets leur donnent une place véritablement centrale. Cela ne fait même pas un item sur cinq (18 %), ce qui est à peine mieux que la moyenne mondiale (13 %). Sans compter que le choix de ces « rôles principaux féminins » n’est pas anodin : people, victimes ou responsables de l’éducation d’enfants. Pourtant, le 10 novembre 2009, jour du codage, était la veille de la Journée nationale des femmes en Belgique. Cet événement aurait pu renforcer le contenu féminin de l’actualité ; il n’en a rien été.

Peu de femmes journalistes

Les médias belges francophones sont largement en deçà de leurs confrères du monde dans la proportion d’informations transmises par les femmes journalistes.
• Le 10 novembre 2009, la moyenne belge (29%) des signatures de journalistes et présentatrices se situe en deçà de la moyenne mondiale 2010 (37%). En Communauté française de Belgique, les articles et billets rédigés et/ou présentés par des femmes ne dépassent pas 35%. C’est surtout vrai en presse écrite (26%) et en radio (29%); et si l’on gagne peu à peu la parité de « signatures » en télévision (43%), c’est surtout dû au fait qu’il y a majoritairement des femmes présentatrices de journaux télévisés (57%). La situation est pire encore en Belgique néerlandophone où seulement 23% de nouvelles sont présentées ou rédigées par des journalistes féminines. Pourquoi un si faible taux de signature féminine? En toute hypothèse, le faible niveau de féminisation de la profession de journaliste en Belgique pourrait être une des principales explications.
Enfin, l’on se demande fréquemment si les femmes journalistes ont tendance à interroger davantage des femmes que des hommes. L’enquête GMMP apporte un début de réponse.
• Au niveau mondial, le GMMP souligne qu’il y a davantage de femmes « sources principales de l’information » dans les articles, billets et reportages des femmes journalistes que dans les documents produits par des hommes journalistes. Le rapport mondial fait en effet état de 28 % de reportages signés par des femmes journalistes où les femmes sont la principale source d’information, pour seulement 22 % de reportages signés par des hommes.
• Ce constat n’est pas valable pour la Communauté française de Belgique. Les femmes médiatisées comme sources d’information le sont même un tout petit peu moins par les journalistes féminines que par les journalistes masculins. En effet, le rapport belge francophone fait état de 24 % de reportages signés par des femmes journalistes où les femmes sont la principale source d’information, pour 25 % de reportages signés par des hommes. Les femmes journalistes de Belgique francophone recherchent donc moins activement une source féminine que ne le font leurs consœurs du monde.
• Ce relatif « détachement » des journalistes belges francophones pour les sujets féminins s’observent également dans les articles et billets où les femmes jouent un rôle important, notamment en tant que principale protagoniste de l’actualité. Dans ce cas, seuls 28 % des 83 items du corpus belge francophone sont rédigés par des journalistes féminines.

Le fait divers et le people

Situer proportionnellement la place des hommes et des femmes dans les médias ne dit cependant rien sur la manière dont sont traités ces protagonistes de l’information. L’analyse quantitative a donc été complétée d’une courte analyse qualitative, afin de donner de la chair aux chiffres. Ce parcours interprétatif détermine non pas combien, mais comment les hommes et les femmes sont représentés dans les nouvelles.
L’analyse qualitative a été menée sur 25 articles et billets de médias belges francophones sélectionnés parce qu’étant les plus typés du corpus : soit qu’ils renforçaient, soit qu’ils dénonçaient les stéréotypes sexués. De l’analyse de ces cas exemplaires, il ressort que deux hypothèses méritent d’être creusées à travers un corpus plus étendu et donc forcément moins «typé» :
• L’analyse qualitative recommande d’être particulièrement attentif au traitement stéréotypé de l’information dans deux thématiques : le fait divers (surtout criminel) et la culture people.
• L’analyse qualitative montre qu’il est pertinent de se poser la question de l’impact du sexe du journaliste sur le discours médiatique. En Communauté française de Belgique, les journalistes féminines observent une distance prudente par rapport aux sujets féminins. Mais ce constat ne vaut ni en Flandre, ni dans le monde. Il mériterait donc d’être creusé.
Par ailleurs, il serait tout aussi intéressant de travailler non seulement en amont, sur la manière dont se produisent les nouvelles et sur le contenu qu’elles véhiculent (ce qu’a fait cette recherche), mais également en aval, sur la réception des contenus médiatiques auprès des lecteurs et lectrices.
• A ce niveau, l’analyse qualitative invite à s’interroger sur la mise en exergue de femmes ou d’hommes d’exception, sortant du rôle auquel les stéréotypes les assignent traditionnellement. Cette exposition médiatique peut en effet avoir un effet positif sur les récepteurs et réceptrices, par identification (ex. : le portrait d’une femme cheffe d’entreprise convainc d’autres femmes qu’elles peuvent obtenir des postes à responsabilités). Mais l’exposition médiatique peut également avoir pour effet contreproductif de renforcer les stéréotypes sexués, par effet de miroir (ex. si une femme est montée en épingle parce qu’elle devient cheffe d’entreprise, cela sous entend qu’une femme « normale » n’en est pas capable).

Et maintenant, que fait-on ?

L’enquête GMMP n’est pas une fin en soi. Ce qui importe, ce ne sont pas tellement les résultats, mais bien les réflexions et les actions qu’ils vont susciter chez les journalistes, les communicateurs (porte-paroles, attaché-e-s de presse), les enseignant-e-s qui les forment et les instances politiques et de régulation des médias. Autrement dit : «Voici les chiffres, voici les rôles dans lesquels sont parfois enfermés les hommes et les femmes. Qu’en pensez-vous ? En étiez-vous conscient-e-s ? Et maintenant, que fait-on?».
Une terrible réponse au déséquilibre constaté serait de considérer que «la société est comme ça» — inégalitaire —, que le média en est le « simple » miroir, et que donner plus de place aux femmes dans l’information serait tronquer la réalité.
Certes, tout journaliste a un devoir de vérité. Inutile d’interviewer à tout prix un homme ou une femme là où il n’y en a pas. Mais tout journaliste est également acteur, actrice d’évolution sociale. Pourquoi dès lors ne pas être attentif à l’égalité entre hommes et femmes ? Cette question touche à la fois à la qualité de l’information et à l’amélioration du fonctionnement de la société…



1. www.whomekesthenews.org
2. Le corpus sélectionné et analysé était composé de: 3 supports (presse écrite, radio, télévision), 9 médias (Le Soir, La Dernière Heure, Vers l’Avenir, La Première, Bel RTL, Fun Radio, La Une, RTL-TVi, Télésambre), 148 articles ou billets audiovisuels (59 en TV, 43 en radio, 46 en presse écrite) ramenés à 142 items dans la base de données, 331 personnes évoquées ou interviewées (94 femmes et 237 hommes) par 195 journalistes et présentateurs ou présentatrices (70 femmes et 125 hommes)