La réforme de la procédure d'asile, décidée aux grandes vacances 1999, préparée pour Noël, annoncée pour Pâques et mise au frigo jusqu'au 8 octobre dernier, est donc enfin bouclée. Mais elle n’est certainement pas une victoire pour la gauche de l’arc-en-ciel...

 

Alors que le gouvernement parlait d'humaniser l'accueil, de garantir l'application de la Convention de Genève et du respect du droit de la défense, les mesures annoncées se fondent surtout sur des logiques sécuritaires et dissuasives. Obsédé par les données chiffrées, il a élaboré sa nouvelle procédure d'asile à partir d'un seul objectif : endiguer ce qu'il perçoit comme un "afflux" de demandeurs d'asile. Outre le fait que les chiffres du Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies démontrent à suffisance que l'Europe n'accueille, proportionnellement à sa richesse et à sa population, que peu de demandeurs d'asile, cette façon de procéder est peu respectueuse des engagements initiaux du gouvernement arc-en-ciel. Seul le souci de rapidité semble à présent guider nos dirigeants… Malheureusement, cette obsession pour les procédures accélérées (n'oublions pas le "snelrecht") s'exerce principalement au détriment des garanties du demandeur d'asile. Loin de constituer l'amélioration promise, la réforme de la procédure d'asile projetée par le gouvernement constitue plutôt une régression sur bien des points.
Parmi ces points, citons la fin de l'indépendance du futur remplaçant du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides, à savoir l'Administration fédérale de l'asile (AFA). En effet, la loi autorisera désormais le ministre de l'Intérieur à adresser à l'administrateur fédéral de l'asile des instructions et des directives de portée générale quant à la politique en matière d'asile et quant au fonctionnement de son administration. Il s’agit d’un réel recul par rapport au passé. Citons, ensuite, la distinction entre procédure normale et procédure accélérée. La multiplication des hypothèses pouvant donner lieu à des procédures accélérées laisse à penser que la procédure "normale" risque de ne l'être que sur papier, alors que les procédures accélérées se multiplieront au point de constituer elles-mêmes la norme. Selon M. Verhofstadt, elles devraient concerner au moins 80 % des demandes. CQFD.
Autre point : arrivé au bureau d'inscription situé dans les communes frontalières, le demandeur d'asile, s’il ne peut fournir une description détaillée de son itinéraire, verra sa demande non prise en considération. Lorsqu'on connaît les conditions dans lesquelles ces personnes ont dû fuir leur pays, l'écoute et la confiance doivent être réunies pour leur permettre de parler de leur crainte de persécution, selon la Convention de Genève. Ces conditions d’écoute sont-elles garanties ? On peut en douter. Et ce n'est pas tout. Quand le demandeur d'asile aura expliqué son itinéraire, la Belgique appliquera la Convention de Dublin dans deux cas de figure : si le demandeur d'asile a la nationalité d'un pays considéré comme sûr (cf. paragraphe suivant); s'il y a dans son dossier des éléments qui montrent l'existence de filières, dans le but avoué d'identifier le pays responsable de la demande d'asile. Ici ressurgit le spectre des "pays sûrs" qu'Ecolo et le PS se félicitaient de voir disparaître… Quant aux trois centres d'enregistrement "semi-fermés", les demandeurs d'asile devront s'y tenir à disposition pour la procédure. Cela signifie, en pratique, qu'ils ne pourront pas quitter le centre. De plus, une partie des demandeurs d'asile quitteront ces centres pour être directement amenés dans un centre fermé. Ces circonstances ne contribueront pas à développer une atmosphère détendue dans laquelle le réfugié pourra se préparer sereinement à un premier entretien.
Enfin, cerise sur le gâteau, parmi les dix-huit critères qualifiant la demande de "manifestement non fondée", on retrouve celui-ci : "La demande qui provient d'un ressortissant d'un pays dont il est connu qu'il n'y a pas de persécution, et ne contient pas de faits concrets et vérifiables qui démontrent le contraire dans le cas individuel". Voici ce qu'en disait Dan Van Raemdonck, président de la Ligue des droits de l'homme, lors de la conférence de presse du monde associatif le 14 novembre : "Ce critère touche tant d'aspects de fond et atteint une telle complexité (examen de la situation politique d'un pays déterminé, examen des éléments fournis par le requérant…) qu'il n'a pas sa place en “manifestement non fondé”. De plus, il est inconcevable que l'on se fonde sur les seuls éléments dont dispose l'autorité (avec ainsi le risque d'une appréciation politique bien éloignée de considérations liées à l'asile) pour apprécier le fondement a priori d'une demande d'asile. On voit poindre dans cette hypothèse le spectre d'une élaboration incontrôlée d'une liste de pays dits “sûrs” chère au Premier ministre alors que l'examen d'une demande d'asile doit, selon la Convention de Genève, être individuel et fonction de craintes personnelles alléguées. Cette immixtion du politique dans l'examen des demandes d'asile est extrêmement contestable au vu des engagements internationaux de la Belgique. Par ailleurs, même en entrant dans la logique gouvernementale, lorsqu'on examine aujourd'hui les statistiques du CGRA (1) et de la CPRR (2), on constate que les pays qui “produisent” le plus grand nombre de demandeurs d'asile (Iran, Russie, Congo…) peuvent être difficilement considérés comme des pays “sûrs”. L'efficacité chiffrée espérée par le gouvernement risque donc de n'être que toute théorique."


Tache brune
Parce qu'il s'agirait de "la meilleure arme pour lutter contre les organisations criminelles qui se rendent coupables de fraude et de traite des êtres humains et contre les abus en matière de procédure d'asile", le Conseil des ministres a décidé que, tant que le demandeur d'asile n'a pas obtenu la reconnaissance de son statut de réfugié, il ne recevra qu'une aide matérielle. Jusqu'à présent, il recevait de la part du CPAS une aide financière, d'un montant équivalent au minimex. Pendant de longs mois, le demandeur d'asile bénéficiera dorénavant d'un "accueil matériel" comprenant, selon la note proposée au Conseil des ministres, "fonction hôtelière, accompagnement psychosocial et juridique, animation et soins médicaux". Un système que la Ligue des droits de l'homme juge également intolérable : "Estime-t-il devoir contester une première décision d'irrecevabilité rendue par l'Office des étrangers en introduisant un recours devant le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (ndlr: procédure actuellement en vigueur), et le demandeur d'asile devra se contenter de ce traitement, dont la note ne précise pas le nombre d'étoiles qui lui serait attribué dans les guides touristiques, pendant près de deux ans. Pendant ces mois et ces années, le demandeur d'asile sera assisté dans les conditions les moins favorables à son intégration. Privé de toute autonomie, totalement infantilisé, il sera placé dans l'impossibilité de se préparer une nouvelle existence dans la société d'accueil, pour le cas où le statut de réfugié lui serait reconnu." Ainsi, en ne considérant comme cause principale des arrivées de demandeurs d'asile en Belgique que la force d'attraction que constitueraient notre procédure d'asile et notre système d'accueil, et en voulant combattre cette attraction par une stratégie de dissuasion basée sur des mesures "répulsives", restrictives et répressives, le gouvernement continue à s'enfoncer dans la voie sans issue empruntée depuis plus de dix ans par les responsables de la politique d'immigration et d'asile dans notre pays. On fait aujourd'hui passer des mesures non mûrement réfléchies, mesures qui produiront la pire des situations : l'immigration illégale à grande échelle, dans une clandestinité accrue, avec son cortège de misère, de délinquance, de travail au noir et de dérégulation dans tous les domaines. Les chiffres officiels de demandes d'asile baisseront peut-être mais ce sera pour laisser la place à une société souterraine en développement. En prime, par de telles mesures, on n’aura fait que renforcer dans l'esprit du public, l'imagerie simpliste et raciste véhiculée par le Vlaams Blok et l'extrême droite, de "ces hordes d'immigrés profiteurs" envahissant la Belgique.


Victoire de dupes?
Si l'analyse de la nouvelle politique d'asile ne prête pas vraiment aux réjouissances, il nous faut toutefois apporter quelques nuances à ce tableau très sombre. Certains points de blocage ont sauté, comme le refus de faire sortir les mineurs des centres fermés. Il a également été mis fin à une procédure en deux étapes (recevabilité et fond), qui désormais sera traitée par une seule instance. Mais faut-il pour autant se féliciter, comme l'a fait la gauche, des avancées en matière de régularisation et de naturalisation? En termes humains, il s’agit d’un progrès pour toutes les personnes qui se cachent derrière les dizaines de milliers de dossiers. En termes politiques, c'est plus douteux… Les régularisations ont été acquises dès la déclaration gouvernementale. Leurs modalités ont fait l'objet d'une loi en décembre 1999. Depuis, le sort des sans-papiers s'est désespérément englué, provoquant de terribles détresses (aucune aide sociale accordée, perte du travail au noir, parfois du logement, etc.). Que la loi s'applique enfin, sans blocage de l'administration et du ministre, c'est la moindre des choses. Quant aux naturalisations, le ministre Verwilghen va enfin publier son arrêté… qui date de mars dernier. Comme l'a souligné le journal Le Soir, "forcer à renégocier des acquis, c'est une forme vicieuse de la loyauté gouvernementale" (3). Ecolo, dont le programme exige l'abolition des centres fermés, a dû se résoudre à les "humaniser". Dur, dur d'expliquer à la base comment on peut humaniser l'incarcération de gens qui n'ont commis aucun délit…

Catherine Morenville

1. CGRA : Commissariat aux réfugiés et aux apatrides
2. CPRR : Commission permanente des recours aux réfugiés
3. Bénédicte Vaes, Le Soir, 10 novembre 2000.

 

La convention de Dublin

La convention de Dublin vise à clarifier, entre les pays membres de l'Union européenne, qui est responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée au sein de l'UE (1). Son objectif est d'éviter qu'un demandeur d'asile soit renvoyé d'un État membre à un autre sans qu'aucun ne se reconnaisse compétent. D'un côté, elle permet de garantir que toute demande d'asile sera examinée par un État membre. De l'autre, elle empêche qu'un même demandeur introduise plusieurs demandes dans différents pays de l'Union.
L'État membre responsable de la demande est défini selon les six critères suivants, dans l'ordre d'importance :
1- liens familiaux : le demandeur d'asile a un membre de sa famille réfugié reconnu dans un État membre et résidant légal;
2- permis de résidence : le demandeur est titulaire d'un titre de séjour valide;
3- visa : le demandeur est titulaire d'un visa valide ou périmé;
4- franchissement illégal des frontières : on peut prouver quel est l'État membre par lequel le demandeur d'asile a franchi irrégulièrement la frontière en provenance d'un État tiers. Sauf si ce demandeur a séjourné dans un autre État membre dans lequel il a présenté sa demande au moins six mois avant la présentation de cette demande. Exemple : un ressortissant albanais arrive illégalement en Italie et se déplace par la suite en Belgique. L’Italie est compétente, sauf si le ressortissant albanais séjourne pendant au moins 6 mois en Belgique avant d’y présenter une demande d’asile;
5- franchissement légal des frontières : l'État membre auquel incombe la charge du contrôle de l'entrée de l'étranger sur le territoire des États membres, sauf si, après être entré légalement dans un État membre où il est dispensé de visa, l'étranger présente sa demande d'asile dans un autre État membre dans lequel il est également dispensé de visa. Exemple : un ressortissant albanais arrive régulièrement en Italie et se déplace par la suite en Belgique. L’Italie est compétente pour l’examen de la demande d’asile. Exception : si le ressortissant extra-communautaire n’est pas soumis à l’obligation de visa ni dans l’État où il entre en premier ni dans celui où il se déplace et y dépose la demande d’asile.
6- État de première demande : si aucun de ces critères n'est applicable, est responsable le premier État membre auprès duquel la demande a été présentée.

Afin de faciliter l'application de la convention de Dublin, l'UE se penche actuellement sur un système de comparaison des empreintes digitales des demandeurs d'asile et de "certains autres" étrangers. Ce projet, Eurodac, a pour but de mettre en place une base de données centrale contenant les empreintes digitales des demandeurs d'asile et des immigrants illégaux.
Christophe Degryse

1. Signée en 1990 et entrée en vigueur en 1997. Références : Journal officiel C 254, 19.08.1997