Clarifier les relations entre le monde associatif et les autorités publiques – mandataires politiques et administrations – en vue, notamment, de souder un front unique face aux menaces de libéralisation et de privatisation qui pèsent sur une série de séries de services d’intérêt général, et plus spécifiquement sur les services sociaux : voilà le but avoué des trois gouvernements francophones (Communauté française, Région wallonne et Cocof) lorsqu’ils ont inscrit la conclusion d’un « Pacte associatif » dans leur accord politique de début de législature. Avant d’évoquer, dans la prochaine livraison de Démocratie, l’état d’avancement de ce projet et ses perspectives à moyen terme, seront ici abordés le contexte international dans lequel s’inscrit cette volonté de dialogue en même temps que les spécificités du « modèle belge » en matière de relations entre État et associations.

Historiquement, la liberté d’association a été inscrite dans la constitution dès 1831, sous la forme d’un article (20) qui n’a jamais été modifié depuis : « Les Belges ont le droit de s’associer ; ce droit ne peut être soumis à aucune mesure préventive. » Il a cependant fallu attendre 90 ans, et la loi sur les associations de 1921 (revue en 2002), avant que ce principe constitutionnel ne reçoive un cadre légal et que les associations puissent sortir tant soit peu de la précarité juridique qui les menaçait. Mais avant même l’obtention de ces garanties, la Belgique s’est caractérisée par un enracinement associatif fort et institutionnalisé. Si l’on accepte de considérer que l’engagement associatif poursuit, à doses variables, trois finalités – la prestation de services d’intérêt collectif voire public, le changement de la société et des mentalités, le renforcement du lien social –, force est de constater que le paysage institutionnel belge a été marqué très tôt et très profondément par le développement d’associations visant principalement, mais pas exclusivement, la première de ces finalités. C’est notamment la forte présence associative dans des secteurs tels que l’enseignement ou la santé qui constitue l’exception belge. De part et d’autre, la coexistence des services publics organiques et des services associatifs collectifs s’est essentiellement vécue sur le mode de l’opposition et de la concurrence plutôt que de la complémentarité, avec des points d’orgue tels que les deux épisodes de la guerre scolaire de 1879 à 1884, puis de 1954 à 1958. Un des enjeux du présent processus est évidemment d’esquisser une sortie de cette histoire conflictuelle.

Une identité associative

Si le processus de dialogue entamé autour du Pacte vise, à terme, à clarifier les missions de chacun des partenaires, autorités publiques d’une part, monde associatif de l’autre, il interroge aussi, comme par ricochet, l’identité du monde associatif lui-même, ou plutôt leurs identités encore multiples. C’est en effet la question d’une identité commune à l’ensemble du secteur associatif qui est indirectement posée par le Pacte. Et ce, dans un pays où le système dit des « piliers » a traditionnellement favorisé le côtoiement de plusieurs mondes associatifs parallèles au sein desquels le sentiment d’appartenance verticale – au pilier chrétien, socialiste ou libéral – primait sur l’appartenance horizontale – au monde associatif. Ce dernier s’éprouvait alors comme fondamentalement pluriel, face à un monde politique tout aussi pluriel, au sein duquel chacun trouvait des relais privilégiés : l’image qui vient à l’esprit est donc celle d’une série de courroies de transmission parallèles et indépendantes. Par la mise en scène d’un face-à-face de type nouveau entre l’associatif et le politique, le processus d’élaboration du Pacte pourrait donc renforcer, d’une manière non intentionnelle et non concertée, l’émergence d’une identité commune aux différents pans du monde associatif, une identité où les différends idéologiques et les antagonismes historiques s’estomperaient derrière les caractéristiques partagées. Du côté flamand, cette dynamique a déjà trouvé une incarnation institutionnelle depuis quatre ans. C’est en effet en 2002 qu’ont été lancés les « États généraux de la société civile » (Staten-Generaal van het middenveld). Rebaptisée depuis lors « Les associations réunies » (De verenigde verenigingen), cette plate-forme de collaboration autonome rassemble près d’une centaine d’associations, de fédérations et autres organisations de la société civile allant de Gaia à Oxfam en passant par les syndicats et les mutualités 1. Elle se donne comme objectifs de collecter les avis de ses membres mais aussi des « simples citoyens », de les canaliser et de les transmettre vers le monde politique. Reste à voir si ce type de recomposition du paysage socio-politique, à partir d’intérêts vécus comme convergents, paraît accessible en Communauté française, s’il est désirable… et désiré par les principaux concernés.

Front commun versus gouvernance

Si, en Communauté française, l’origine alléguée du Pacte réside dans la volonté de réunir les forces associatives et politiques dans une espèce de second front uni face à l’ennemi commun de la marchandisation, ailleurs, c’est aussi – et surtout – le concept de nouvelle gouvernance et le constat de crise de la démocratie représentative qui constituent les points de départ des différents pactes. Un livre récent permet par exemple de se faire une idée plus précise de la façon dont se modèlent, au niveau supranational, les relations entre ONG, et État – mais aussi entreprises, puisque ces dernières se trouvent associées à la démarche du Global Compact, espèce de Pacte associatif pour les institutions internationales 2. Les approches sociologiques, juridiques et politologiques convergent vers le même diagnostic de recul de la puissance étatique dans les processus de légitimation des politiques menées et de montée en puissance corrélative d’un mode de légitimation plus « inclusif », reposant sur une pluralité d’acteurs : « Dans ses différents aspects, écrivent les auteurs, la gouvernance conduit également à relativiser le fondement représentatif de la légitimité démocratique de l’État à la faveur d’une nouvelle relation gouvernants-gouvernés. C’est désormais la participation de la société civile au processus décisionnel qui est promue comme critère indispensable à la prise de décision légitime ». Au niveau international, c’est donc moins le modèle du front commun contre la marchandisation qui préside au processus de dialogue civil, que l’affaiblissment du politique lui-même.
Reste que si de telles préoccupations quant aux changements de registre de légitimité ne sont pas totalement absentes des réflexions menées en Communauté française, ce sont surtout des soucis beaucoup plus prosaïques qui sont au cœur des revendications associatives : paiement tardif des subsides, précarité des projets menés face aux changements de majorité politique, obsession de l’évaluation quantitative de la part des administrations… À lire les résultats d’une enquête réalisée auprès de 35 responsables de fédérations associatives, la dynamique de ces dernières années paraît toutefois positive : une majorité d’entre eux estime ainsi qu’entre 2000 et 2005 les relations avec les pouvoirs publics régionaux et communautaires ont évolué favorablement 3. Moins affirmée en Communauté française qu’en Flandre, cette tendance à l’amélioration apparaît également moins marquée dans les relations avec les pouvoirs locaux, et même inversée (hausse du niveau d’insatisfaction) vis-à-vis des autorités fédérales : de l’eau au moulin de ceux qui réclament que le dialogue entre associations et autorités publiques ne soit pas mené aux seuls niveaux régional et communautaire, mais qu’y soient également impliqués les acteurs communaux, provinciaux et fédéraux. Ainsi, le MOC proposera-t-il aux nouvelles majorités fraîchement constituées après les élections du 8 octobre de signer un « contrat associatif entre la commune et les associations » visant notamment à garantir une égalité de droit entre opérateurs publics et associatifs ainsi que la diffusion non discriminatoire des informations destinées aux associations 4. Quels que soient la nature et le contenu exacts du texte issue du processus actuel, un des enjeux majeurs auxquels ses promoteurs auront à faire face sera bel et bien de le diffuser aussi largement que possible dans tous les maillons de la chaîne associative , et de ne pas le cantonner à un accord technocratique entre élites et fédérations.

La société civile : combien de divisions ?

Au 31 décembre 2004, le nombre d’asbl répertoriées au Moniteur était de 113 513, un chiffre en augmentation constante, dont il faut cependant déduire plus d’un tiers pour tenir compte des associations qui, sans avoir publié d’actes de dissolution, ont cependant cessé toute activité. Quant aux asbl employant du personnel sur fonds propres – à l’exclusion du personnel mis à disposition par les pouvoirs publics, donc –, elles sont 15 170 et leur contribution à la création d’emplois est loin d’être négligeable 1. En 2001, en effet, c’était 333 878 salariés qui travaillaient pour des associations, soit 9,6 % de l’emploi salarié belge. Cette proportion, qui est déjà l’une des plus élevées au sein des pays analysés par la Johns Hopkins University, monte même à 14,5 % (soit 503 506 salariés) si l’on y inclut les données estimées pour le « service public fonctionnel » que constitue l’enseignement libre 2.
Il va de soi que la valeur sociale du secteur associatif ne se résume pas à sa masse salariale mais inclut aussi, et peut-être surtout, les activités bénévoles (ou plutôt volontaires selon les termes de la nouvelle loi les concernant). Une étude quantitative minimale, portant uniquement sur la minorité d’associations qui emploie du personnel salarié, a évalué à 140 millions, le nombre annuel d’heures « données » à celles-ci par des volontaires. En équivalent temps plein, ces millions d’heures représenteraient plus de 76 000 postes de travail 3 ! Un chiffre qui ne tient pas compte de la plus-value en termes de cohésion sociale, qui découle de cet engagement massif.


1. Le secteur associatif en Belgique, une analyse quantitative et qualitative, une étude réalisée pour la Fondation Roi Baudouin par le Centre d’économie sociale de l’Ulg et le Hoger Instituut voor de Arbeid de la KUL. Elle est consultable sur le site de la Fondation : http://www.kbs-frb.be/
2. Lancé en 1990 par la Johns Hopkins University (Washington), le Comparative Non Profit Sector Project (CNP) cherche à étudier le rôle, l’étendue, la structuration et le financement du secteur associatif (Non Profit) dans une quarantaine de pays. Il fournit ainsi des comparaisons internationales à la fois éclairantes et sujettes à caution tant les genèses, enjeux, alliances et rapports de force varient d’un pays à l’autre. Bon nombre de données brutes et d’analyses sont disponibles sur le site du centre : www.jhu.edu/~cnp/
3. Mertens, S. & Lefebvre, M., « La difficile mesure du travail bénévole dans les institutions sans but lucratif » in Institut des Comptes nationaux, Le compte satellite des Institutions sans but lucratif 2000 et 2001, Banque nationale de Belgique et Centre d’économie sociale de l’ULg, 2004.

1. La plate-forme s’est dotée d’un site où selle présente ses objectifs et dresse la liste de ses membres : www.middenveld.be.
2. Angelet, N., Corten, O., Frydlman, B., Klein, P. Weerts, L. & alii, Société civile et démocratisation des organisations internationales, Academia Press, 2005.
3. Ces données sont tirées de Le secteur associatif en Belgique, une analyse quantitative et qualitative, une étude réalisée pour la Fondation Roi Baudouin par le Centre d’économie sociale de l’Ulg et le Hoger Instituut voor de Aarbeid de la KUL. Elle est consultable sur le site de la Fondation: http://www.kbs-frb.be/
4. Un exemplaire type de ce contrat est disponible à l’adresse www.moc.be (cliquer ensuite sur « Congrès 2006 »).

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