Tout comme à Bruxelles, en Wallonie, les politiques d’accueil des primo-arrivants varient bien souvent d’une commune à l’autre et d’une sous-région à l’autre. Mais la Région wallonne est-elle prête à mettre en place un parcours d’intégration structuré comme en Flandre ou comme on en discute à Bruxelles ? Rien n’est moins sûr…

 

En Région wallonne, c’est le ministre de la Santé, de l’Action sociale et de l’Égalité des chances qui dispose du pouvoir décrétal en matière d’accueil des primo-arrivants (PA). Le décret « relatif aux personnes étrangères et d’origine étrangère » adopté en 1996 a ainsi créé six Centres régionaux d’intégration (les CRI), un septième arrivera plus tard, à qui il confie un large champ de mesures généralistes dont aucune ne s’adresse spécifiquement aux primo-arrivants. « La politique menée vis-à-vis des personnes de nationalité ou d’origine étrangère s’appuie sur des initiatives régionales et communales, explique le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme. Ces initiatives diffèrent d’une sous-région à l’autre, d’une ville/commune à l’autre. Le Fonds d’impulsion à la politique des immigrés (Fipi) financé par la Loterie nationale, complète ce dispositif d’aide aux opérateurs wallons actifs en cette matière. Enfin, à côté des politiques publiques, il faut relever le rôle important et innovant des initiatives portées par le très riche milieu associatif wallon. Celui-ci bénéficie de subventions publiques et philanthropiques mais agit le plus souvent en ordre dispersé, et l’impact de ses actions est difficile à évaluer. »
Outre les moyens dégagés par l’Europe ou l’État fédéral, la politique d’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère représentait au niveau wallon un budget de 5,4 millions d’euros pour 2008 dont une grande partie est dévolue aux CRI. Ceux-ci sont des asbl mixtes, en partie publiques, en partie privées, dans lesquelles les communes sont très impliquées via le conseil d’administration duquel elles ont souvent la présidence et où siègent, à côté des représentants d’institution, des échevins. Comme l’indique le décret, la Région wallonne réserve également une petite partie du budget pour des « initiatives locales de développement social ». Il est destiné à des initiatives autour de différentes thématiques : médiation sociale et interculturelle, aide aux étrangers dans l’explication de leurs droits et de leurs devoirs, alphabétisation, organisation de formation socioprofessionnelle et projets qui rapprochent allochtones et autochtones.

À chacun sa spécificité

Si les problématiques sont souvent identiques à celles rencontrées à Bruxelles, notamment en termes de coordination, il existe néanmoins des particularités propres à la Région wallonne. Ainsi, les CRI wallons peuvent être divisés en deux catégories qui recouvrent chacune des approches différentes. « Certains s’appellent Centre régional d’intégration, d’autres Centre d’action interculturelle », expose Ilke Adam, chercheuse à l’ULB (Germe) et auteure d’un doctorat portant sur les politiques d’intégration des étrangers et des Belges d’origine étrangère des entités fédérées de la Belgique1. « Les centres d’intégration comme celui de Liège mettent davantage l’accent sur l’intégration socio-économique et se focalisent moins sur les différences ethniques et culturelles. Ainsi, le centre d’intégration liégeois coordonne souvent des plates-formes de quartier là où l’on retrouve beaucoup d’allochtones. On peut comparer cela à un travail d’éducation. Les centres d’action interculturelle voient les choses davantage avec des lunettes “ethniques” ».
Autres particularités wallonnes : le nombre important de centres d’accueil pour demandeurs d’asile sur le territoire, les problèmes de mobilité dans les zones rurales, l’absence dans certaines sous-régions de communautés étrangères et d’associations de migrants qui permettent dans les grandes villes une certaine solidarité intracommunautaire.

Quand le fédéral empoisonne les politiques locales

Les centres d’accueil, on le sait, sont de compétence fédérale, mais sont étroitement imbriqués avec la politique d’intégration régionale et communale. Ainsi, si la nouvelle loi fédérale sur l’accueil devait permettre une meilleure information des résidents, l’absence de moyens suffisants dévolus à cette loi et d’un certain nombre d’arrêtés d’exécution, conjuguée au fait que le réseau Fédasil-Croix-Rouge est actuellement saturé faute de décision en matière de critères clairs de régularisation, rend la situation au niveau des partenaires locaux de ces centres parfois problématique. La saturation engorge ces services qui voient se réduire leur disponibilité à l’égard du public primo-arrivant. La Ligue des droits de l’homme et le Centre d’action interculturelle de Namur qui avaient programmé, en 2008, la visite de tous les centres ouverts pour réfugiés et demandeurs d’asile de la province de Namur (sept au total) ont tiré des conclusions pour le moins interpellantes : « À la suite de ces visites, nos constats sont, d’une part, un manque d’information sur la vie politique, culturelle, sociale et économique du pays d’accueil et, d’autre part, le manque de suivi après la régularisation. Des séances de formation et d’information au sein des centres seraient nécessaires pour les résidents. Les centres devraient disposer d’un listing des associations et des services auxquels les résidents peuvent avoir recours après leur sortie »2.
Lors du séminaire autour des primo-arrivants organisé le 28 avril dernier par le Centre d’action interculturel (CAI) de Namur3, un certain nombre de témoignages ont confirmé ces constats. « Ainsi, chez Fedasil, explique un travailleur social du Centre d’accueil de Florennes, on ne parle pas d’intégration pour nos résidents parce qu’on sait qu’environ 80 % d’entre eux recevront un avis négatif à leur demande d’asile. Nous parlons seulement d’intégration dans l’environnement local et nous organisons des activités entre les résidents du centre et les habitants. Nous avons établi des partenariats locaux avec l’AMO, la commune, le centre culturel mais nous n’avons pas le temps de faire de l’information sur la société belge et son organisation, nous confions cela à des organisations extérieures. »
Autre témoignage, cette infirmière psychiatrique qui travaille également avec des résidents en centre d’accueil : « Je vois arriver un nombre grandissant de cas psychiatriques, des gens qui décompensent. Les centres, vu les conditions de vie, l’absence de projet, de perspective, d’intimité et la durée du séjour développent des paranoïas et de véritables maladies mentales chez les résidents, maladies qui persistent même une fois que ceux-ci ont obtenu les papiers. Résultat, ces personnes vont coûter à la sécurité sociale parce qu’on a raté le moment clé de leur accueil. »

Pas d’unicité de parcours

À côté des centres d’accueil, on retrouve parmi les acteurs de première ligne, les CPAS, à travers l’organisation d’initiatives locales d’accueil (ILA) où résident des demandeurs d’asile et à travers l’accueil post-centre. Ici aussi, les assistants sociaux se plaignent du manque de coordination avec les associations de terrain et du manque d’informations sur les outils existants. Un déficit de coordination qui devrait sans doute être pallié à terme avec l’avancement des plans locaux d’intégration initiés en 2007 et que chaque CRI doit mettre en place avec ses partenaires : tant le monde associatif que les responsables publics que sont la Région, la Province, mais également les villes et communes concernées.
Mais si certains des participants au séminaire réclament la mise en place d’un parcours d’intégration au niveau wallon, à entendre le panel politique réuni ce jour-là, l’avis ne semblait pas partagé. Aucun des quatre partis représentés n’avait en effet de proposition telle que celle avancée à Bruxelles à savoir la création d’un véritable parcours d’intégration structuré non obligatoire, tout au plus des recommandations par secteur comme l’enseignement, l’emploi, la santé, etc. (NDLR : on notera depuis lors, dans la « Déclaration de politique régionale wallonne » adoptée en juillet, la volonté de mettre en place un parcours d’accueil et d’insertion ; cf. encadré ci-contre).
Benoîte Dessicy, directrice du CAI de Namur, a toutefois amorcé ce qui pourrait être le début d’une proposition : « s’il est indispensable de mieux financer les opérateurs sur le terrain et notamment les services d’interprétariat sociaux, les médiateurs interculturels, il est également indispensable de financer un dispositif multisecteurs qui permettrait l’égalité d’accès sur tout le territoire de la Région wallonne » et la directrice du CAI d’appeler à une coordination sur ce sujet entre Bruxelles et la Wallonie.



1. Dirk de Cock & Ignace Fermont, « Bruxelles, Flandre, Wallonie : un monde de différence », in Agenda Interculturel nº 267, novembre 2008.
2. « Les centres ouverts pour réfugiés de Namur sous la loupe du CAI et de la Ligue des droits de l’homme », in Osmoses nº 50 de janvier-février-mars 2009.
3. CAI Namur, rue Docteur Haibe, 2 à 5002 Saint-Servais (Namur) – tél. : 081 73 71 76 – site : http://www.cainamur.be