La politique dite de « retour volontaire » est relativement méconnue. Pourtant, elle permet chaque année à plusieurs milliers de personnes n’ayant pas, pour la plupart, de réelles perspectives de séjour en Belgique, de rentrer dans leur pays d’origine. En quoi consiste-t-elle, est-elle pertinente, sa mise en œuvre est-elle efficace ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles nous tenterons de répondre dans le présent article 1.

Depuis 1984, sur la base d’un accord avec le ministère belge de l’Intégration sociale, l’OIM Belgique (Organisation internationale des migrations) a mis en place un programme d’assistance au retour volontaire : le programme « REAB ». L’OIM assume cette mission en collaboration avec certaines organisations non gouvernementales, les centres d’accueil pour demandeurs d’asile et certaines villes.

Ce programme d’aide au retour volontaire est destiné aux migrants qui sont désireux de rentrer dans leur pays d’origine 2 et qui ne disposent pas des moyens financiers nécessaires à cet effet. Il s’adresse aux « ex-demandeurs d’asile » (c’est-à-dire qui ont renoncé ou ont été déboutés de la procédure d’asile) et aux personnes en situation irrégulière. Les types d’aide proposés par le programme REAB sont, d’une part, l’aide pour préparer le voyage (achat du billet d’avion, contact avec l’ambassade — aide à l’obtention des documents de voyage —, transport vers la destination finale, aide dans les aéroports — départ, transit, arrivée —, transport des bagages, assistance médicale si nécessaire) et, d’autre part, un soutien financier éventuel. Une prime peut en effet être attribuée dans certains cas. Elle est payée au moment du départ et s’élève à maximum 250 euros par adulte et 125 euros par enfant. Elle devra être remboursée, de même que tous les autres frais liés à l’organisation du voyage, si la personne revient en Belgique dans un délai de 5 ans.
Par ailleurs, un certain nombre d’organisations ont développé des programmes spécifiques centrés sur la réinsertion dans un certain nombre de pays d’origine. Outre l’aide au retour proprement dite (le REAB), ces programmes aident les personnes à se réinsérer dans le pays de retour. Cette aide peut se traduire par le soutien à la création d’une micro-entreprise, à la recherche d’un emploi, au suivi d’une formation ou à la reprise d’études, etc. Elle se situe en fait à différents niveaux : mise à disposition d’informations concernant la situation dans le pays de retour (sécurité, soins de santé, logement...), soutien (tant en Belgique que dans le pays de retour) dans le cadre de la mise en œuvre du projet de retour, accès à une aide matérielle (fonds de réintégration), et suivi juridique, social, administratif, psychologique en Belgique et dans le pays d’origine. Tout ceci se fait en collaboration avec des organisations partenaires situées dans le pays de retour. À titre indicatif, en 2006, le nombre de retours volontaires s’élevait à 2 811 personnes. 9 % d’entre elles sont rentrées en Afrique, 25 % en Asie, 29 % en Amérique latine et 36 % en Europe 3.

Décision de retour

On peut se demander si ce ne sont pas surtout les « stimuli négatifs » (situations d’échec, d’épuisement, d’essoufflement, de peur...) qui vont jouer un rôle déterminant dans la décision de retour. Le retour volontaire est souvent l’ultime solution, la seule porte encore ouverte quand on est à bout de souffle. Les difficultés liées aux conditions de vie en Belgique, le désenchantement par rapport aux attentes que l’on avait avant le départ, la nostalgie de la famille et du pays sont autant d’éléments qui interviennent dans ce processus. Pour certaines personnes toutefois (notamment des clandestins originaires du continent latino-américain), le retour est perçu comme une suite logique : « cela fait “x” années que je suis là, j’ai payé mes dettes, j’ai économisé un peu d’argent, mes enfants me manquent ».
De façon générale, outre les conditions de vie en Belgique, la décision de rentrer dans son pays dépend fort également de la manière et des conditions dans lesquelles la personne l’a quitté. Les causes de départ du pays d’origine sont, en effet, tout à fait déterminantes, tout comme la possibilité concrète pour la personne de pouvoir reconstruire sa vie dans son pays d’origine avec tout ce que cela sous-entend en termes de réintégration sociale et professionnelle. La confiance dans l’avenir du pays, les garanties liées à la sécurité des personnes, la situation en matière sanitaire, d’enseignement (si l’on a migré avec ses enfants), de logement sont parmi les paramètres qui entrent généralement en ligne de compte dans la décision de retour. Ceci explique notamment pourquoi certains projets d’aide au retour et à la réinsertion n’ont pas rencontré de réel succès parmi les populations qu’ils ciblaient (nous pensons, notamment, à des projets développés en RDC), les ressortissants des pays visés préférant souvent rester clandestinement en Belgique plutôt que de rentrer dans leur pays d’origine. À cela s’ajoutent également toutes les questions liées au statut social des personnes (et donc à l’image que la personne qui retourne va avoir aux yeux de sa communauté), aux éventuelles attentes de l’entourage et à la persistance ou non d’attaches solides avec le pays d’origine. En bref, envisager le retour signifie pour la personne d’évaluer ce qu’elle quitte (en décidant de partir de la Belgique) et ce qu’elle retrouve (une fois rentrée au pays).

Réintégration durable

Si l’objectif premier poursuivi au niveau politique est de « faire du chiffre » en matière de retour volontaire, il nous semble plus que compromis, au vu des éléments intervenant dans la décision de retour. Il nous paraît, en effet, peu probable qu’une quelconque politique parvienne à « doper le retour ». Quant aux attitudes de type coercitif (politique d’enfermement et d’expulsion), elles ne semblent pas non plus, au vu des statistiques, avoir de réel impact sur les décisions de rentrer volontairement.
Cette analyse est également partagée par les auteurs du rapport publié par le Home Office (ministère de l’Intérieur britannique) 4 qui notent notamment qu’il vaut mieux « faciliter » que « stimuler » le retour volontaire et que les facteurs déterminants ne sont pas les politiques d’intervention menées dans les pays, mais plutôt les conditions de vie dans le pays d’origine, en particulier en matière de sécurité, de travail et de logement. Toutefois, ils précisent également que même si l’aide au retour volontaire ne constitue pas le facteur décisif dans la décision, il apparaît cependant, lorsque la décision est prise, que l’assistance au retour est perçue comme une aide très utile, en particulier en matière professionnelle, de formation et de subvention éventuelle.
En conclusion, il nous semble important de distinguer clairement le retour comme tel de la réintégration durable. Si l’objectif visé au niveau politique est, avant tout, le départ de Belgique du plus grand nombre possible de personnes, on est en droit, au vu des chiffres, de questionner l’efficacité d’une telle politique et donc la pertinence des moyens investis. Par contre, si l’on se place sur le versant de la réintégration, l’évaluation peut se révéler tout autre. Tout mettre en œuvre afin de permettre à des personnes, aussi limité soit leur nombre, de se réintégrer dans leur pays d’origine, c’est à la fois travailler au niveau de l’individu, mais aussi au niveau de la communauté à laquelle il appartient (par effet d’entraînement), lorsque le processus de réintégration est bien pensé et intégré dans les dynamiques de développement local. Cela signifie, en pratique, appuyer et renforcer, à la faveur des programmes d’aide au retour et à la réintégration, les initiatives menées dans les pays d’origine, que ce soit en matière d’accompagnement psychosocial, de micro-crédit ou, quand cela n’existe pas, de soutenir leur mise en place afin que de tels services soient accessibles aux personnes qui rentrent, mais également aux autres membres de la communauté. Vu sous cet angle, la pertinence de ce type de politique n’est pas à questionner et ce, d’autant plus qu’une personne bien réintégrée aura d’autant moins tendance à penser à ré-émigrer. Il est donc essentiel que les programmes de réinsertion soient poursuivis et étendus au plus grand nombre de pays possible et ce, dans le cadre d’une politique de long terme.


(*) Chargée de projets au CIRE


1 Celui-ci est basé notamment sur le document réalisé par le CIRE en 2005 : « Aide au retour volontaire : constats et perspectives », téléchargeable sur le site http://www.cire.irisnet.be/ressources/rapports/aide-au-retour-volontaire.pdf
2 Ou qui veulent émigrer dans un pays tiers à condition d’être en possession d’un visa d’émigration ou d’un visa de séjour valide.
3 http://www.belgium.iom.int/reab/documents/REABOverallStatistics2006.pdf (moins de 1 % est allé en Amérique du Nord) (les % ont été arrondis).
4 Black (R), Koser (K), Munk (K), Atfield (G), D’Onofrio (L), Tiemoko (R), Understanding voluntary return, Home Office Online, Report 50/04, Londres, 2004, p. 40 et suivantes.

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