La réforme de la loi de 1921 relative aux asbl aura fait couler beaucoup d’encre et s’agiter encore plus de monde. Plus de 110.000 associations sont potentiellement concernées. Principal enjeu: l’avenir de la vie associative, rien que ça! État des lieux et points de vue du secteur.

 

 

Le projet de loi modifiant la loi de 1921 sur les asbl déposé par les ministres Di Rupo, Van Parijs et Viseur et approuvé par le Gouvernement, est en discussion actuellement en commission de droit commercial de la Chambre et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne fait pas que des heureux dans le monde associatif… À la demande de l’opposition, la commission a auditionné des représentants du secteur (MOC, Test-Achats, Confédération et Union francophone des entreprises du non-marchand, enseignement libre, etc.), de la Justice et du ministère des Finances. Une audience qui laisse apparaître quelques “lézardes” dans les rangs de la majorité… et un secteur associatif très diversifié, sans véritable porte-parole.
Justification de la réforme? Officiellement, la nécessité de rendre la loi belge conforme au droit européen en supprimant la condition actuelle de nationalité et de résidence imposée aux membres des associations. Mais dans la foulée le ravalement de façade (utile par ailleurs) a mené à un véritable chantier qui transforme jusqu’aux fondations.
Le projet de loi, revenu du Conseil d’État le 16 juillet 98, propose pas moins de 36 modifications au texte actuel relatif aux asbl dont, selon l’exposé des motifs, les objectifs seraient: d’assurer plus de sécurité pour les tiers, d’éviter l’utilisation abusive de la forme d’asbl, de rationaliser et de moderniser le dispositif légal.
Entre autres réformes, le projet imposerait:

  • la centralisation (dans un dossier à déposer au tribunal de première instance et accessible au public) de toutes les informations relatives à chaque asbl (actes et comptes annuels),
  • un nouveau régime “simple mais complet” de publicité des actes de chaque association (composition de l’assemblée générale et du conseil d’administration, les statuts et les modifications);
  • des sanctions aux manquements à ces nouvelles formalité
  • une nouvelle procédure en dissolution des associations inactives;
  • la tenue par les associations “importantes” d’une comptabilité compatible avec la loi du 17 juillet 1975 relative à la comptabilité et aux comptes annuels des entreprises.

Le tout étant de savoir ce que les auteurs du projet entendent par “associations importantes”. En principe, ce sont celles dont les revenus excéderont un montant fixé par arrêté royal. Ce montant n’a pas encore été déterminé mais il devrait se situer entre 7 et 20 millions. Par ailleurs, ces asbl devraient occuper entre 5 et 20 travailleurs (1). D’autre part, les associations dépassant “les seuils de définition des petites et moyennes entreprises prévues par la loi comptable” devraient faire contrôler leurs comptes par un réviseur d’entreprises. La loi comptable impose des réviseurs aux sociétés qui dépassent l’un des critères suivants: 50 travailleurs occupés en moyenne annuelle, 200 millions de chiffre d’affaires annuel hors TVA, bilan total de 100 millions sauf si le nombre de travailleurs occupés en moyenne annuelle est supérieur à 100.
L’esprit du projet pourrait donc se résumer ainsi selon ses auteurs: plus de transparence afin de lutter contre l’utilisation abusive de la figure de l’association.

Balayons d’abord du côté des greffes…
Les principales pierres d’achoppement? Les contrôles pratiquement inexistants, la consolidation des comptes pour les grandes asbl et l’article 3 du projet qui définit le statut d’asbl. Premier désaccord: les contrôles. Si, du côté des associations, on admet qu’un petit nombre d’entre elles ne respectent pas toutes les obligations légales, il n’est toutefois pas nécessaire d’alourdir les formalités, ce qui porterait atteinte au principe de la liberté d’association. Il faut en outre distinguer des asbl tels Fabrimétal ou Touring secours des petites associations comme le club de foot ou l’école de devoirs du quartier qui ont déjà suffisamment de mal à survivre sans encore les étouffer sous les démarches administratives. Il suffirait d’effectuer les contrôles tels que prescrits par la loi et les escrocs comme “SOS Sahel”, l’asbl de Nihoul, seraient vite débusqués. Mais voilà, les greffes des tribunaux de première instance chargés en première ligne de vérifier les documents apportés sont surchargés et accomplissent des tâches plus urgentes en termes de priorités sociétales. La main-d’œuvre et le matériel informatique font cruellement défaut. “$Pourquoi dés lors ne pas commencer par remédier à ce problème et appliquer tout simplement la loi?$”, s’interroge J-F. Godbille, juge d’instruction, auditionné par la commission. Bonne question…
Deuxième désaccord: l’analogie qui a été faite avec les sociétés commerciales pour ce qui concerne la consolidation des comptes. En société commerciale, le droit de vote est lié au nombre de parts en capital, ce qui peut permettre à une seule personne détentrice de nombreuses parts dans plusieurs sociétés de les contrôler. En asbl, le principe étant “un homme, une voix”, la consolidation n’a pas de sens.

Question de définition…
Quant à la définition proposée par le projet de loi, elle constitue la troisième pierre d’achoppement: “L’association sans but lucratif est celle qui, poursuivant un but désintéressé, exerce une ou plusieurs activités principales non lucratives et ne cherche pas à procurer un bénéfice patrimonial pour elle ou ses membres. Elle peut se livrer à des activités lucratives à condition qu’elles soient accessoires à une activité principale non lucrative et que les bénéfices qui en résultent soient entièrement affectés à la réalisation du but désintéressé de l’association”. L’interpréation de cette disposition conduit à permettre aux asbl de se livrer, à titre accessoire, à des opérations lucratives non commerciales. Les opérations lucratives commerciales leur seraient par contre interdites, ce qui serait en totale contradiction avec la doctrine et jurisprudence majoritaire actuelle. Selon Michel Davagle (2): “$Ces intentions louables cachent mal la volonté des promoteurs du projet de remodeler le visage des asbl et donc de redéfinir leur place dans notre vie sociale. La définition est dés lors au centre d’enjeux importants$.” (3) Considérant que la définition figurant dans le projet de loi est trop restrictive, les représentants du monde associatif revendiquent l’idée selon laquelle une asbl doit pouvoir exercer une activité lucrative à titre principal (et non seulement à titre accessoire) pour autant qu’elle affecte les bénéfices dégagés au but désintéressé de l’association. On se rapprocherait ainsi de la définition de l’association européenne: “$L’association sans but lucratif est celle qui, poursuivant un but supérieur, ne cherche ni son propre enrichissement ni l’enrichissement direct de ses membres$”. Selon le MOC, lui aussi auditionné, “$l’article 3 de l’avant-projet de loi donne au gouvernement le pouvoir totalement anti-démocratique de définir préalablement ce qu’est une “vraie” association sans but lucratif. C’est le pouvoir politique en place qui va opérer un tri en amont entre les associations qui lui conviennent et les autres (les autres, ce seront celles qui seront bien gérées et qui disposent d’un patrimoine). Inacceptable! Il n’y a pas lieu pour nous de changer la loi de 21 pour pouvoir repérer les vialins canards (sectes, fausses asbl, etc.). La preuve, c’est qu’on l’a fait lors de la Commission d’enquête sur les sectes. Cela, c’est un problème qui relève de la justice$”.La majorité elle-même a qualifié la nouvelle définition de “dangereuse”. Elle a d’ailleurs déposé un amendement visant à supprimer l’article qui changeait la définition actuelle (art. 3 du projet).
Il nous faut également signaler un point important du projet sur lequel l’Association pour une éthique dans les récoltes de fonds, l’AERF, a attiré l’attention du politique: le nombre requis de personnes pour constituer une asbl. Actuellement, trois personnes sont nécessaires. Le projet prévoit de réduire ce nombre à deux, par analogie avec les sociétés commerciales. Un détail sans doute, mais qui va renforcer le risque de confusion de patrimoine (un couple peut constituer une asbl à lui seul) et de diminuer le contrôle interne (effectué par l’assemblée générale) au profit d’un contrôle externe plus important. Sans compter que des associations à ce point “micro” risquent de dénaturer l’image du secteur associatif. Pour un projet qui réclame plus de transparence, on se serait attendu à un renforcement du nombre de personnes et non à une diminution.

Du plomb dans l’aile…
Malgré la volée de bois vert lancée par les associations auditionnées le 18 janvier en commission, il est indéniable pour celles-ci que le grand âge de la loi actuelle (78 ans), combiné à l’évolution juridique en la matière, a donné naissance à certains vides juridiques, jurisprudences opposées et querelles doctrinales. Il est donc temps que le secteur se positionne sur les éventuelles modernisations qu’il y aurait lieu d’opérer à la loi de 1921. Mais il serait souhaitable que le projet se fasse dans une réforme globale, en concertation avec les associations et en se donnant du temps. Et non pas dans la précipitation actuelle pour, à tout prix, faire aboutir le projet avant la fin de la législature.
Le message semble être bien passé auprès de la commission. Seuls quelques toilettages de textes pourraient éventuellement être adoptés d’ici juin 99, notamment ceux imposés par la réglementation européenne (suppression de toute condition de nationalité et de résidence dans la composition de l’association). Ce qui somme toute est une avancée indéniable… Il reste maintenant au secteur à s’organiser pour l’après-élection.
Catherine Morenville

 

  • “Une loi pour faire le ménage”, John Erler, in $Le Matin$ du 15/01/99.
  • Michel Davagle est professeur à l’Institut supérieur provincial de formation socioéducative de Namur et aux cours pour éducateurs en fonction de Liège, président de l’asbl SÉMAFOR d’Ans (Liège).
  • Intervention de Michel Davagle lors de l’après-midi d’études du CEPESS le 11 décembre 1998.


     

    La loi actuelle
    L’asbl est une structure juridique que privilégient de nombreux acteurs de la vie économique, sociale et culturelle. Ces dernières années ont vu une augmentation impressionnante du nombre d’asbl même si toutes ne sont pas actives et si certaines d’entre elles dorment plutôt qu’elles ne meurent! Par ailleurs, le monde des asbl se caractérise par la grande diversité tant de ses domaines d’intervention (humanitaire, religieux, sanitaire, touristique, éducatif, etc.) que de sa taille (en budgets gérés et en nombre de personnel occupé), de son périmètre d’intervention (certaines asbl sont internationales, fédérales, régionales voire communautaires), de la nature de ses ressources (subventions, cotisations, dons, bénévolat, prestations de services) et de son mode d’organisation (asbl ne reposant que sur du bénévolat et/ou sur une organisation structurée).
    La loi du 27 juin 1921 relative aux asbl définit cette dernière par la négative, c’est-à-dire en reprenant le type d’activités non autorisées dans son chef. L’asbl est dès lors décrite comme une association ne se livrant pas à des opérations industrielles ou commerciales ou qui ne cherche pas à procurer à ses membres un gain matériel. La doctrine et la jurisprudence ont pourtant unanimement admis la faculté pour les asbl de se livrer accessoirement à des activités commerciales et industrielles. Il est par ailleurs enseigné traditionnellement que les deux conditions mentionnées dans la définition de l’asbl sont cumulatives (ce qui signifie concrètement que le ou devrait se lire et). Ainsi, une asbl digne de ce nom doit s’abstenir d’accomplir à titre principal, des actes de commerce et ne pas chercher à procurer à ses membres un gain matériel.

    C.M.
    Source: “De nouveaux défis pour les ASBL”, Non-Marchand, Management, Droit et Finance, n°1/1998, éd. De Boeck Université, Louvain-la-Neuve, 1998.